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Verdict dans l’affaire Marine Le Pen : le non de la loi

Ce billet est initialement paru sous forme de tribune pour Libération

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Jugement exceptionnel, dans une affaire exceptionnelle, à l’égard d’une justiciable exceptionnelle : tout aurait pu être réuni pour que le jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Paris ce 31 mars fasse figure d’exception. Inculpée et, désormais, condamnée, Marine Le Pen n’est pas une « justiciable comme les autres » : tout le monde ne concourt pas à l’élection présidentielle, a fortiori en se qualifiant à deux reprises pour le second tour et en étant placé en tête des sondages de la prochaine échéance.

Pourtant, ce verdict révèle la plus stricte application du droit commun, sans aucun déni de démocratie ni gouvernement des juges. Et c’est heureux.

À ceux qui dénoncent une justice politique, soustrayant le pouvoir des juges au pouvoir du peuple, il faut répondre que la justice est rendue au nom du peuple

Comme on pouvait s’y attendre, le jugement suscite la polémique. Tel aurait été le cas même si la solution avait été différente : aujourd’hui, d’aucuns dénoncent une justice partiale et antidémocratique et on peut parier que, si l’application immédiate de l’inéligibilité n’avait pas été prononcée, d’autres auraient dénoncé la lâcheté de nos juges. Aucune solution n’aurait emporté une satisfaction unanime, mais une seule solution s’imposait : celle que commandait le droit, que les juges sont chargés d’appliquer. C’est ce qu’ils ont fait en l’espèce, sans se laisser influencer par les pressions dont ils ont pu faire l’objet depuis ces dernières semaines et ces derniers mois.

À ceux qui dénoncent une justice politique, soustrayant le pouvoir des juges au pouvoir du peuple, il faut répondre, d’abord, que la justice est rendue au nom du peuple français. Les juges tiennent leur légitimité de l’édifice juridique qui constitue notre droit et au fondement duquel se trouve notre Constitution, que le peuple a adopté soit directement, soit par la voie de ses représentants. Les juges tiennent également leur légitimité de leur indépendance et de leur impartialité, constitutionnellement garanties, les contraignant à agir conformément au droit, qu’ils sont chargés d’appliquer, indépendamment de tout intérêt privé, partial ou partisan. Ils appliquent donc le droit, au nom du peuple, exerçant une mission de souveraineté qui leur est juridiquement et légitimement confiée par ce même peuple.

Ensuite, il faut ajouter que la justice nous protège, en veillant à la bonne application du droit et en sanctionnant ceux qui le violent. Pour cela, des procédures sont établies destinées à préserver les droits des justiciables : enquête, instruction, audience, délibéré, collégialité, verdict, appel, cassation. Ce sont autant d’éléments, parmi d’autres, qui permettent d’assurer que la justice n’est pas inique, mais sert le droit et l’intérêt général. Marine Le Pen a eu l’occasion, tout au long de cette procédure, de faire valoir ses arguments, devant plusieurs juges, à différentes étapes. In fine, une formation collégiale de trois juges, après un délibéré de plusieurs mois, a retenu que les faits qui lui étaient reprochés étaient suffisamment probants et convaincants pour constater qu’elle avait effectivement commis une infraction. Dès lors, le droit s’applique : s’il y a culpabilité, il y a peine et, en l’espèce, il y a également peine complémentaire d’inéligibilité, les juges retenant que les circonstances particulières de l’espèce commandent de l’assortir de l’exécution provisoire, c’est-à-dire de la rendre applicable immédiatement.

Au nom de la loi, ils viennent exprimer le « non » de la loi : ce ne sont pas les juges qui décident de déclarer Marine Le Pen inéligible immédiatement, mais c’est bien la loi qui l’impose.

Dénoncer un « gouvernement des juges » revient donc à commettre une grave erreur d’appréciation. Pis, en soutenant qu’il reviendrait au peuple de décider du sort de Marine Le Pen, on argumente en faveur d’une justice populaire, partiale et partisane. Serait-ce au peuple de juger tous les prévenus ? Serait-ce au peuple de décider si Untel est un violeur, si Untel est un meurtrier ou si Untel doit être acquitté ? Et, dans ce cas, en vertu de quels arguments et de quel cadre ?

Si on est désireux d’une justice indépendante, objective et impartiale, on ne peut la confier au peuple, dont les prises de positions collectives, exprimées lors d’un vote, reposent sur une argumentation et un débat politiques. Et c’est précisément ce qui correspondrait à un « gouvernement des juges » voire, pire encore, à un « gouvernement sans juge ».

Au contraire, l’indépendance de la justice, établie et garantie au nom du peuple, permet que le droit soit objectivement appliqué et c’est exactement ce que révèle le verdict dans cette affaire. Les juges n’ont pas tenu compte du débat politique, car ils n’avaient pas à le faire. Ils ont examiné les faits et appliqué les conclusions juridiques qui s’imposaient. Ils ont enfin fait application du principe constitutionnel d’individualisation des peines, en retenant que Marine Le Pen, qui, selon les faits, se trouvait au cœur de l’infraction, devait être condamnée à une lourde peine. Eu égard à son rôle dans la commission de cette infraction, à son refus persistant de la reconnaître et aux fonctions qu’elle occupe, deux risques ont enfin pu être identifiés, justifiant l’application immédiate de la peine d’inéligibilité : d’une part, un risque de récidive, dès lors qu’elle ne reconnaît pas le caractère délictuel des faits et, d’autre part, un risque d’échapper à la justice pendant un temps, précisément si elle était élue Présidente de la République, ce qui lui confèrerait une immunité.

Le droit, tout le droit, rien que le droit est ce qui justifie la condamnation de Marine Le Pen. Rien d’autre.

Trois enseignements qui n’en sont pas

Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un œil sur la Constitution », in Nouvel Obs

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La décision du Conseil constitutionnel de ce 28 mars était fortement attendue, car elle portait sur une interprétation donnée à l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité. L’intérêt suscité n’était donc pas dû au fond de la question posée au Conseil constitutionnel, mais au contexte. En effet, dans quelques jours, lundi 31 mars, le tribunal correctionnel de Paris rendra son verdict dans l’affaire des collaborateurs parlementaires des députés européens du Front national, dans laquelle Marine Le Pen est poursuivie et pourrait précisément être condamnée à une peine d’inéligibilité, avec exécution provisoire. Elle ainsi pourrait être privée d’une candidature à la prochaine élection présidentielle.

Préserver la Constitution : un impératif juridique et démocratique

Ce billet est initialement paru sous forme de tribune pour Acteurs publics

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La Constitution est la norme fondamentale de notre République, pour au moins trois raisons : elle lui donne naissance, elle permet à toutes les autres règles d’exister, elle contient les principes les plus importantes.

En effet, on considère habituellement que la Ve République est née le 4 octobre 1958, jour d’entrée en vigueur de sa Constitution : cette dernière en est ainsi le fondement, à l’instar de toute Constitution qui se trouve être le fondement de l’ordre social qu’elle établit, qui est ainsi un ordre constitutionnel. Ensuite, toutes les normes juridiques de cet ordre social existent en vertu de cette Constitution, soit parce que leurs règles d’élaboration y sont inscrites (par exemple pour les lois), soit parce qu’elles sont elles-mêmes créées en vertu de règles élaborées selon ce que la Constitution prévoit (par exemple des arrêtés ministériels ou des contrats, édictés en vertu de lois). Toutes les règles qui régissent notre vie sociale sont donc supposées respecter la Constitution. Enfin, la Constitution intègre les droits, libertés et principes les plus importants, souvent qualifiés de « fondamentaux » : on les retrouve notamment dans des textes auxquels renvoient la Constitution et qui ont pleine valeur constitutionnelle, telle la Déclaration de 1789, mais aussi dans le texte même de la Constitution, tel ses premiers articles qui posent, par exemple, les principes démocratiques.

Municipales à Paris : « Une loi peut tout à fait modifier les règles avant 2026 »

Cette interview est initialement parue dans Le Point.

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Lors d’un entretien décryptant l'actuelle loi PLM et ses probables changements, le Professeur et constitutionnaliste Jean Philippe-Derosier répond aux questions de Vincent Jaouen pour Le Point, retrouvez l’intégralité de l’article en cliquant ici


Le Point : À l'origine, pourquoi la loi PLM a-t-elle été instaurée ?

Jean-Philippe Derosier : Cette loi, décidée en 1982, visait à rapprocher les élus des électeurs dans les trois plus grandes villes de France : Paris, Marseille et Lyon. Elle s'inscrivait dans le cadre de la mise en place de statuts spécifiques pour ces villes lors de l'Acte I de la décentralisation. Ce processus avait pour objectif de renforcer les collectivités locales et de créer des arrondissements, avec deux niveaux d'élus : les élus d'arrondissement, plus proches des citoyens, et les élus de la commune, siégeant au Conseil municipal.

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