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Budget 2026 : « En ayant fait du renoncement au 49.3 une condition de leur accord de non-censure, les socialistes se sont en réalité piégés eux-mêmes »

Ce billet est initialement paru sous forme de Tribune dans Le Monde, le 29 octobre

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Après la démission de François Bayrou, le 8 septembre, le Président de la République a fait le choix de nommer Sébastien Lecornu, Premier ministre en lui confiant la mission de « consulter les forces politiques en vue d’adopter un budget et bâtir les accords indispensables aux décisions des prochains mois ». Après plusieurs semaines de négociations et quelques rebondissements, dont la nomination d’un premier Gouvernement Lecornu qui ne vécut que quatorze heures, une forme d’accord de non censure semble avoir été conclu entre les forces du « socle commun » (Renaissance, MoDem, Horizons et Les Républicains) et le Parti socialiste.

Ce dernier avait posé deux conditions fondamentales à un tel accord : l’abandon de l’article 49, alinéa 3 de la Constitution et la suspension de la réforme des retraites. Il a obtenu gain de cause sur ces deux points, avec un engagement solennel de la part du Premier ministre. Cependant, rien ne garantit, d’une part, que la suspension de cette réforme soit effectivement adoptée par le Parlement, car le vote revient aux députés et aux sénateurs, qui peuvent majoritairement se prononcer contre. D’autre part, sans activation de l’article 49, alinéa 3, l’adoption même d’un budget paraît fortement compromise.

Si les Socialistes souhaitent que le budget soit adopté, ils n’ont pas d’autre possibilité que d’appeler à une adoption par 49, al. 3

Rappelons que le budget de l’État résulte de deux lois distinctes, l’une dites « de finances », qui comporte notamment toutes les mesures fiscales, telles les dispositions relatives à la taxation des plus hauts revenus (qu’il s’agisse de la « taxe Zucman » ou d’une mesure allégée), l’autre « de financement de la Sécurité sociale », qui intègre la suspension de la réforme des retraites. La discussion et le vote de chacune de ces lois opèrent séparément. De plus, chacune de ces lois appelle au moins deux votes distincts : l’un sur la partie « recettes », c’est-à-dire les mesures permettant d’abonder le budget de l’État, tels les taxes et impôts, l’autre sur la partie « dépenses », c’est-à-dire les budgets alloués à chaque ministère (ou « Missions »). Enfin, chacun de ces textes et chacun de ces votes doivent avoir lieu au fil des diverses « lectures » du textes, à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Cette multiplication de vote a pu contraindre un Premier ministre à recourir à l’article 49, alinéa 3 à de multiples reprises, lors de la discussion budgétaire (dix fois, par Élisabeth Borne, en 2022 et en 2023). En renonçant à cet article, le vote aura à chaque fois lieu à la majorité simple, c’est-à-dire qu’il faudra davantage de parlementaires « pour » le texte que de parlementaires « contre ». Si, à l’Assemblée nationale, le vote « contre » l’emportait sur la première partie du texte (relative aux recettes), le débat s’arrêterait et le texte serait transmis au Sénat, dans sa version initiale, sans intégrer aucune des modifications votées par l’Assemblée. Dans l’hypothèse où la première partie était adoptée, il faudrait encore une majorité sur l’ensemble du texte, intégrant la seconde partie (les dépenses).

Or en l’état, il n’existe aucune majorité permettant que le texte soit adopté à l’Assemblée nationale.

En effet, le « socle commun » réunit 212 députés, auxquels peuvent s’ajouter 22 députés du groupe LIOT, soit un total de 234 voix favorables au budget, à la condition qu’ils votent tous pour. Or cette condition n’est pas acquise, Les Républicains n’ayant pas exprimé leur soutien effectif ou pouvant soit s’abstenir, soit le rejeter, en raison de mesures qu’ils désapprouvent (telle la suspension de la réforme des retraites ou la taxation des hauts revenus). À l’inverse, les oppositions totalisent 265 voix contre le budget, réparties entre La France insoumise, les Communistes, les Écologistes et l’extrême droite (Rassemblement national et le groupe d’Éric Ciotti).

Les Socialistes, qui sont dans l’opposition, ne sont pas pris en compte puisqu’ils s’inscrivent dans une négociation constructive. Néanmoins, ils ont clairement indiqué qu’ils ne voteraient pas « pour » le budget, mais qu’au mieux, ils s’abstiendraient : le Gouvernement ne pourra pas compter sur leurs voix pour que le budget soit adopté. Par conséquent, en l’état, il est rejeté par 265 voix contre 234 (au mieux). Pour qu’il en aille différemment, il faudrait qu’un autre groupe (en plus des Socialistes), comprenant au moins trente-et-un députés, s’abstiennent : ce ne peut être que La France insoumise, les Écologistes ou le Rassemblement national. Les deux premiers n’ont pas manifesté la possibilité qu’ils puissent s’abstenir et il est peu probable que le Rassemblement national le fasse, dès lors qu’il souhaite la dissolution avant tout.

Par conséquent, si les Socialistes souhaitent en effet que le budget soit adopté, que la suspension de la réforme des retraites soit effective, que les avancées éventuelles en matière de taxation des hauts revenus voient le jour, ils n’ont pas d’autre possibilité que d’appeler à une adoption par la voie de l’article 49, alinéa 3. Ce dernier présente en effet l’avantage de déplacer le débat et d’imposer une règle de calcul différente.

D’une part, le débat ne porte plus tant sur l’adoption ou non du budget que sur la censure ou le maintien du Gouvernement. D’autre part, le calcul du vote n’opère plus à la majorité simple mais à la majorité absolue des membres de l’Assemblée nationale. En d’autres termes, cet article permet que le budget soit adopté si le Gouvernement n’est pas censuré et, pour qu’il le soit et que le budget soit rejeté, il faut que 289 députés se prononcent contre le Gouvernement.

Si, politiquement, les Socialistes ne peuvent voter pour le budget, ils peuvent justifier une position d’abstention à l’égard de la censure du Gouvernement, en raison des avancées dont ils ont bénéficié. Seulement, en ayant fait du renoncement à cet article une condition de leur « accord de non-censure », ils se sont en réalité piégés eux-mêmes, les contraignant désormais à appeler à l’activation de ce même article, pour « sauver » les avancées qu’ils ont obtenues. Sinon, le budget sera rejeté, le Gouvernement devra – probablement – démissionner et la dissolution sera prononcée.

La question est désormais de savoir à quel moment un tel recours aura lieu : lors du vote de la première partie, le 4 novembre, lors du vote de la seconde ou encore à la fin de la procédure, lors de la lecture définitive ? Les premières hypothèses garantiront l’adoption du budget, mais imposeront, à nouveau, un recours multiple à cet article. La dernière hypothèse permettra d’en réduire et d’en retarder l’usage, mais ne saurait assurer que toutes les mesures souhaitées par les Socialistes pourront être intégrées : si l’Assemblée nationale n’adopte aucun texte, il faudra se prononcer sur la version adoptée par le Sénat, qui n’inclura vraisemblablement ni la suspension de la réforme des retraites, ni la taxation des hauts revenus puisqu’il y est majoritairement hostile.

Le prix à payer pour sauver la Ve République

Ce billet est initialement paru sous forme de Tribune dans Libération, le 9 octobre

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Les vingt-quatre heures écoulées entre l’annonce de la composition du Gouvernement Lecornu, dimanche soir, et sa désignation comme « responsable » (il n’a pas été formellement reconduit) chargé de mener « d’ultimes négociations », par le Président de la République, lundi soir, comptent sans doute parmi les plus rocambolesques de toute l’histoire de la Ve République. Nous aurons successivement assisté à la nomination d’un Gouvernement quasi-identique au précédent (qui s’était vu priver de la confiance par l’Assemblée nationale), à l’annonce du chef des Républicains, par ailleurs Ministre de l’Intérieur, que la présence de son parti au sein du Gouvernement n’était plus garantie, à la quasi-annonce des mêmes Républicains de leur départ du Gouvernement, pris de court par la démission du Premier ministre… qui se retrouve finalement lundi à devoir mener ces ultimes négociations.

Ce Vaudeville gouvernemental confirme qu’après la démission constitutionnellement contrainte de François Bayrou, la seule solution est la dissolution… alors même que la dissolution n’est pas une solution.

Le pari de l’abandon du 49, 3 : entre faiblesse et résignation

Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un œil sur la Constitution », in Nouvel Obs, le 3 octobre

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Sébastien Lecornu l’avait annoncé : il y aurait de la rupture, sur la forme et sur le fond. Avant la rupture sur le fond, qui paraît encore se faire attendre, voici une rupture sur la forme et non des moindres. Le Premier ministre annonce solennellement renoncer à utiliser l’article 49, al. 3 de la Constitution. Cet article, rappelons-le, permet à l’Assemblée nationale (il n’est pas applicable au Sénat) d’adopter un texte sans le voter, par l’engagement de la responsabilité du Gouvernement. Soit ce seul engagement permet d’adopter le texte, soit une Motion de censure est déposée et elle est rejetée, auquel cas le texte est également considéré comme adopté. À l’inverse, si la Motion de censure est adoptée, le texte est rejeté et le Gouvernement est tenu de démissionner : tel fut le sort de Michel Barnier, le 4 décembre 2024.

Aux mêmes causes, les mêmes effets

Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un œil sur la Constitution », in Nouvel Obs, le 26 septembre

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Aux mêmes causes, les mêmes effets : à peine six mois après la condamnation de Marine Le Pen et sa diatribe déversée contre les juges, Nicolas Sarkozy a fait l’objet d’une sentence historique, le conduisant à dénoncer une décision « d’une gravité extrême pour l’État de droit, pour la confiance qu’on peut avoir en la justice ».

Dans les deux cas, nous avons une personne condamnée en première instance à une peine relativement lourde, alors qu’elles clament leur innocence (tout en reconnaissant la matérialité des faits, dans le cas de Madame Le Pen). Cette condamnation est assortie de « l’exécution provisoire », c’est-à-dire qu’elle s’applique malgré l’appel. Voici pour « les causes ».

Dans les deux cas, loin de s’émouvoir d’une peine excessive ou disproportionnée, loin de dénoncer un droit pénal trop rigoureux qui ne leur aurait pas permis de faire valoir leur – prétendue – innocence, les deux condamnés s’en prennent aux fondements mêmes de notre démocratie. Ils dénoncent un gouvernement des juges, une justice, voire des juges partiaux, une atteinte à l’État de droit. Voici pour « les effets ».

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