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Nouvelle-Calédonie : les vrais enjeux du projet de loi constitutionnelle

Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un oeil sur la Constitution », in Nouvel Obs.

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« Le jour le plus important, ce n’est pas celui du référendum, c’est le lendemain », selon la célèbre formule de Jean-Marie Tjibaou, en 1988. En effet, une nouvelle période s’est ouverte pour la Nouvelle-Calédonie à compter du 13 décembre 2021, soit le lendemain de la troisième et dernière consultation prévue par l’Accord de Nouméa de 1998.

Ce dernier, qui a valeur constitutionnelle depuis une décision du Conseil constitutionnel du 15 mars 1999, régissait une période transitoire d’une durée de vingt années, au cours de laquelle un processus d’accès à l’indépendance du Pays pouvait être organisé. Pour que l’indépendance soit définitive, elle devait être validée par les électeurs. L’Accord prévoyait qu’en cas de victoire du Non à la première consultation, une deuxième pouvait être demandée et, si le résultat devait à nouveau être négatif, une troisième et dernière consultation pouvait être organisée.

 

Une telle réforme pourrait être perçue comme un passage en force, lequel bloquerait davantage qu’il ne favoriserait l’aboutissement d’un nouvel accord

 

Les Indépendantistes avaient décidé d’aller jusqu’au bout du processus. La première consultation eut lieu le 4 novembre 2018 et le Non l’emporta avec 56,67% des suffrages. Lors de la deuxième consultation du 4 octobre 2020, le Non l’emporta de nouveau, mais avec un score plus faible, de 53,26%, soit une baisse de plus de trois points. Dût-elle se reproduire que l’indépendance aurait pu être acquise. Mais tel ne fut pas le cas puisque, lors de la consultation du 12 décembre 2021, le Non l’emporta avec un score de 96,50%, mais une participation de seulement 43,87%, alors qu’elle était de près du double en 2020. La raison en est que les Indépendantistes avaient appelé à boycotter cette consultation, car ils considéraient que le contexte économique et, surtout, épidémique et pandémique paralysaient le territoire (confinement strict en septembre et octobre, puis un confinement plus allégé en novembre et, en décembre, un simple couvre-feu et recours au passe sanitaire), au point de ne pas permettre une campagne sereine.

C’est dire si le contexte était alors tendu, les Indépendantistes refusant de reconnaître le résultat du scrutin, tandis que les Loyalistes appelaient à discuter le statut autonomique, afin de remplacer l’Accord de Nouméa, qui devenait caduc.

La difficulté est d’autant plus grande que la négociation d’un tel statut suppose d’aborder l’un des deux sujets fondamentaux pour le Pays : le droit de vote et le corps électoral. En effet, afin d’éviter que des néo-arrivants joignent leurs voix à celles des Loyalistes, les Indépendantistes avaient obtenu l’exigence d’une condition de résidence de dix années, mentionnée dans l’Accord de Nouméa et reprise dans la loi organique. Eu égard à la valeur constitutionnelle du premier, le Conseil constitutionnel avait pu valider la seconde. Il avait toutefois retenu que cette exigence de durée de domiciliation valait à la date de l’élection, quelle que soit la date de l’établissement en Nouvelle-Calédonie. C’est ce que l’on a appelé le « corps électoral glissant », c’est-à-dire qu’il se complétait à mesure que le temps passait et que des résidents acquerraient les dix ans de résidence. Ce principe a été validé par la Cour européenne des droits de l’Homme en 2005.

Cependant, ce corps électoral « glissant » ne satisfaisait pas les Indépendantistes, car il permettait d’accroître progressivement le corps électoral. Ils soutenaient que l’interprétation du Conseil constitutionnel n’était pas conforme à l’intention des auteurs de l’Accord et ils ont obtenu, par une révision constitutionnelle de 2007, que le corps électoral soit « figé » : seules les personnes résidant sur l’île au 8 novembre 1998 et bénéficiant de dix années de domiciliation peuvent participer au scrutin. De fait, ce sont ainsi plusieurs milliers de résidents qui sont exclus, alors même qu’ils pourraient résider sur l’île depuis de très nombreuses années (depuis le 9 novembre 1998, par exemple).

Cette question du corps électoral est aujourd’hui au cœur des négociations. Afin de permettre de les mener à bien, une loi organique a été adoptée afin de reporter de quelques mois les élections provinciales (destinées à élire les trois assemblées de Province et le Congrès), qui devaient se tenir au mois de mai.

Cette semaine, un projet de loi constitutionnelle est discuté au Sénat, destiné à mettre un terme au corps électoral figé et à lui substituer un corps électoral glissant. Sur le plan démocratique, ce serait incontestablement une avancée, tant il est inacceptable que des personnes qui vivent sur un territoire depuis plus de vingt ans, voire qui y sont nés, ne puissent pas participer à sa vie démocratique. D’ailleurs, la France se verrait très certainement condamnée si la Cour européenne était de nouveau saisie (étant entendu qu’elle n’a jamais eu à apprécier le « corps électoral figé »).

Malgré tout, tel n’est pas le seul objectif du projet de loi constitutionnelle, qui a également vocation à presser les négociations. Ces dernières n’ont pas encore abouti, notamment en raison de ce sujet et le Gouvernement pense qu’en faisant évoluer la Constitution, les Indépendantistes seraient contraints de céder. C’est assez mal connaître les enjeux politiques de l’île, où le temps calédonien n’est pas le temps métropolitain : on ne parle pas ici de climat (ce qui serait vrai également !), mais bien de temporalité. Une telle réforme pourrait alors être perçue comme un passage en force, lequel bloquerait davantage qu’il ne favoriserait l’aboutissement d’un nouvel accord.

S’il est donc indispensable de faire évoluer la Constitution, il est nécessaire de le faire en pouvant s’appuyant sur un consensus large. Ce dernier inclut, pour la question de la Nouvelle-Calédonie, les partenaires historiques, c’est-à-dire les Loyalistes et les Indépendantistes.

Le retour du cumul

En matière de cumul des mandats, les ambitions réformatrices sont inversement proportionnelles aux pratiques qui l’ont illustré : sur ces dernières, on n’a jamais fait les choses à moitié et la France se distinguait par ses excès. En revanche, tant en 2014 qu’aujourd’hui, les réformes s’arrêtent à mi-chemin.

En 2014, le cumul entre un mandat parlementaire et un mandat d’exécutif local avait été interdit, avec effet à compter de 2017 (et 2019 pour les députés européens).

Ce jeudi, une proposition de loi organique « visant à renforcer l’ancrage territorial des parlementaires », déposée par des députés Horizons, est inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Son article unique a pour objet de rétablir la possibilité de cumuler un mandat parlementaire avec un mandat d’exécutif local, à l’exception des chefs d’exécutif (Maire, Président de département ou de région). Il serait ainsi possible d’être député et adjoint au Maire ou sénateur et Vice-président de Département ou de Région, mais pas député et Maire ou sénateur et Président de Région.

L’IVG dans la Constitution : « Une avancée historique mais surtout symbolique »

Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un oeil sur la Constitution », in L'Obs.

 

« Un oeil sur la Constitution ». Pour sa première contribution à L’Obs, le professeur de droit public Jean-Philippe Derosier explique que les débats sur le choix de la formule n’avaient pas d’autre objectif que de ralentir le processus. Car pour être pleinement garantie, l’IVG suppose de nombreux mécanismes qui échappent à la Constitution. Professeur agrégé de droit public à l’Université de Lille et titulaire de la Chaire d’Études parlementaires, il est responsable d’un groupe de réflexion sur l’évolution de la Constitution, le GRÉCI, qui a publié ce 4 mars l’ensemble des 130 propositions formulées au sein de ce Groupe.

 

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L’instant est historique. Mais il est surtout symbolique.

Ce 4 mars 2024, le Parlement s’est réuni en Congrès pour valider la vingt-cinquième révision constitutionnelle de la Ve République. L’instant est doublement historique. D’une part, la Constitution n’avait plus été révisée depuis juillet 2008, malgré plusieurs tentatives. Nous sortons ainsi d’une longue période d’immobilisme constitutionnel qui confirme que notre Constitution est à la fois suffisamment souple pour s’adapter et évoluer et suffisamment rigide pour garantir la stabilité. Cependant, si d’autres révisions sont d’ores et déjà annoncées, rien n’assure qu’elles puissent bénéficier du même succès, tant le cheminement constitutionnel est étroit. 

La législation déléguée

Le 9e ForInCIP aura lieu les 21, 22 et 23 mars 2024 et portera sur La législation déléguée.

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8e ForInCIP Affiche

 

Présentation du 9e Forum International sur la Constitution et les Institutions politiques, paru dans le JCP-A du 05 février 2024. 

Classiquement, une société démocratique moderne se caractérise par un Parlement à même d’élaborer efficacement, au nom du peuple qu’il représente, les lois initiées et souhaitées par le Gouvernement. Pourtant, le Gouvernement peut être directement investi du pouvoir de faire la loi, à rebours du principe de la séparation des pouvoirs et des fondements démocratiques d’un régime. Toutes ces questions seront étudiées, à l’échelle d’une quinzaine de systèmes juridiques, lors du 9e ForInCIP, organisé à Lille, les 21, 22 et 23 mars 2024, sur le thème de La législation déléguée.

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