S’abonner à la lettre d’information
Marine Le Pen et les voies de recours
Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un œil sur la Constitution », in Nouvel Obs
*
La peine ne doit pas faire oublier la culpabilité. Depuis le prononcé du délibéré dans l’affaire des « assistants parlementaires du Front national », par le Tribunal correctionnel de Paris le 31 mars dernier, il n’est plus question que de la peine dont a écopé Marine Le Pen. En réalité, pour être totalement précis, il n’est question que des modalités d’exécution d’une peine complémentaire, car l’exécution provisoire n’est pas, en soi, une peine mais une modalité de son application et l’inéligibilité n’est pas la peine principale, mais une peine qui vient la compléter.
Cette discussion ne doit pas faire oublier que Madame Le Pen, qui continue de clamer son innocence comme elle en a le droit, a été reconnue coupable des faits qui lui sont reprochés et condamnée à quatre ans d’emprisonnement, dont deux ans assortis du sursis. Cette lourde condamnation a été prononcée par le Tribunal correctionnel, soit par trois juges qui composent la formation de jugement, non un seul. Cela signifie que les faits reprochés sont suffisamment probants pour emporter leur conviction. Ils ont également relevé que Madame Le Pen était « au cœur de ce système depuis 2009 », c’est-à-dire qu’elle a exercé un rôle central dans le détournement de fonds publics qui a été retenu par le Tribunal.
Le Tribunal conclut qu’il lui appartient de veiller à ce que les élus, comme tous les justiciables, ne bénéficient pas d’un régime de faveur
Refusant d’admettre toute culpabilité et, au contraire, en justifiant les faits (qu’elle reconnaît), car une activité politique serait indissociable de tout mandat parlementaire, elle laisse entendre qu’elle considère ne rien avoir commis d’illégal et de pénalement répréhensible. Par conséquent, placée dans une situation identique, elle serait susceptible de les commettre à nouveau. Ce seul élément serait suffisant pour justifier l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité, dont l’un des objectifs est d’empêcher la récidive : on voit que le risque existe.
De surcroît, dès lors que Madame Le Pen a été reconnue coupable et condamnée par le Tribunal, ce dernier est légitime à relever que les faits commis sont de nature à porter une atteinte tant à la confiance des citoyens dans la vie publique, qu’à la probité et à l’exemplarité qui doivent s’attacher aux élus, dans l’exercice de leur mandat. Ainsi, permettre qu’une telle personne, reconnue coupable et condamnée par un Tribunal, puisse concourir à une élection, en particulier l’élection présidentielle et puisse a fortiori être élue, constitue un trouble majeur à l’ordre public démocratique. On peut ajouter que si Marine Le Pen était élue Présidente de la République dans ces circonstances, elle échapperait à la justice pendant tout le temps de son mandat et serait en position de faire évoluer la législation pénale pour l’exonérer de sa responsabilité, en influant sur le travail gouvernemental et législatif comme le fait tout Président de la République.
Il est donc parfaitement légitime et juridiquement fondé que le Tribunal conclue qu’il lui appartient de veiller à ce que les élus, comme tous les justiciables, ne bénéficient pas d’un régime de faveur, incompatible avec la confiance recherchée par les citoyens dans la vie politique. Il prononce donc l’exécution provisoire de l’inéligibilité, afin de la rendre applicable immédiatement.
Cette exécution provisoire ne contrevient ni au procès équitable, ni au droit au recours, ni à la présomption d’innocence.
Il est faux de dire que cette peine est « définitive ». Marine Le Pen a interjeté appel et verra donc sa cause de nouveau entendue. D’après ce qui a été annoncé, la Cour d’appel pourrait même se prononcer avant l’élection présidentielle. Elle exerce donc son droit au recours et pourra de nouveau faire valoir ses arguments, de façon contradictoire, devant une juridiction indépendante et impartiale, comme elle l’a fait devant le Tribunal correctionnel.
Elle continue de bénéficier de la présomption d’innocence et l’exécution provisoire de l’inéligibilité ne la remet pas en cause car son objectif est simplement de préserver l’ordre public démocratique à l’égard d’une personne susceptible de lui porter une atteinte irréparable. Imaginerait-on contester le placement en détention provisoire d’un individu soupçonné de multiples meurtres ? Certainement pas : bien qu’il bénéficie, comme tout justiciable, de la présomption d’innocence, l’objectif constitutionnel de préservation de l’ordre public justifie une telle mesure privative de liberté, car il présente un réel danger pour la société.
Peut-on oser comparer la situation d’un meurtrier avec celle d’une élue ? Non. Les situations sont évidemment différentes. Mais la détention provisoire n’est précisément pas de même nature que l’inéligibilité provisoire. Cependant, la justification participe de la même dynamique : il existe non un danger pour la société, mais un danger pour la démocratie et il est du rôle de la justice de nous en préserver, au nom de tout le peuple français. Marine Le Pen dispose alors du droit de se défendre, par la voie de l’appel mais aussi par la voie constitutionnelle, en introduisant une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC), s’appuyant sur la violation de la liberté de l’électeur.
Pour qu’une QPC puisse être transmise au Conseil constitutionnel, des conditions doivent être réunies. D’abord, il faut contester une disposition législative, qui doit être applicable au litige : c’est bien le cas, l’article 471 du code de procédure pénale, prévoyant l’exécution provisoire, est issu de la loi et s’applique au cas d’espèce. Ensuite, il faut invoquer un droit ou une liberté que la Constitution garantit et la liberté de l’électeur en fait bien partie, de même que la présomption d’innocence, le droit au recours et le procès équitable. Enfin, deux dernières conditions doivent être remplies : d’une part, la Conseil constitutionnel ne doit pas avoir déjà déclaré la disposition législative en cause conforme à la Constitution et, d’autre part, cette question doit revêtir un caractère sérieux, c’est-à-dire que l’on doit pouvoir sérieusement douter de sa contrariété à la Constitution.
Or, s’il est vrai que le Conseil constitutionnel n’a jamais expressément déclaré l’article 471 du code de procédure pénale conforme à la Constitution, la décision qu’il a rendue le vendredi 28 mars à propos d’un élu local mahorais pourrait conduire à écarter l’une et l’autre de ces deux dernières conditions. Le Conseil a en effet rappelé, après avoir visé cet article et son objet, que « le juge décide si la peine doit être assortie de l’exécution provisoire à la suite d’un débat contradictoire au cours duquel la personne peut présenter ses moyens de défense, notamment par le dépôt de conclusions, et faire valoir sa situation ». Il a ajouté que, « sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, il revient alors au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur ». Il conclut que, sous cette réserve, il n’y a pas lieu de relever une inconstitutionnalité.
Certes, il n’examinait pas spécifiquement l’article 471 du code de procédure pénale. Mais, l’ayant visé, il en donne une interprétation incidente – qui, au demeurant, n’était pas nécessaire dans le cadre du litige qu’il devait examiner. On pourrait donc considérer, d’une part, que le Conseil s’est prononcé sur cet article, en le déclarant conforme à la Constitution sous une réserve d’interprétation et, d’autre part, qu’il n’y a pas de doute quant à sa constitutionnalité. Ajoutons, enfin, que la Cour de cassation a déjà été saisie d’une QPC portant sur l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité, par Hubert Falco. Le 18 décembre 2024, elle a refusé de la transmettre au Conseil constitutionnel car elle a considéré, aux yeux des moyens présentés par M. Falco, qu’elle ne revêtait pas un caractère sérieux.
Marine Le Pen est donc dans son droit en usant des voies de recours dont elle dispose, mais le droit en vigueur justifie pleinement la décision qui a été prise et elle devra désormais convaincre les juges d’appel qu’une autre application du droit est possible.Mots-clés: Article 6, Article 9, Article 16, Article 3, Article 61-1, Article 64, Président de la République, Élection présidentielle, Conseil constitutionnel, Cour de cassation, Question prioritaire de constitutionnalité, Procès équitable, Présomption d'innocence