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Au Maître Guy Carcassonne, ce mélange d’anti-conformiste et de brillant juriste
« Bonjour, merci de prendre vos places, de couper vos portables et de fermer les portes du fond, afin que nous puissions reprendre notre cours de droit constitutionnel ».
C’est en ces termes que le Professeur Guy Carcassonne débutait systématiquement son cours, dans l’amphi A du bâtiment F, soit la Faculté de droit de l’Université de Nanterre. La première fois pour moi, c’était le 12 octobre 1998 lorsqu’il entama ce qui fut mon tout premier cours à l’Université. C’était exactement trente ans après sa première rentrée à lui, dans les mêmes locaux, sur les mêmes bancs, malgré « quelques policiers et CRS présents en plus grand nombre ». On peut facilement l’imaginer : 1968 n’était pas une année tout à fait comme les autres, surtout à Nanterre…
Impossible d’oublier ce premier cours, ni tous ceux qui suivirent. Guy Carcassonne, le Professeur, l’enseignant, le pédagogue hors-pair a marqué des générations d’étudiants. Si l’on peut plagier un dialoguiste qu’il aimait tant, on dirait que Guy Carcassonne était un mélange d’anti-conformiste et de brillant juriste, dans des proportions qui restent à déterminer.
Son allure, d’abord, est inoubliable. Viscéralement accroché à son scooter et à son énorme cigare, il descendait d’un pas vif et alerte l’allée de l’amphithéâtre pour accéder à la chaire. Inutile de tenter de l’arrêter, que ce soit pour l’interroger sur un point de cours ou pour lui faire remarquer qu’il portait une chaussette verte et une autre rouge (paire qui n’avait sans doute rien d’original puisque, comme aurait dit Coluche, il en avait une autre chez lui !), ou encore sur sa pince-cravate Mickey : son cours débutait à 13h30, à la seconde près. Guy Carcassonne était iconoclaste, mais il n’en était pas moins rigoureux et précis.
Ce sont d’ailleurs cette rigueur et cette précision qu’il faut surtout retenir. La clarté de ses exposés n’avait d’égales que la finesse et la justesse de ses analyses. Il était ainsi capable d’expliquer clairement et simplement le mécanisme constitutionnel le plus abscons, tout en produisant une véritable analyse engagée des institutions de la Vème République à des étudiants de première année ou en proposant un regard critique et pertinent sur l’actualité. Que ce soit en début, en milieu ou en fin d’année, à la veille ou au lendemain des examens, son amphi était toujours plein à craquer : Si l’on venait s’y réchauffer, c’était alors au seul son de sa voix. Cette voix reconnaissable entre toutes et qui passionnait ses étudiants.
La raison de cette passion qu’il suscitait était simple : Guy Carcassonne aimait les étudiants. Il répétait ainsi fort justement : « Donnez quoi que ce soit aux étudiants et ils vous le rendront au centuple. Donnez-leur haine et mépris, ils vous le rendront au centuple ; donnez-leur amour et considération, ils vous le rendront au centuple ». Et nous l’aimions, évidemment. Il savait comme nul autre transformer cet amour des étudiants en un amour du droit constitutionnel, au point de susciter de véritables vocations.
C’est incontestablement cette expérience de la première année, puis les nombreux échanges que nous avons entretenus qui m’ont conduit à la thèse et au concours d’agrégation. Guy Carcassonne, « Carcasse » comme il se faisait appeler ou « Guitou » comme nous aimions le nommer entre nous, dans l’amphi, fut tout à la fois un maître, un modèle et un ami. Le cours de droit constitutionnel à l’Université de Rouen porte logiquement son empreinte. Il sera désormais assuré en son hommage.