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« La Constitution a besoin d’une “ cure de jouvence ” »
Ce billet est initialement paru sous forme de tribune dans Le Monde du 27 janvier 2023.
La Loi fondamentale de la Ve République s’apprête à devenir la plus pérenne de l’histoire de notre pays. Cela souligne sa capacité à résister aux crises, affirme, dans une tribune au « Monde », le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier. Néanmoins, des ajustements semblent nécessaires pour rétablir l’équilibre des pouvoirs.
En 2023, la Constitution de la Ve République célèbrera son soixante-cinquième anniversaire et passera alors à la postérité comme la Constitution la plus durable de notre histoire, dépassant celle de la IIIe République (1875-1940). Même si le sujet est d’actualité, elle n’a pas pour autant atteint l’âge de la retraite et peut au contraire encore s’appliquer de longues années. Elle a su, jusqu’à présent, s’adapter à de multiples situations et résister à de nombreuses crises, révélant l’équilibre idoine qu’elle établit entre souplesse et robustesse des institutions : celles-ci s’en trouvent suffisamment souples pour s’adapter à la diversité des situations et suffisamment robustes pour résister aux différentes crises.
Pour autant, une « cure de jouvence » serait utile. En effet, quoiqu’il s’agisse bien d’un régime parlementaire – et les élections législatives de 2022 le soulignent particulièrement, confirmant qu’elles sont les seules à effectivement attribuer le pouvoir –, la prépondérance de l’Exécutif et, en particulier, du Président de la République engendre un déséquilibre institutionnel qui peut être nuisible et qui doit être corrigé. Un débat et une réflexion méritent d’être engagés, qu’ils soient scientifiques ou politiques, les premiers pouvant d’ailleurs nourrir, voire engendrer les seconds. De nombreuses propositions peuvent être formulées mais, face à une balance déséquilibrée, seules deux possibilités existent pour rétablir l’équilibre : soit retirer du poids d’un côté, soit en rajouter de l’autre.
Plutôt que de chercher à affaiblir l’Exécutif, il paraît plus judicieux de renforcer le Parlement, pour au moins deux raisons. D’une part, le Président étant élu directement par le peuple, son affaiblissement pourrait être assimilé à une régression démocratique plutôt qu’à un progrès. D’autre part, à l’aune des différentes élections présidentielles, nous avons pu constater que tous les candidats qui se qualifient pour le second tour, réunissant ainsi une grande majorité à eux deux, ne prônent jamais un affaiblissement des pouvoirs du Président. Au contraire, les candidats défendant une telle évolution ne parviennent jamais à s’imposer. C’est donc que les Français sont attachés à la place qu’occupe le Président de la République.
À l’inverse, le renforcement du Parlement serait la traduction directe d’un rééquilibrage et d’un affermissement démocratiques. On a pu voir, au cours des débats budgétaires, à quel point le Gouvernement était en mesure de contraindre le pouvoir législatif, notamment par le recours à l’article 49, alinéa 3 de la Constitution. On pourra encore constater, alors que s’ouvre le débat sur la réforme des retraites, que ce pouvoir de contrainte s’étend au-delà de ce seul article, puisqu’une réforme d’une telle importance va être inscrite et discutée dans le cadre d’une loi spécifique de financement de la sécurité sociale – dont l’adoption suppose une procédure constitutionnelle particulière, qui l’enferme notamment dans des délais très brefs. S’il est certain qu’une telle prépondérance du pouvoir exécutif sur le Parlement limite l’expression démocratique de ce dernier, il faut aussi reconnaître que l’efficacité du régime commande que des lois puissent être adoptées, en particulier la loi de finances, justifiant que des mécanismes spécifiques soient déployés, afin de rationaliser le parlementarisme.
L’équilibre du régime passe alors par l’usage lui-même équilibré de ces mécanismes, dont il faut savoir user sans en abuser, au bon moment et pour une finalité appropriée. C’est ici, entre autres sujets, qu’une réflexion doit être engagée, pour déterminer si ces mécanismes doivent être encadrés davantage, s’il faut supprimer ou remodeler l’usage de cet article 49, al. 3 et, plus largement, s’il est nécessaire de réformer plus en profondeur la procédure législative, par exemple en conférant au Parlement la pleine maîtrise de son ordre du jour, en supprimant le droit d’amendement de l’Exécutif, ou encore en repensant l’organisation des différentes lectures. Au-delà, d’autres pistes peuvent encore être explorées pour renforcer notre démocratie parlementaire, en réfléchissant au calendrier électoral – faut-il organiser les élections législatives avant, en même temps ou après l’élection présidentielle ? –, ou au lien entre le Président de la République et le Parlement – faut-il contraindre le premier à venir se présenter devant le second ?
À l’horizon du soixante-cinquième anniversaire de la Constitution, il est judicieux que des experts s’impliquent dans une réflexion destinée à nourrir sa modernisation pour garantir sa pérennité. Elle montrera alors que, loin d’avoir atteint l’âge de la retraite, elle a vocation à s’appliquer encore de nombreuses années.
Mots-clés: Démocratie, Article 18, Article 45, Article 47, Article 47-1, Article 48, Article 49, Gouvernement, Président de la République, Parlement, Élection présidentielle, Élections législatives, Régime parlementaire, Loi de finances, Droit d'amendement, Loi de financement de la sécurité sociale, Ordre du jour, Pouvoir exécutif, Pouvoir législatif, Procédure législative