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Le prix à payer pour sauver la Ve République

Ce billet est initialement paru sous forme de Tribune dans Libération, le 9 octobre

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Les vingt-quatre heures écoulées entre l’annonce de la composition du Gouvernement Lecornu, dimanche soir, et sa désignation comme « responsable » (il n’a pas été formellement reconduit) chargé de mener « d’ultimes négociations », par le Président de la République, lundi soir, comptent sans doute parmi les plus rocambolesques de toute l’histoire de la Ve République. Nous aurons successivement assisté à la nomination d’un Gouvernement quasi-identique au précédent (qui s’était vu priver de la confiance par l’Assemblée nationale), à l’annonce du chef des Républicains, par ailleurs Ministre de l’Intérieur, que la présence de son parti au sein du Gouvernement n’était plus garantie, à la quasi-annonce des mêmes Républicains de leur départ du Gouvernement, pris de court par la démission du Premier ministre… qui se retrouve finalement lundi à devoir mener ces ultimes négociations.

Ce Vaudeville gouvernemental confirme qu’après la démission constitutionnellement contrainte de François Bayrou, la seule solution est la dissolution… alors même que la dissolution n’est pas une solution.

La démission du chef de l’État affaiblirait substantiellement et durablement notre régime, plutôt que de le sauver

La dissolution est la seule solution car ce départ s’apparente à une crise politique et parlementaire qui se solde traditionnellement et démocratiquement par un retour aux urnes, permettant aux électeurs de renouveler leur choix, après que le Gouvernement a été privé de majorité le soutenant : c’est à eux que revient, dans une démocratie parlementaire, le droit de déterminer quelle nouvelle majorité doit émerger. On le voit aujourd’hui avec les difficultés auxquelles Sébastien Lecornu a été confronté : l’obstination à ne pas vouloir dissoudre ne permet pas à une nouvelle majorité d’émerger, plonge les alliés d’hier (« socle commun ») dans une hostilité aujourd’hui. L’ultime épisode n’apportera certainement pas davantage de solutions, la gauche n’étant ni en mesure de gouverner seule, ni de s’allier durablement avec la « macronie » pour constituer un nouveau Gouvernement. Il faut donc dissoudre.

Mais la dissolution n’est pas une solution, même si elle s’impose, aussi paradoxal que ce raisonnement puisse paraître. D’une part, rien n’assure que de nouvelles élections législatives traduisent un résultat bien différent de celui que nous avons connu au début de l’été 2024. S’il est possible que le front républicain ne fonctionne pas aussi bien et que l’extrême droite se renforce, elle sera toutefois affaiblie par l’absence de candidature de Marine Le Pen.

D’autre part et surtout, le responsable de cette crise est le Président de la République. Sa responsabilité ne tient pas à la dissolution qu’il a prononcée au soir des élections européennes, mais à sa pratique du pouvoir et à sa vision des institutions depuis qu’il a accédé à l’Élysée, en 2017. Élu dans des circonstances bien particulières, après l’affaire Fillon et face à Marine Le Pen, il a obtenu une majorité absolue à l’Assemblée nationale, lui laissant croire qu’il était tout puissant et pouvait asseoir son autorité sans tenir aucun compte des contingences politiques. C’était oublier qu’il avait été élu par accident, avec une faible participation (au premier tour, il ne réunissait que 18,19% de l’ensemble du corps électoral, loin derrière de Gaulle en 1965, à 37,45%, ou Nicolas Sarkozy en 2007, à 25,75%). Sa majorité à l’Assemblée, quant à elle, avait été élue avec une participation inférieure à 50%. Malgré cela, il impose ses décisions sans négociation, négligent l’institution parlementaire et, en dépit d’épisodes marquant tels les gilets jaunes ou l’affaire Benalla, il n’écoute pas les Français.

En 2022, il est démocratiquement réélu, mais politiquement battu. Réélu cette fois par défaut, faute de concurrent suffisamment crédible et dans le cadre d’une situation nationale (fin du covid-19) et internationale (guerre en Ukraine) qui lui permet de rassurer, il perd sa majorité à l’Assemblée nationale, réduite de près de 100 sièges pour culminer à 250 députés, loin de la majorité absolue de 289. Sans nullement en tenir compte, il impose une nouvelle fois une réforme des retraites pour le moins contestée, tant sur le fond que sur la méthode choisie pour l’adopter, qui laissera une trace indélébile dans ses rapports avec le Parlement et avec les citoyens. Il n’est donc pas surprenant qu’en 2024, les élections européennes se traduisent par une sanction sévère, confirmée lors des législatives consécutives à une dissolution qui s’imposait.

Mais, là encore, à aucun moment le Président de la République n’admettra sa défaite, se contentant de soutenir que personne n’a gagné. Pis, alors que le seul courant politique qui l’avait emporté était le front républicain, il décide de nommer un Premier ministre issu du seul parti qui n’y avait pas participé, Les Républicains.

Le Président de la République est ainsi la seule cause de la crise politique et parlementaire que nous traversons, laquelle n’est que le point d’aboutissement de cette pratique du pouvoir. Cette crise ne pourra donc être surmontée qu’après son départ. Est-ce à dire pour autant qu’il doive démissionner, pour organiser une élection présidentielle anticipée ? La réponse est négative, car une telle démission ne ferait qu’ajouter une crise supplémentaire.

En effet, afin qu’elle permette de résoudre la crise que nous traversons, l’élection présidentielle ne doit pas être improvisée : les partis politiques doivent s’organiser et les candidats doivent se préparer, construire des programmes, envisager des alliances et élaborer des projets pour les cinq années du mandat. Le mois offert pour l’organisation d’une élection présidentielle consécutive à une démission serait insuffisant. La démission pourrait être différée, mais sur le plan constitutionnel, rien ne le permet : seul le Président de la République pourrait s’engager à démissionner dans six mois, sans qu’on puisse l’y contraindre ensuite, s’il devait changer d’avis (si les circonstances évoluaient, par exemple). De surcroît, en mars 2026 se tiennent les élections municipales, qui se télescoperaient avec cette élection.

Enfin, la démission du chef de l’État dans les circonstances que nous traversons, comme moyen de résoudre la crise, affaiblirait substantiellement et durablement notre régime, plutôt que de le sauver. Elle créerait un précédent, conduisant les partis d’opposition à réclamer la démission du Président dès qu’une crise politique émerge. Or le Président de la République incarne la stabilité du régime et, en particulier lors d’une crise, doit demeurer en fonction pour préserver les institutions.

On constate donc la situation pour le moins délicate dans laquelle nous sommes : la seule solution est la dissolution, mais la dissolution n’est pas la solution ; la cause de la crise est le Président de la République, mais sa démission ne résoudrait pas la crise. Que faire ?

La crise parlementaire initiée le 8 septembre par la démission de François Bayrou ne peut avoir d’issue que dans une dissolution, qui apportera une respiration démocratique. La campagne électorale éclairera sur les alliances possibles et impossibles, les partis politiques se positionnant en connaissance de cause, à partir de la période écoulée. Cependant, cette dissolution ne peut avoir d’effet utile qu’à la stricte condition que le Président de la République en respecte les résultats, en s’engageant solennellement à se placer en rentrait des discussions politiques post-électorales, en se contentant de nommer le Premier ministre sans le choisir, en invitant seulement les partis politiques à échanger entre eux sans chercher à construire lui-même une coalition. Ce devrait certes être son rôle, mais il n’a plus de légitimité pour ce faire, en s’étant excessivement impliqué au lendemain des élections de 2024, sans jamais admettre sa défaite, pourtant réelle.

C’est beaucoup en demander à un chef de l’État qui n’a jamais su faire preuve de discrétion, mais c’est à ce seul prix que la stabilité institutionnelle pourra être préservée. Et, avec elle, notre régime tout entier.

Le pari de l’abandon du 49, 3 : entre faiblesse et résignation

Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un œil sur la Constitution », in Nouvel Obs, le 3 octobre

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Sébastien Lecornu l’avait annoncé : il y aurait de la rupture, sur la forme et sur le fond. Avant la rupture sur le fond, qui paraît encore se faire attendre, voici une rupture sur la forme et non des moindres. Le Premier ministre annonce solennellement renoncer à utiliser l’article 49, al. 3 de la Constitution. Cet article, rappelons-le, permet à l’Assemblée nationale (il n’est pas applicable au Sénat) d’adopter un texte sans le voter, par l’engagement de la responsabilité du Gouvernement. Soit ce seul engagement permet d’adopter le texte, soit une Motion de censure est déposée et elle est rejetée, auquel cas le texte est également considéré comme adopté. À l’inverse, si la Motion de censure est adoptée, le texte est rejeté et le Gouvernement est tenu de démissionner : tel fut le sort de Michel Barnier, le 4 décembre 2024.

Aux mêmes causes, les mêmes effets

Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un œil sur la Constitution », in Nouvel Obs, le 26 septembre

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Aux mêmes causes, les mêmes effets : à peine six mois après la condamnation de Marine Le Pen et sa diatribe déversée contre les juges, Nicolas Sarkozy a fait l’objet d’une sentence historique, le conduisant à dénoncer une décision « d’une gravité extrême pour l’État de droit, pour la confiance qu’on peut avoir en la justice ».

Dans les deux cas, nous avons une personne condamnée en première instance à une peine relativement lourde, alors qu’elles clament leur innocence (tout en reconnaissant la matérialité des faits, dans le cas de Madame Le Pen). Cette condamnation est assortie de « l’exécution provisoire », c’est-à-dire qu’elle s’applique malgré l’appel. Voici pour « les causes ».

Dans les deux cas, loin de s’émouvoir d’une peine excessive ou disproportionnée, loin de dénoncer un droit pénal trop rigoureux qui ne leur aurait pas permis de faire valoir leur – prétendue – innocence, les deux condamnés s’en prennent aux fondements mêmes de notre démocratie. Ils dénoncent un gouvernement des juges, une justice, voire des juges partiaux, une atteinte à l’État de droit. Voici pour « les effets ».

Privilégier l’intérêt national sur les intérêts personnels

Ce billet est initialement paru sous forme de Tribune dans La Croix, le 12 septembre

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Péché d’orgueil. François Bayrou, fidèle de la foi chrétienne, savait pourtant qu’il s’agit d’un péché capital… il y a néanmoins succombé. Doté d’un talent d’écoute, d’une capacité de dialogue, de plus de quarante années d’expérience politique et libéré de l’ascendance élyséenne en ayant réussi à s’imposer contre la volonté du Président de la République tout en ayant contribué à son arrivée à l’Élysée, en 2017, François Bayrou a cru que ce seul bagage serait suffisant et qu’il n’avait pas besoin de dialoguer avec les forces politiques pour emporter leur confiance… Cette vanité lui fut fatale.

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