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Révision en revue (vol. 1)
Le volet constitutionnel de la révision institutionnelle entreprise par l’Exécutif fait l’objet d’un projet de loi constitutionnelle « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace », actuellement soumis à l’examen du Conseil d’État et que La Constitution décodée a pu se procurer. Vous pouvez le consulter ici.
Il aura un effet évident : l’affaiblissement du Parlement, donc de la démocratie représentative. Cela ressort de l’équilibre d’ensemble de la réforme institutionnelle, qui juxtapose trois projets de loi : constitutionnel, organique et ordinaire.
D’ici au 9 mai, date annoncée de son adoption en Conseil des ministres, trois billets vous proposeront un décodage de ses différentes dispositions, étant entendu qu’elles pourraient évoluer. Sans que le projet de loi soit lui-même structuré en chapitres, on abordera d’abord les dispositions relatives à la production législative, puis celles concernant la discussion législative et, enfin, celles réformant les collectivités territoriales.
Le droit d’amendement est une prérogative essentielle des parlementaires.
Il avait ainsi fait l’objet d’une vive polémique lorsqu’il avait été question de le contingenter proportionnellement aux effectifs des groupes parlementaires. En réalité cette proposition ne dupait personne tant elle était grossière et n’avait aucune chance d’être validée ni par le Parlement ni, vraisemblablement, par le Conseil constitutionnel.
Il est temps que le droit d’amendement s’exerce de façon raisonnée et raisonnable
Le projet abandonne cette idée farfelue mais modifie néanmoins les articles 41 et 45 de la Constitution (article 3), en introduisant un double durcissement. D’une part, dès la première lecture, les amendements « sans lien direct avec le texte déposé ou transmis » seront irrecevables. D’autre part, la nouvelle irrecevabilité de l’article 41 est alignée sur celle de l’article 40 : les propositions de loi et amendements qui ne sont pas du domaine de la loi, ainsi que, désormais, les dispositions dépourvues de portée normative, « ne sont pas recevables » (irrecevabilité absolue) alors qu’auparavant, il était simplement loisible au Gouvernement ou au président de l’assemblée saisie d’« opposer l’irrecevabilité » (irrecevabilité relative). Tel est encore le cas, en revanche, à l’égard des propositions de loi ou amendements qui seraient contraires à une habilitation (nécessairement temporaire) à agir par ordonnances, sur le fondement de l’article 38.
La première conséquence est que la recevabilité sera appréciée a priori (au moment du dépôt) et non plus a posteriori (au moment de l’examen) : c’est le cas pour l’article 40, le président de la Commission des finances appréciant la recevabilité des amendements. La tâche pourrait ainsi être confiée au président de l’assemblée concernée ou au président de la Commission saisie (du moins pour les amendements).
Même si l’on sait que le Conseil constitutionnel a retenu une jurisprudence assez souple à l’égard de l’article 40 (refusant de contrôler sa violation, sauf à ce que l’irrecevabilité ait été évoquée devant le Parlement), on peut néanmoins s’attendre à un durcissement de la recevabilité des amendements.
En soi, ce n’est pas un mal : il est temps que le droit d’amendement s’exerce de façon raisonnée et raisonnable, afin d’éviter les lois trop longues, peu compréhensibles et les détournements de procédure, consistant à passer par amendement ce qui aurait dû être soumis au Conseil d’État, dans un projet de loi. Car cette restriction s’appliquera également à l’Exécutif… à la condition, toutefois, que ce durcissement ne voie pas se vérifier une inquiétude.
En effet, à l’égard de l’article 40, le président de la Commission des finances est issu de l’opposition, offrant ainsi un gage de neutralité à l’examen de la recevabilité. Mais ce n’est le cas ni des autres présidents de Commissions ni du président de l’assemblée saisie, sauf au Sénat, en fonction des configurations. Il ne faudrait donc pas que le durcissement soit intense pour l’opposition et clément pour la majorité.
Enfin, on peut s’interroger sur la position qu’adoptera le Conseil constitutionnel à l’égard de l’ensemble de ces irrecevabilités, qui ne sont pas pleinement nouvelles. Il sanctionne déjà les neutrons et cavaliers législatifs, c’est-à-dire, respectivement, les dispositions dépourvues de portée normative et celles qui, introduites par amendement, sont sans lien avec le texte (l’intensité du lien étant fonction de l’état d’avancement de la discussion).
Maintiendra-t-il cette jurisprudence ou bien s’alignera-t-il sur ce qu’il pratique à l’égard de l’article 40, imposant alors que l’irrecevabilité soit d’abord mentionnée au Parlement ? À l’inverse, renversera-t-il sa jurisprudence de l’article 40 pour considérer qu’il est désormais compétent pour sanctionner toute irrecevabilité, même soulevée pour la première fois devant lui ? L’avenir le dira. Gageons qu’il sera inspiré par le souci de préserver et renforcer la qualité de la loi.
L’article 4 du projet de loi constitutionnelle concerne le droit d’amendement en séance. Il constitutionnalise ce qui a été introduit au Sénat, par modification du Règlement : la possibilité d’amender un texte seulement en commission, pour réserver à la séance le seul soin de valider l’ensemble. À condition d’en user sans en abuser, cela mérite d’être accueilli favorablement.
La constitutionnalisation de nouveaux mécanismes de démocratie directe aurait traduit une réelle modernité de la réforme
L’article 14 du projet de loi constitutionnelle transforme le Conseil économique, social et environnemental en « Chambre de la participation citoyenne », tout en réduisant d’un tiers ses effectifs, de 233 à 155 membres, qui représenteront la « société civile ».
Un mot, d’abord, sur cette nouvelle dénomination : elle est pour le moins datée, renvoyant à un vocabulaire de la IIIe République où l’on parlait encore de « Chambres des députés ». Est-ce donc cela le « nouveau monde » ? Un « Conseil » ou une « Assemblée » aurait été plus contemporain.
Un autre mot, ensuite, sur ce qu’elle représente : la « société civile » s’oppose, me semble-t-il, à la société militaire. Or, depuis le Maréchal Pétain ou le Général de Gaulle, les institutions politiques ne sont plus composées de militaires, presque ès qualités. Une référence à la société « civique » ou, généralement, aux « activités socioéconomiques » aurait été préférable.
Cette « Chambre » aurait pu permettre de constitutionnaliser des nouveaux mécanismes de démocratie directe, marquant ainsi la réforme d’une réelle modernité. En réalité, rien de tout cela, à ce stade : elle a vocation à détenir, à l’instar du CESE actuel, un rôle principalement consultatif, quoique pas exclusivement.
Elle organisera des « consultations du public » – sans autre précision – et sera consultée sur les projets de loi à caractère économique, social et environnemental. Tout autre projet ou proposition de loi pourra également lui être soumis, notamment les projets de loi de finances, de financement de la sécurité sociale, ou de programmation pluriannuelle des finances publiques. Elle recueillera également des pétitions, dans les conditions fixées par une loi organique et pourra décider de ses suites, y compris au sein des assemblées parlementaires.
Tout cela est vaste et vague, donc bâclé.
Sans parler des « consultations du public », dont on ne saisit ni l’objet ni les finalités, on comprend que les suites parlementaires des pétitions peuvent consister en des propositions de loi, voire des amendements (même si les délais risquent de rendre cela impossible), sans que l’on sache si elles devront être examinées, ou si elles seront simplement déposées. D’ailleurs, la « Chambre » disposera-t-elle d’un droit d’initiative législative ? On en doute à ce stade car, pour ce faire, il faudrait également modifier l’article 39 de la Constitution, qui limite ses détenteurs au Premier ministre et aux membres du Parlement.
Si l’on souhaite effectivement attribuer un rôle à cette « Chambre » modernisée, il serait judicieux de préciser ses prérogatives, afin d’éviter que la loi organique ne la transforme en « antichambre », où l’on patiente, on discute mais où rien ne se décide officiellement.
Enfin, en guise de modernisation et parce que le Chef de l’État l’avait proposé lorsqu’il était en campagne, il aurait été bienvenu d’insérer le numérique dans ce nouveau dispositif, au moins en reconnaissant la nécessité d’adapter la démocratie aux possibilités offertes désormais par la technique. Cela aurait permis de lui octroyer une reconnaissance constitutionnelle en tant que moyen de participation démocratique. L’intention figure d’ailleurs dans l’exposé des motifs du projet de loi : on regrette qu’elle ne se transforme pas en disposition. Il n’est pas encore trop tard pour bien faire.