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Le Président de la République peut ne pas promulguer la Loi Duplomb

Ce billet est initialement paru sous forme de tribune pour Le Monde, cosignée avec Laurent Fonbaustier, Arnaud Gossement et plusieurs autres de mes collègues

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La pétition s’opposant à la loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, dite « Loi Duplomb » du nom du sénateur à l’origine de la proposition de la loi, connaît non seulement un succès retentissant, mais aussi historique et inédit. C’est la première fois qu’une telle pétition dépasse le seuil de 500 000 signatures, conduisant à la possible organisation d’un débat en séance publique à l’Assemblée nationale, auquel la Présidente de l’Assemblée s’est dite favorable.

Et, surtout, elle a dépassé le million de pétitionnaires. Une telle mobilisation ne peut laisser indifférent.

La loi a été adoptée le 7 juillet dernier et elle est actuellement examinée par le Conseil constitutionnel, qui rendra sa décision dans les prochains jours. La pétition est naturellement sans incidence sur son office, puisqu’elle ne porte pas, en elle-même, sur la constitutionnalité et, en tout état de cause, ne saurait inférer dans une procédure totalement distincte.

Emmanuel Macron rappelle qu'il ne s'interdit jamais d'user d'un droit que la Constitution lui confie : il a la possibilité de ne pas promulguer la loi

De même, cette pétition ne peut avoir pour effet, en elle-même, d’abroger la loi. Une loi adoptée ne peut être abrogée que par une autre loi et il faudrait alors qu’un parlementaire ou le Premier ministre décide du dépôt d’une proposition ou d’un projet de loi visant à l’abrogation de la loi Duplomb.

En revanche, il existe une possibilité pour que cette loi ne soit pas promulguée.

En effet, sans préjuger de ce que sera la décision du Conseil constitutionnel, une fois qu’il l’aura rendue et en supposant qu’il en valide la conformité à la Constitution, intégralement ou partiellement, la loi sera soumise au Président de la République pour promulgation. Tenu d’y procéder dans un délai de quinze jours, ce dernier dispose toutefois de la faculté ouverte par l’article 10, alinéa 2 de la Constitution, de demander une nouvelle délibération au Parlement. Celle-ci ne peut être refusée mais sa demande, soumise au contreseing, doit formellement être validée par le Premier ministre. Bien que cette prérogative ne fût utilisée qu’à trois reprises depuis le début de la Ve République, il s’agit d’une véritable forme de droit de veto suspensif permettant au chef de l’État de ne pas promulguer une loi et de la renvoyer au Parlement, pour que ce dernier l’examine à nouveau, en reprenant l’intégralité de la procédure législative. Par ailleurs, cette demande de nouvelle délibération peut ne porter que sur une partie seulement de la loi.

Les deux dernières fois que ce droit fut mobilisé, en 1985 et en 2003, il était destiné à remédier à une déclaration d’inconstitutionnalité partielle, prononcée par le Conseil constitutionnel. Plutôt que de promulguer la loi, puis de devoir déposer un nouveau projet de loi pour corriger ce qui avait été censuré, François Mitterrand puis Jacques Chirac décidèrent de demander immédiatement au Parlement de revoir la loi pour adopter des mesures qui soient conformes à la Constitution.

La première utilisation remonte à 1983 et n’avait d’autre vocation que d’empêcher la promulgation d’une loi, devenue inutile : la loi sur l’exposition universelle de 1989 avait été adoptée à une époque où Paris était candidate pour accueillir cette exposition mais, entretemps, la candidature avait été retirée, si bien que la loi avait perdu son objet. Afin d’éviter de devoir abroger la loi immédiatement après sa promulgation, François Mitterrand prit l’initiative d’utiliser ce droit pour la première fois et de demander une nouvelle délibération au Parlement… qui n’eut jamais lieu, le texte n’ayant jamais été inscrit à l’ordre du jour.

Aujourd’hui, prenant conscience de la mobilisation populaire contre la loi Duplomb et soucieux des sujets relatifs à l’environnement – on se souvient de la réponse adressée à Donald Trump lorsqu’il décida de se retirer de l’accord de Paris : « Make our Planet great again » –, Emmanuel Macron a parfaitement la possibilité de ne pas promulguer la loi, lorsqu’elle lui sera soumise. Il n’est tenu par aucun motif et peut le faire discrétionnairement, alors qu’il aime également rappeler qu’il ne s’interdit jamais d’user d’un droit que la Constitution lui confie.

Sans aller jusqu’à l’abrogation pure et simple de la loi Duplomb, ce serait une façon de conférer un impact réel à la pétition initiée par une jeune étudiante de 23 ans qui concluait son initiative en disant : « Aujourd’hui, je suis seule à écrire, mais non seule à le penser ». En effet, les Français sont plus d’un million à penser comme elle et il ne serait pas inutile que l’Assemblée nationale débatte effectivement de cette loi, car n’oublions pas qu’elle ne l’a jamais fait. Lors de son examen en première lecture, une motion de rejet avait été adoptée, soit un levier procédural qui avait permis de couper immédiatement court au débat. Traditionnellement utilisé par l’opposition pour rejeter un texte, cette motion avait cette fois été soutenue par le rapporteur même du texte, afin de contourner la discussion des près de 3 500 d’amendements déposés. En définitive, le texte n’a été débattu que de façon générale, après un accord en commission mixte paritaire.

Afin de permettre que ce débat ait lieu, non seulement dans le cadre d’une pétition qui n’aura pas d’autre effet que de créer un instant politique, le Président de la République peut donc utiliser l’un de ses droits constitutionnels pour inviter l’Assemblée nationale à se saisir de nouveau de ce texte controversé et, surtout, aux conséquences néfastes pour l’environnement et la santé publique.

Retraites : saisir le Parlement est une nécessité démocratique et constitutionnelle

Ce billet est initialement paru sous forme de tribune pour Le Monde

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La réforme des retraites imposée à marche forcée par le Gouvernement et, surtout, le Président de la République en 2023 a causé une triple fracture, dont la cicatrice ne disparaîtra jamais.

La fracture est d’abord sociale, en raison du passage en force, en dépit de toute négociation avec les partenaires sociaux. La fracture est également démocratique, tant les citoyens paraissaient majoritairement et frontalement hostiles à cette réforme qui les concerne tous (ou presque), l’absence de concertation dans la réalisation de la réforme n’ayant pas favorisé leur adhésion. Enfin, la fracture est institutionnelle et parlementaire, la voie procédurale choisie et les leviers juridiques mobilisés ayant permis d’imposer une réforme contre la volonté de la majorité parlementaire. On se souvient ainsi du cumul des mécanismes des articles 47-1 (loi de financement rectificative de la sécurité sociale, permettant des contraintes procédurales), 44, al. 3 (vote bloqué) et 49, al. 3 de la Constitution (absence de vote), auxquels s’ajoutent les ressorts des règlements des assemblées.

Interview : Réforme de la justice des mineurs censurée par le Conseil constitutionnel : « La loi Attal cherchait à passer par un trou de souris »

Cette interview est initialement parue sur liberation.fr.

Jean-Philippe Derosier, spécialiste de droit constitutionnel, revient sur les décisions récentes de l’institution, notamment celle de censurer plusieurs articles de la loi sur la justice des mineurs. Il en réfute le caractère politique.

Propos recueillis par Chloé Pilorget-Rezzouk

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C’est un camouflet majeur. Le Conseil constitutionnel a censuré, jeudi 19 juin, six articles phares du texte de l’ex-Premier ministre, Gabriel Attal, visant à « renforcer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents ». L’article 4 et l’article 7, concernant la création de comparutions immédiates et la restriction de l’atténuation des peines pour les mineurs de plus de 16 ans, dans les cas les plus graves de récidive, ont notamment été retoqués par l’institution de la rue Montpensier. Ces dispositions avaient donné lieu à d’âpres débats au Parlement et à un accueil glacial des acteurs de la justice des mineurs. Après cette décision, le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, a déclaré, vendredi 20 juin, être favorable à une réforme constitutionnelle pour abaisser la majorité pénale à 16 ans… Le spécialiste de droit constitutionnel et professeur des universités, Jean-Philippe Derosier, revient sur la décision des Sages.

Dissolution, un an après

Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un œil sur la Constitution », in Nouvel Obs

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Un an après la dissolution prononcée par le Président de la République au soir du 9 juin 2024, plusieurs interrogations persistent. Les plus importantes sont au nombre de trois : pourquoi, pour quoi, quand ?

Pourquoi ? Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il décidé de dissoudre l’Assemblée nationale après l’annonce des résultats des élections européennes ? On a toujours soutenu que cette décision était inévitable et prévisible (voir Un œil sur la Constitution du 11 juin 2024 : « Une dissolution inévitable »).

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