entete

Le Pen à la peine

« Soutenez Marine ! Défendez la démocratie ! »

Telle est la pétition lancée par l’extrême droite pour venir au secours de Marine Le Pen, que des faits accablants promettent à une condamnation probable.

Fréquemment, le tribunal de l’opinion condamne avant même que le tribunal judiciaire ne puisse se prononcer. Voici qu’aujourd’hui, alors que le tribunal correctionnel remplit son office, comme la loi l’y oblige, l’opinion est appelée à la rescousse : il y aurait scandale démocratique, car un procureur a demandé l’application de la loi à l’égard d’une candidate putative de la prochaine élection présidentielle, par ailleurs deux fois qualifiée au second tour des deux précédents scrutins.

Le scandale démocratique est celui de jeter l’opprobre sur notre système de justice, pour le rendre suspect

 

Ce procureur viendrait ainsi priver les Français de la possibilité de faire un choix démocratique.

Quelques rappels s’imposent.

D’abord, à ce jour, Marine Le Pen n’est pas condamnée. Si elle devait l’être, ce ne serait qu’au terme d’un délibéré et d’un jugement, rendu non par le procureur, mais par des juges. Le procureur, quant à lui, s’est borné, comme il en a le devoir, à prendre des réquisitions. Seuls les magistrats du siège prononceront la peine, en toute indépendance (et, ajoutons, en toute impartialité) vis-à-vis des réquisitions du procureur, par lesquelles ils ne sont pas tenus.

Ensuite, dans ses réquisitions, le procureur est encadré par la loi. D’une part, l’article 31 du code de procédure pénale prévoit que « Le ministère public exerce l'action publique et requiert l’application de la loi, dans le respect du principe d’impartialité auquel il est tenu ». D’autre part, l’article 458 du même code lui impose de prendre ses réquisitions « au nom de la loi ». Ajoutons, enfin, que l’article 30 de ce code donne compétence au Ministre de la Justice pour adresser « aux magistrats du ministère public des instructions générales », afin de définir la politique pénale. Mais il « ne peut leur adresser aucune instruction dans des affaires individuelles », selon cette même disposition.

En d’autres termes, lorsque le procureur prend ses réquisitions, il demande simplement à ce que la loi soit appliquée, au regard des circonstances de l’espèce, en demeurant impartial. Si son action devait dépasser ce cadre légal, il pourrait alors être sanctionné et, dans ce cas. Il appartiendra à quiconque s’y croira fondé de saisir le Conseil supérieur de la magistrature en ce sens.

Par conséquent, à ce jour, un procureur a demandé l’application de la loi, ainsi que la loi non seulement le lui permet, mais l’y oblige. C’est en ne tirant pas les conséquences des faits établis qu’il ferait violence à notre droit. Soutenir qu’il priverait les Français de la possibilité de faire un choix démocratique est donc faux.

De surcroît, s’il appartient en effet aux électeurs de choisir leur Président de la République, ce n’est pas à eux que revient la possibilité de désigner les candidats à l’élection présidentielle. Les règles de candidature sont précisées par la loi, laquelle impose, en particulier, d’être éligible.

Or la loi, toujours, prévoit que, pour certains délits, une peine complémentaire d’inéligibilité doit être prononcée, sauf à ce que le tribunal en décide autrement, en motivant spécifiquement sa décision. Cette complémentarité directe résulte d’une réforme votée en 2016 (la fameuse loi « Sapin 2 »), sur laquelle, d’ailleurs, les deux députés d’extrême droite de l’époque, Gilbert Collard et Marion Maréchal-Le Pen, s’étaient abstenus en première lecture. On ne peut soutenir qu’il s’agirait d’une peine « automatique », puisque, précisément, le juge peut décider de ne pas la prononcer, à condition de justifier sa décision. Ce serait parfaitement possible en l’espèce, mais encore faut-il que le juge dispose des éléments de justification nécessaires : selon le procureur, ils font défaut. Mais seul le juge décidera.

Enfin, cette réforme introduisant la complémentarité directe de la peine d’inéligibilité était motivée par la volonté de renforcer la lutte contre la corruption, ainsi que l’exemplarité des décideurs, notamment les décideurs publics, dont les élus. Ce sont autant d’objectifs qui constituent des arguments récurrents dans les discours de l’extrême droite. Comme l’ont rappelé récemment plusieurs journalistes, Marine Le Pen écrivait elle-même en 2012 que « l’arme de l’inéligibilité devra être utilisée avec beaucoup plus de rigueur ». Ce fut l’objet de la réforme de 2016, dont elle devrait pourtant se satisfaire… sauf pour elle-même, semble-t-il.

La situation est donc claire. Un procureur a demandé l’application de la loi, démocratiquement votée par le Parlement, au cas d’espèce, ainsi que la loi, toujours aussi démocratiquement votée par le Parlement, le lui impose. Des juges, dont la loi et la Constitution préservent l’indépendance et l’impartialité, rendront une décision. Cette dernière le sera « au nom du peuple français », dans le respect de nos principes démocratiques.

Par conséquent, s’il y a bien un scandale démocratique, c’est incontestablement celui de jeter l’opprobre sur notre système de justice, pour tenter de le rendre suspect aux yeux des Français. Il est sans doute toujours perfectible, mais il existe pour le bien de tous.

La justice est garante de l’État de droit, sur lequel elle veille. Les juges s’appuient d’abord sur des faits, puis sur la loi pour rendre la justice. C’est précisément ce qui en garantit l’indépendance, l’impartialité et l’efficacité et nous préserve d’une justice arbitraire ou politique.

Soutenir la démocratie revient ainsi à soutenir les juges dans leur office et à prôner l’application de la loi.

Budget et Constitution

Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un œil sur la Constitution », in Nouvel Obs

*

Fait exceptionnel, presque qualifiable d’inédit : l’Assemblée nationale a rejeté, par 362 voix contre 192, la première partie du projet de loi de finances pour l’année 2025. Ce rejet emporte celui de l’ensemble du projet de loi, qui poursuit ainsi le cheminement de la procédure législative en étant transmis au Sénat, dans sa version initiale, c’est-à-dire tel qu’il avait été déposé sur le bureau de l’Assemblée, sans aucun des amendements qui ont été adoptés. Resituons brièvement le contexte, avant de livrer quelques éléments d’analyse.

La loi de finances est composée de deux parties : la première détermine les recettes et la seconde est relative aux dépenses. Un vote doit avoir lieu sur chacune d’entre elles et il n’est pas possible d’examiner la seconde tant que la première n’est pas adoptée. La raison paraît évidente : si on n’acte pas « d’entrées » dans les caisses de l’État (les « recettes »), il n’est pas possible d’engager « des sorties » (les dépenses). Ce principe a pourtant dû être affirmé par le Conseil constitutionnel puisqu’en 1979, un cas similaire s’était produit : l’Assemblée nationale n’avait pas rejeté l’ensemble de la première partie (à l’époque, un tel vote n’existait pas), mais l’article dit « d’équilibre », soit celui qui détermine, en fin de première partie, l’état des recettes escomptées et qui doit ainsi fixer un plafond des dépenses. En rejetant cet article, c’était en réalité l’ensemble des recettes qui était remis en cause. Malgré cela, à l’époque, l’Assemblée avait poursuivi l’examen de la seconde partie du projet de loi de finances. Dans sa décision du 24 décembre 1979, le Conseil avait censuré l’intégralité du budget.

Petite fable dans un pays au Gouvernement fragile

Il était une fois, dans un pays au Gouvernement fragile – on notera, au passage, l’emploi délibéré du singulier dans cette dernière qualification –, un Premier ministre qui devait affronter un débat budgétaire. En soi, telle aventure pourrait paraître bien ordinaire : elle se répète chaque année, dans chaque démocratie, traduisant la vitalité démocratique de pays soucieux du débat. Il peut arriver, assez occasionnellement en réalité, qu’un Gouvernement n’y survive pas mais le budget, quant à lui, parvient généralement à être adopté, sous une forme ou sous une autre.

Ce sera également le cas dans le pays concerné, malgré la triple fragilité du Gouvernement. Cette fragilité tient en effet, d’abord, à la « majorité » étroite sur laquelle il peut s’appuyer qui, d’ailleurs, en foi de majorité fait davantage office de « minorité », puisqu’elle ne compte que 211 députés sur 577, soit à peine 36,6% des effectifs, bien loin d’une majorité absolue. Ensuite, elle tient au caractère éclaté de la coalition soutenant le Premier ministre, qui se compose de quatre forces politiques, certaines s’étant parfois frontalement opposées dans un passé assez récent. Enfin, ce Gouvernement est d’autant plus fragile que son avenir est placé entre les mains d’une seule et unique cinquième force politique qui, pour le moment, le soutient tacitement mais pourrait décider de le renverser à tout moment, ou presque. Cette force politique n'est pas anodine car il s’agit de l’extrême droite, dont on sait que le soutien en question peut avoir un effet repoussoir et conduire d’autres forces politiques à renoncer au leur.

Motion de clôture

Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un œil sur la Constitution », in Nouvel Obs

*

La motion de censure qu’affronte aujourd’hui Michel Barnier vient clore la séquence ouverte depuis le 9 juin et la dissolution, avant que n’en débute une nouvelle, dès le lendemain, avec la présentation du budget pour 2025. Elle n’aboutira pas, faute d’atteindre les 289 voix requises. Davantage qu’à une motion de censure, elle s’apparente donc à une motion de clôture.

Depuis le 9 juin, notre pays est plongé dans une crise politique, dont les racines sont bien plus anciennes et qui a multiplié les interrogations : pourquoi une dissolution ? L’extrême-droite gouvernera-t-elle ? Le front républicain fonctionnera-t-il ? L’Assemblée nationale est-elle gouvernable ? Quelle majorité peut se dessiner ? Qui sera Premier ministre ? Quelle coalition rejoindra le Gouvernement ? Combien de temps ce dernier pourra-t-il se maintenir ?

S’abonner à la lettre d’information
logo blanc