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Privilégier l’intérêt national sur les intérêts personnels

Ce billet est initialement paru sous forme de Tribune dans La Croix, le 12 septembre

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Péché d’orgueil. François Bayrou, fidèle de la foi chrétienne, savait pourtant qu’il s’agit d’un péché capital… il y a néanmoins succombé. Doté d’un talent d’écoute, d’une capacité de dialogue, de plus de quarante années d’expérience politique et libéré de l’ascendance élyséenne en ayant réussi à s’imposer contre la volonté du Président de la République tout en ayant contribué à son arrivée à l’Élysée, en 2017, François Bayrou a cru que ce seul bagage serait suffisant et qu’il n’avait pas besoin de dialoguer avec les forces politiques pour emporter leur confiance… Cette vanité lui fut fatale.

La tâche est ardue, mais elle accessible et affaire de calculs : calcul arithmétique et calcul politique

Davantage préparé, son pari aurait pu fonctionner. En s’ouvrant à la négociation, il aurait pu obtenir l’abstention de certains groupes, en échange de contreparties sur le budget. Il est surprenant qu’il ne l’ait pas fait, alors qu’il connaît parfaitement le fonctionnement du jeu politique, mais il est tout aussi surprenant que le Président de la République l’ait laissé faire, en ne s’opposant pas au vote de confiance dès le 8 septembre, alors qu’il ne pouvait ignorer l’absence de dialogue, donc la fin annoncée. À moins que cette dernière ne fût précisément ce qu’il attendait, pour nommer enfin celui qu’il entendait « faire » Premier ministre dès décembre dernier, mais que François Bayrou avait précisément empêché…

Sébastien Lecornu est donc nommé Premier ministre, Emmanuel Macron égalant ainsi le record du nombre de chefs de Gouvernement sous une même Présidence (sept), détenu par François Mitterrand. Sa première priorité est de faire adopter un budget, donc d’identifier la majorité sur laquelle il pourra compter, d’une part pour valider les mesures budgétaires et, d’autre part, pour ne pas s’exposer à la censure, afin d’éviter le scénario de 2024 (rejet par motion de censure en décembre).

Le communiqué de la Présidence de la République est d’ailleurs éloquent puisque, à la différence de l’habituelle formule sobre et solennelle, « Le Président de la République a nommé « Untel » Premier ministre, et l’a chargé de former un Gouvernement », une feuille de route est cette fois précisée : « consulter les forces politiques en vue d’adopter un budget et bâtir les accords indispensables aux décisions des prochains mois ». On a pris conscience qu’une censure sur le budget serait non seulement synonyme d’échec, mais aussi de crise politique profonde qui n’aurait alors aucune autre issue qu’une nouvelle dissolution, voire la démission du chef de l’État.

La tâche est ardue, mais elle n’est pas inaccessible. Elle est affaire de calculs : calcul arithmétique et calcul politique.

La coalition qui intégrera le futur Gouvernement devrait être la même que précédemment, à savoir ce « socle commun », dont le socle est certes fragile, reposant surtout sur une communauté de divergences, mais qui est en mesure de s’inscrire dans un projet de gouvernance à court terme. Tout élargissement paraît exclu et, en particulier, aucune force de gauche n’intégrera le Gouvernement, certainement pas les Socialistes. Sébastien Lecornu peut donc compter sur 210 députés.

Face à eux, plusieurs groupes politiques sont objectivement hostiles, c’est-à-dire qu’ils s’inscriront dans une démarche de censure quasi-certaine. Tel est le cas de La France insoumise (71 députés), qui a déjà indiqué vouloir déposer une motion de censure, ainsi que, vraisemblablement, de l’extrême-droite (138 députés) qui, si elle laisse croire qu’elle « attend de voir », souhaite surtout voir une dissolution, en ayant montré que c’était là sa seule constance fiable. Cette hostilité objective repose sur 209 députés, soit un bloc relativement équivalent au soutien objectif du futur Gouvernement.

Il reste ainsi un bloc d’environ 160 députés, composé de la Gauche hors LFI et du groupe indépendant LIOT, qui tient le sort du Gouvernement entre ses mains. L’objectif de ce dernier est double : obtenir une majorité positive en nombre, à même de voter les différents articles et amendements du budget, sans coaliser une majorité absolue de députés (289) qui voteraient une motion de censure. Pour cela, le calcul doit aussi être politique.

Si la gauche « républicaine » ne participera pas au Gouvernement, elle pourrait s’inscrire dans une opposition passive, c’est-à-dire dans un « accord de non censure ». Pour cela, cependant, des gages devront lui être accordés, vraisemblablement sur deux points : les deux jours fériés et la taxation des très hauts revenus. Le premier est tellement peu soutenu qu’il ne fait guère de doute qu’un accord sera(it) trouvé – et c’est désormais le cas. Le second est plus incertain, car la Droite y est hostile et s’y opposera. Néanmoins, s’il est le seul moyen d’obtenir la validation du budget, d’éviter une censure, donc une dissolution, il est possible qu’elle s’y résigne, non sans contreparties que Bruno Retailleau saura négocier. Ministre de l’Intérieur, il pourrait ainsi exiger une loi sur la sécurité au quotidien, à la veille des élections municipales, laquelle pourrait également satisfaire des Maires de Gauche.

Une telle perspective est l’une des rares, si ce n’est la seule possible. Elle est réaliste, car elle a le mérite de satisfaire les intérêts de partis opposés, sans les réunir dans une même coalition. Est-elle pour autant réalisable ? Pour cela, ces différents partis devront faire passer l’intérêt national avant leurs intérêts personnels et partisans.

Budget : une crise politique, pas de régime

Cette interview est initialement parue dans Franc-Tireur, le 3 septembre

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Le verdict approche. En dégainant l'article 49, al. 1, François Bayrou tente de trouver une issue de secours, aussi bien personnelle que politique. S'il est désavoué, scénario le plus probable, son gouvernement tombera.
Crise politique ou crise de régime ? Nous avons demandé leurs regards au spécialiste de droit constitutionnel Jean-Philippe Derosier. Pour lui, qu'elle menace ou non nos institutions, la crise est sérieuse.
Et la marge de manœuvre d'Emmanuel Macron se réduit. Une nouvelle dissolution se profile, où planent déjà les petits calculs et les stratégies de boutique. Le RN, en embuscade, pourrait en sortir vainqueur.
Propos recueillis par Christophe Barbier.

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Comment décryptez-vous la décision du Premier ministre : engager la responsabilité du gouvernement ?

François Bayrou a voulu lancer un défi : « C’est moi ou le chaos. Soit vous me faites confiance et nous négocions entre forces politiques responsables, soit c’est le chaos car personne d’autre ne sera en mesure de faire mieux, donc il y aura dissolution. L’extrême-droite gagnera du terrain tout en perdant sa députée phare qu’est Marine Le Pen, tous les autres seront affaiblis. Et tout cela dans un moment où l’on est confronté à des crises économique et diplomatique mondiales. » Je pensais qu’il attendrait la rentrée parlementaire, mais il a d’évidence voulu précéder le 10 septembre. D’un côté, quinze jours de plus n’auraient pas été inutiles pour négocier ; de l’autre, si le 10 avait été un succès, cela rendait les choses plus difficiles.

Le pari de François Bayrou : « moi ou le chaos »

Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un œil sur la Constitution », in Nouvel Obs, le 27 août

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Prenant de court tant le mouvement « Bloquons tout » du 10 septembre que La France insoumise et la motion de censure qu’elle entendait déposer à l’ouverture de la session extraordinaire, François Bayrou a décidé de solliciter la confiance des députés, le 8 septembre prochain.

Ce mécanisme se distingue de la motion de censure, dont avait l’objet Michel Barnier, le 4 décembre dernier. Le premier est « descendant », à l’initiative du Premier ministre qui sollicite les députés, tandis que le second est « ascendant », à partir de députés qui mettent en cause le Gouvernement et décident de le renvoyer. De plus, pour qu’une motion de censure soit adoptée, il faut qu’une majorité absolue des députés composant l’Assemblée nationale la vote, sachant que seuls sont comptabilisés les votes qui lui sont favorables : s’abstenir revient à voter contre. Au contraire, la confiance est accordée à la majorité des suffrages exprimés et les députés ont donc trois options : voter pour la confiance, voter contre ou s’abstenir.

C’est pourquoi « ne pas accorder la confiance », c’est-à-dire ne pas voter « pour » et « voter contre la confiance » ne sont pas équivalents.

Le Président de la République peut ne pas promulguer la Loi Duplomb

Ce billet est initialement paru sous forme de tribune pour Le Monde, cosignée avec Laurent Fonbaustier, Arnaud Gossement et plusieurs autres de mes collègues

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La pétition s’opposant à la loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, dite « Loi Duplomb » du nom du sénateur à l’origine de la proposition de la loi, connaît non seulement un succès retentissant, mais aussi historique et inédit. C’est la première fois qu’une telle pétition dépasse le seuil de 500 000 signatures, conduisant à la possible organisation d’un débat en séance publique à l’Assemblée nationale, auquel la Présidente de l’Assemblée s’est dite favorable.

Et, surtout, elle a dépassé le million de pétitionnaires. Une telle mobilisation ne peut laisser indifférent.

La loi a été adoptée le 7 juillet dernier et elle est actuellement examinée par le Conseil constitutionnel, qui rendra sa décision dans les prochains jours. La pétition est naturellement sans incidence sur son office, puisqu’elle ne porte pas, en elle-même, sur la constitutionnalité et, en tout état de cause, ne saurait inférer dans une procédure totalement distincte.

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