Ce n’est pas l’institution qui est en cause : les moyens à sa disposition étaient insuffisants pour que les droits du Parlement soient davantage préservés, déplore Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste et rédacteur de l’une des saisines.
Par une décision minimaliste, le Conseil constitutionnel valide l’essentiel de la loi de réforme des retraites. Il ne censure que six dispositions, au titre de « cavaliers sociaux », c’est-à-dire des éléments qui n’ont pas leur place dans une loi de financement de la sécurité sociale.
Comme on pouvait s’y attendre, cette décision suscite une vive critique des uns et la grande satisfaction des autres. Il est vrai que les arguments juridiques ne manquaient pas à l’encontre de cette loi. Le véhicule de la loi de financement de la sécurité sociale ne paraissait ni adapté ni avoir été imaginé pour réaliser une telle réforme. L’application stricte des délais prévus par l’article 47-1 de la Constitution n’était justifiée par aucune urgence ni par la nécessité d’assurer la continuité de la vie de la Nation. L’accumulation des leviers de procédure au Sénat était d’une ampleur exceptionnelle, conduisant à l’irrecevabilité ou à la mise à l’écart de plusieurs milliers d’amendements, ce qui aurait pu être de nature à altérer le principe de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
Le Conseil constitutionnel focalise tous les regards et il aura rarement été autant au centre de l’attention qu’en cette période. Ce n’est guère surprenant, tant les crispations sur la réforme des retraites furent grandes, au Parlement et au-delà. De surcroît, la bataille ne fut pas que politique, mais aussi juridique, à travers la mobilisation originale et exceptionnelle de nombreux mécanismes constitutionnels. Ainsi, l’attente qui pèse sur la décision du Conseil est importante sur le plan politique et de la destinée de cette réforme, mais elle l’est tout autant sur le plan juridique, car, quoi qu’il décide, elle constituera un précédent.
Cette attente et cette attention confirment, à n’en point douter, que le Conseil constitutionnel se dresse comme un dernier rempart face aux atteintes à notre norme fondamentale et aux droits et libertés qu’elle garantit. Elles ne justifient pas pour autant les multiples spéculations ou autres critiques dont l’institution fait l’objet. Selon un usage que tout juriste serait sage de s’appliquer à lui-même afin de préserver l’indépendance de la justice, une décision de justice ne s’annonce pas, elle se commente. Si les décryptages, analyses et critiques sont ainsi utiles et nécessaires, ils deviennent plus pertinents lorsqu’ils portent sur l’existant, donc la décision rendue, plutôt que sur ce qui pourrait l’être, à savoir la décision à rendre. Dans ce dernier cas, ils s’apparentent davantage à un plaidoyer, qu’il est plus judicieux de porter devant le juge lui-même que dans l’arène médiatique car, en s’adressant au premier, on s’efforce de le convaincre mais, en s’adressant à la société, c’est davantage de pression plutôt que de conviction dont il est question.
La réforme des retraites a été adoptée et, sous réserve de l’examen du Conseil constitutionnel qui pourrait réserver encore des surprises, elle sera promulguée d’ici la fin du mois d’avril. Pourtant, jamais une majorité ne s’est prononcée en faveur de ce texte, qui a au contraire exposé un combat des minorités.
D’abord, on se souvient qu’en première lecture, l’Assemblée nationale ne s’est pas exprimée sur le projet de loi, puisque le Gouvernement a imposé le délai que prévoit l’article 47-1 de la Constitution, lui permettant de transmettre directement le texte au Sénat, après vingt jours. Pis, alors qu’une majorité avait rejeté l’article 2 du projet de loi, portant sur « l’index senior » – que le Conseil d’État considère ne pas devoir relever d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale –, le Gouvernement l’avait réintégré (comme il en a le droit) dans le texte transmis au Sénat.
Ensuite, il est vrai que le Sénat a adopté un texte, à deux reprises (en première lecture, puis en lecture CMP). Toutefois, nonobstant la qualité du travail législatif de la seconde chambre, le Conseil constitutionnel aura là aussi à se prononcer sur la multiplication et l’accumulation des armes de procédure, permettant de contraindre les parlementaires (irrecevabilité d’amendements, vote bloqué, clôture, etc.), notamment au regard de la clarté et de la sincérité du débat parlementaire. Surtout, il s’agit de la seconde chambre qui, dans le cadre de la procédure législative, ne dispose pas du dernier mot si bien que, si sa voix compte, elle est toujours subordonnée à l’acceptation de l’Assemblée nationale.
Le président de la République a annoncé que l’IVG sera gravée dans la Constitution via un projet de loi soumis « dans les prochains mois ». Mais l’inscrire dans une révision constitutionnelle plus vaste pourrait faire échouer la réforme, estime le professeur de droit Jean-Philippe Derosier.
Depuis que la Cour suprême des Etats-Unis a éternué le 24 juin 2022, la France a peur de s’enrhumer. Plusieurs initiatives parlementaires, de députés et de sénateurs, ont été prises afin d’inscrire l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution. L’une d’entre elles, initiée par la NUPES à l’Assemblée nationale, a d’abord été adoptée par cette dernière (le 24 novembre 2022), avant d’être amendée et adoptée par le Sénat (le 1er février 2023). Elle tendait initialement à garantir « l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse » dans un nouvel article 66-2 de la Constitution. Le sénateur Philippe Bas a proposé une modification qui a permis l’adoption du texte au Sénat, selon laquelle un nouvel alinéa de l’article 34 prévoit que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ».