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Le Sénat et la réforme des institutions

Alors que l’Assemblée nationale entame l’examen de la révision constitutionnelle relative à la Nouvelle-Calédonie – dont on a déjà signalé le caractère inopportun –, Gérard Larcher et François-Noël Buffet ont présenté, mardi dernier, les « vingt propositions d’évolution institutionnelle » du Groupe de travail sur les institutions du Sénat. Articulées autour de cinq axes, elles se situent dans le prolongement des quarante propositions formulées en 2018, alors que l’Exécutif espérait procéder à une révision constitutionnelle d’ampleur.

Ces vingt propositions ont surtout vocation à souligner, d’une part, qu'aucune évolution institutionnelle ne se fera sans la contribution active du Sénat. D’autre part, elles prouvent que le Sénat, lui, est en mesure de mener de telles réflexions et d’aboutir à de véritables propositions, contrairement à ce que promet le Président de la République. En effet, le Président du Sénat a bien rappelé quelques faits, qui traduisent l’échec cuisant de l’Exécutif en la matière : l’abandon contraint de la réforme institutionnelle de 2018, l’absence d’inscription à l’ordre du jour du projet de loi constitutionnelle de 2019, la promesse de convocation d’une « commission transpartisane » lors de la campagne de 2022 qui, pourtant, n’a jamais vu le jour.

 

Peu ambitieuses, on pourrait y voir le signe que le Sénat sait qu’aucune réforme constitutionnelle ne pourra aboutir 

Certaines de ces propositions rejoignent celles qui ont pu être formulées au sein du GRÉCI, le Groupe de réflexion sur l’évolution de la Constitution et des institutions, réuni au cours de l’année 2023 et dont les résultats des travaux sont désormais disponibles sur une plateforme dédiée.

Aucune proposition ne concerne spécifiquement le Sénat, mais plusieurs concernent le Parlement. Tel est le cas de la première d’entre elles qui, afin de « retrouver l’ancrage territorial des parlementaires », entend réautoriser le cumul entre un mandat parlementaire et un mandat exécutif local. Il est incontestable que l’attachement territorial des parlementaires, qu’ils soient députés ou sénateurs, mériterait d’être renforcé. Faut-il pour autant revenir à une situation contribuant à l’exception française ? Une solution, souvent avancée ici, serait d’imaginer un mode de désignation des sénateurs permettant à la fois d’en moderniser la représentativité et d’assurer un lien direct avec les collectivités territoriales qu’ils représentent. Concernant les députés, d’autres moyens que le retour du cumul leur conféreraient une implantation territoriale et renforceraient leur rôle de parlementaire. On peut ainsi davantage les associer aux décisions locales et à la détermination des politiques de leur territoire, en agissant sur leur statut et en renforçant leur rôle d’interlocuteur des différentes autorités locales.

D’autres propositions sont une réaction à certaines décisions du Conseil constitutionnel. Il est ainsi proposé d’élargir les conditions de recevabilité des amendements : le Sénat goûte peu les censures des cavaliers législatifs, en particulier lorsqu’elles le concernent (comme pour la « loi immigration »), alors qu’elles contribuent pourtant à la qualité de la loi. Elles contribuent certes à limiter l’initiative législative des parlementaires, mais celle-ci est suffisamment étendue pour mériter quelques encadrements, permettant d’éviter à la loi d’être trop bavarde, ce qu’elle est déjà beaucoup.

De même, il est proposé que les ordonnances « n’acquièrent force de loi qu’à compter de leur ratification expresse », afin de revenir sur la jurisprudence dite Force 5, dont on a déjà souligné à quel point elle préservait les droits des justiciables et du Parlement, au détriment de ceux de l’Exécutif. Il est dommage que le Sénat n’en ait pas encore pris la juste mesure, alors qu’il est soucieux de mieux encadrer ces ordonnances et formule d’ailleurs de pertinentes propositions en ce sens, dont la caducité automatique faute de ratification, également avancée dans le cadre du GRÉCI.

Plusieurs propositions sont relatives au référendum, tant au niveau local que national. Le Sénat propose ainsi le contrôle systématique des actes préparatoires par le Conseil constitutionnel, mais on s’étonne qu’il ne soit pas plus simplement proposé de contrôler la constitutionnalité du projet de loi soumis à référendum, seul gage du respect de la hiérarchie des normes. Concernant le RIP, il est à la fois proposé de l’assouplir, en abaissant le seuil des signatures citoyennes requises (5% du corps électoral) et de le durcir, en interdisant qu’il puisse porter sur l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins de trois ans ou sur une disposition en cours de discussion au Parlement. Il s’agit là d’empêcher l’usage que l’opposition a su faire de cet instrument et auquel il n’était pas destiné, ce qui ne contribue certainement pas à la préservation du pluralisme et du débat démocratique, alors que, parallèlement, un seuil abaissé à 5% demeure particulièrement exigeant.

Enfin, de nombreuses propositions concernent les élus locaux et ne relèvent pas d’une réforme constitutionnelle (responsabilité et protection des élus). Elles pourraient donc donner lieu à une initiative sénatoriale, qu’il serait plus aisé de mener à son terme car, d’une part, le Sénat est dans son rôle de protection des élus locaux et, d’autre part, aucun référendum ne serait requis.

En définitive, c’est surtout le caractère peu ambitieux de l’ensemble de ces propositions qui étonne. Alors qu’en 2018, le Président Larcher se voulait ferme sur certaines positions et innovant sur d’autres, la version 2024 paraît édulcorée, marquée de quelques propositions consensuelles ou rabâchées (mais non moins utiles). Faut-il alors vraiment y voir les conditions sénatoriales à une révision constitutionnelle pouvant aboutir ? Formellement, tel est le but.

Mais on pourrait tout autant y voir le signe que le Sénat sait qu’aucune réforme constitutionnelle d’ampleur ne pourra aboutir…

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