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Le temps
Le temps est sans aucun doute l’élément le plus difficile à gérer. De façon générale et, en particulier, en politique.
Quand s’exprimer ? Quand annoncer une réforme ? À quel moment l’introduire ? Sur combien de temps gérer son élaboration ? Quand peut-on en escompter les effets ? Comment articuler temps de la réflexion, temps de la production et temps de l’action ?
Le Président de la République s’est livré hier à son premier entretien télévisé depuis son élection. Cinq mois après sa prise de fonction, pour un mandat qui dure cinq ans. On y verra peut-être là un symbole.
Celui que l’on reçoit est mitigé. L’échange a eu lieu au « Château » (c’est ainsi que l’on appelle le Palais de l’Élysée), dans le « bureau de travail » du Président. C’est heureux : la dignité de la fonction présidentielle impose que les journalistes se déplacent, non le contraire. En revanche, c’est TF1 qui a été retenu, soit une chaîne privée, de l’une des plus grosses fortunes françaises. Il est plus que regrettable que le Président de la République ne fasse pas le choix du service public, a fortiori pour son premier échange télévisé. François Hollande avait fait de même le 9 septembre 2012 et c’était tout autant condamnable.
Néanmoins, en donnant sa première interview tardivement et en ayant refusé de sacrifier au traditionnel échange du 14 juillet, Emmanuel Macron entend rompre avec le rythme de ses prédécesseurs. Il s’inscrit pourtant dans une parfaite continuité, au moins sur trois points.
D’abord, rompant avec Nicolas Sarkozy et François Hollande, il tient les journalistes à distance et souhaite « ne pas avoir une présidence bavarde pour que la parole présidentielle garde de la solennité ». Il se livre néanmoins à un exercice de pédagogie pendant plus d’une heure et l’on peut valablement s’attendre à ce que cela se reproduise. Depuis que la société est entrée dans l’ère de l’information continue, de la communication permanente, du tout technologique, aucun Président n’a su durablement raréfier sa parole.
Le temps de la pédagogie et de l’explication est indispensable à toute action politique. Est-ce pour autant au Président de la République de s’y livrer ? Sans doute, mais toujours avec parcimonie et solennité, sur des sujets ciblés et essentiels. Le reste de la tâche doit incomber au Premier ministre, au Gouvernement et au parti de la majorité.
Ensuite, les journalistes se sont étonnés de son « hyperprésidence » et de la prise de décision très centralisée. La référence à Nicolas Sarkozy qui qualifiait son Premier ministre de collaborateur n’était pas expresse, mais explicite. Le Président a néanmoins rappelé que c’est bien le chef du Gouvernement qui en dirige l’action, tandis que les décisions stratégiques sont prises par le Président, car elles doivent être conformes au mandat que les Français lui ont donné.
Cela ne diverge en rien de la fonction présidentielle exercée par chacun de ses prédécesseurs, de Charles de Gaulle à François Hollande. Chacun a son style, tous exercent leur fonction à l’identique. Le Chef de l’État est d’abord chef, c’est-à-dire un capitaine qui impose une direction. Emmanuel Macron l’a pleinement intégré et assumé, en se présentant devant la représentation nationale le 3 juillet dernier.
C’est là, enfin, qu’il avait décliné l’action politique de son mandat. Hier fut confirmé qu’on « ne change pas la société en une loi » et que la plénitude des réformes serait visible d’ici à un an et demi, deux ans. Cela paraît rompre, une nouvelle fois, avec les mandats précédents qui succombaient à l’immédiateté. Mais cela s’inscrit toujours dans une incroyable continuité.
L’action politique prend du temps. L’élaboration d’une loi prend du temps. La mesure de ses effets prend du temps.
Car la première suppose le recours à plusieurs instruments (plusieurs lois, plusieurs décrets, plusieurs arrêtés, plusieurs circulaires). Car la deuxième impose une réflexion, une construction et un échange entre les divers acteurs politiques que sont le Gouvernement, le Parlement mais aussi les destinataires de la réforme, s’ils sont associés au processus. Car la troisième requiert une réception par ces destinataires, éventuellement une adaptation aux contraintes pratiques et, toujours, de la patience.
Or la grande ambition réformatrice de l’actuel Président de la République est incontestablement louable, au moins dans son principe. Mais il est difficilement envisageable d’en percevoir une entière visibilité, censée inclure les effets, en à peine deux ans.
Cela annonce et fait craindre un maintien de l’accélération du temps législatif et un énième accroissement de la durée des débats au Parlement. À moins que, pire, cette institution démocratique soit définitivement abaissée au rang de simple enregistreur d’une volonté technocratique. Ce que les prédécesseurs du Président en exercice avaient déjà sérieusement entamé.
Le temps nous dira si c’est effectivement consommé.