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Le pari de l’abandon du 49, 3 : entre faiblesse et résignation
Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un œil sur la Constitution », in Nouvel Obs, le 3 octobre
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Sébastien Lecornu l’avait annoncé : il y aurait de la rupture, sur la forme et sur le fond. Avant la rupture sur le fond, qui paraît encore se faire attendre, voici une rupture sur la forme et non des moindres. Le Premier ministre annonce solennellement renoncer à utiliser l’article 49, al. 3 de la Constitution. Cet article, rappelons-le, permet à l’Assemblée nationale (il n’est pas applicable au Sénat) d’adopter un texte sans le voter, par l’engagement de la responsabilité du Gouvernement. Soit ce seul engagement permet d’adopter le texte, soit une Motion de censure est déposée et elle est rejetée, auquel cas le texte est également considéré comme adopté. À l’inverse, si la Motion de censure est adoptée, le texte est rejeté et le Gouvernement est tenu de démissionner : tel fut le sort de Michel Barnier, le 4 décembre 2024.
Renoncer au 49, al. 3 est insuffisant : insuffisant pour satisfaire la gauche et insuffisant pour adopter le budget
Ce n’est pas la première fois qu’un Premier ministre prend un tel engagement. Déjà Lionel Jospin, en 1997, chef d’un Gouvernement de « gauche plurielle » s’étant engagé à ne pas utiliser l’article 49, al. 3. Il avait bien failli en faire les frais, alors que sa coalition disposait de la majorité absolue, lorsqu’en 2001, le groupe communiste avait menacé de ne pas voter le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Finalement, la négociation avait abouti, le projet de loi fut adopté et le 49, al. 3 ne fut pas mobilisé.
Aujourd’hui, Sébastien Lecornu se prive volontairement d’une arme puissante de rationalisation du parlementarisme et de contrainte à l’égard du Parlement, qui permet de créer une majorité lorsqu’elle n’existe pas. Tel est bien le cas depuis 2022 et, a fortiori, depuis 2024 et la dissolution. Néanmoins, ce faisant, il adresse un message clair au Parlement et, en particulier, à l’Assemblée nationale : il n’entend pas passer en force et, au contraire, respecter la voix et la voie parlementaires, tout en renvoyant les députés à leurs responsabilités. C’est en effet désormais sur eux que pèse l’exigence de s’entendre, le (futur) Gouvernement et le Premier ministre n’ayant que celle de favoriser la négociation.
Par ce choix de rupture, le Premier ministre prend le risque que ni « son » budget, ni « un » budget ne soit adopté. En effet, l’article 49, al. 3 permet au Gouvernement d’imposer la version du texte sur lequel il engage sa responsabilité, donc éventuellement de le réécrire, si des amendements qu’il ne soutient pas ont été adoptés. Sans ce levier, chaque amendement est soumis au vote et, le Gouvernement étant minoritaire, il peut voir « son » budget être dénaturé, par l’adoption d’amendements auxquels il est opposé.
Mais c’est aussi prendre le risque qu’aucun budget ne soit adopté, car rien ne permet de contraindre les parlementaires à l’adoption d’une loi de finances, si bien qu’ils peuvent in fine le rejeter, en votant majoritairement contre. La voie de l’article 49, al. 3 offrait une alternative à cette adoption, les oppositions pouvant, sans soutenir le budget du Gouvernement, renoncer à aller jusqu’à la censure, afin de ne pas plonger le pays dans une nouvelle crise politique.
La rupture de Lecornu revient donc à leur tendre un piège, tout en s’exposant lui-même au piège identique : la négociation sera indispensable et il faudra un accord global sur le budget, pour permettre les accords ponctuels sur les différents amendements et articles. L’accord global concernera les grandes lignes budgétaires et les priorités politiques et, s’il est conclu, il permettra que les différents groupes soutenant cet accord global s’entendent pour adopter ou rejeter les articles et amendements qui s’en écarteraient, alors même qu’ils pourraient satisfaire les intérêts de certains de ces groupes.
Notre pays n’a pas la culture politique du compromis et le risque de compromission est alors réel, d’autant plus qu’un tel accord devra inclure non seulement les quatre groupes du « socle commun » (Renaissance, MoDem, Horizons et LR, à supposer d’ailleurs que ce dernier ne fasse pas scission), mais s’étendre à des groupes de gauche ou à l’extrême droite. La seule abstention du groupe socialiste, qui aurait pu suffire à éviter la censure, ne suffira pas au socle commun pour être majoritaire.
En effet, sans les 68 voix des Socialistes, la majorité absolue de 289 députés nécessaire à l’adoption d’une Motion de censure n’est pas atteinte, mais l’ensemble des autres groupes de l’opposition (les trois autres groupes de gauche et les deux groupes de droite extrême) sont plus nombreux (264) que le socle commun (ils sont alors 211 et, si le groupe LIOT, au positionnement central, les soutient, ils seront 234). Le Gouvernement devra donc obtenir soit l’abstention supplémentaire d’un groupe comptant plus de 30 députés (LFI, les Verts ou le Rassemblement national), soit le vote favorable d’un groupe supplémentaire. Deux scénarios qui paraissent peu réalistes.
Le choix stratégique du Premier ministre paraît donc révéler soit sa faiblesse, soit sa résignation. Renoncer à cet article 49, al. 3 était une exigence de la gauche, notamment des Socialistes, mais c’est insuffisant : insuffisant pour les satisfaire et, quoi qu’il en soit, insuffisant pour adopter le budget. D’où la faiblesse du Gouvernement. Mais s’il n’y avait pas renoncé et optait finalement pour une adoption du budget par l’article 49, al. 3, sans un accord global sur le texte (avec au moins les Socialistes), la probabilité qu’il connût le même sort que Michel Barnier aurait été très élevée. Dans un cas comme dans l’autre, l’adoption d’un budget est compromise et l’espérance de vie du Gouvernement Lecornu paraît fort réduite. D’où, peut-être, sa résignation.Mots-clés: Sénat, Assemblée nationale, Article 47, Article 47-1, Article 49, Gouvernement, Député, Parlement, Premier ministre, Opposition, Dissolution, Loi de finances, Motion de censure, Loi de financement de la sécurité sociale, Amendement