entete

Petite fable dans un pays au Gouvernement fragile

Il était une fois, dans un pays au Gouvernement fragile – on notera, au passage, l’emploi délibéré du singulier dans cette dernière qualification –, un Premier ministre qui devait affronter un débat budgétaire. En soi, telle aventure pourrait paraître bien ordinaire : elle se répète chaque année, dans chaque démocratie, traduisant la vitalité démocratique de pays soucieux du débat. Il peut arriver, assez occasionnellement en réalité, qu’un Gouvernement n’y survive pas mais le budget, quant à lui, parvient généralement à être adopté, sous une forme ou sous une autre.

Ce sera également le cas dans le pays concerné, malgré la triple fragilité du Gouvernement. Cette fragilité tient en effet, d’abord, à la « majorité » étroite sur laquelle il peut s’appuyer qui, d’ailleurs, en foi de majorité fait davantage office de « minorité », puisqu’elle ne compte que 211 députés sur 577, soit à peine 36,6% des effectifs, bien loin d’une majorité absolue. Ensuite, elle tient au caractère éclaté de la coalition soutenant le Premier ministre, qui se compose de quatre forces politiques, certaines s’étant parfois frontalement opposées dans un passé assez récent. Enfin, ce Gouvernement est d’autant plus fragile que son avenir est placé entre les mains d’une seule et unique cinquième force politique qui, pour le moment, le soutient tacitement mais pourrait décider de le renverser à tout moment, ou presque. Cette force politique n'est pas anodine car il s’agit de l’extrême droite, dont on sait que le soutien en question peut avoir un effet repoussoir et conduire d’autres forces politiques à renoncer au leur.

En dépit de cet aboutissement annoncé, rien ne garantit que ledit Gouvernement ne se fragilise pas davantage

Malgré tout, le budget passera, en dépit d’un climat tendu en ce début de discussion budgétaire, pour trois raisons principales.

D’une part, la situation des finances publiques de ce pays est jugée assez catastrophique par de nombreux experts et la catastrophe ne ferait que s’accentuer si le budget était rejeté. Surtout, les électeurs pourraient en vouloir aux différents acteurs politiques de ne pas assumer leurs responsabilités et de ne pas être en mesure de se mettre d’accord pour assurer la continuité des services publics, notamment.

Des désaccords se manifestent dès à présent, ce qui est dans la logique des divisions en début de débat, permettant à chacun de marquer ses positions. D’autres désaccords continueront de se manifester au fil de la discussion parlementaire et ce pays peut compter sur l’expérience et les talents de négociateur de son chef de Gouvernement, qui a dû conclure des accords avec d’autres allumés et décoiffés de la politique, notamment britanniques. In fine, au fil des arbitrages, des votes des parlementaires et du débat, un budget verra le jour.

D’autre part, cette adoption est facilitée par de nombreux mécanismes constitutionnels à la disposition du Gouvernement pour permettre que la discussion aboutisse. Ils seront contestés, comme à l’accoutumée, mais ils seront inévitables. En effet, l’un d’entre eux, en particulier, permet que le texte soit adopté, sans être voté et porte le nom très mathématique de « 49, 3 », non par désir de calcul mais du fait de l’article constitutionnel qui le prévoit.

Le Gouvernement devra y avoir recours, sous la pression de cette force politique entre les mains de laquelle il a placé sa survie, car ce sera l’occasion pour elle de rendre le Gouvernement un peu plus impopulaire et, surtout, de permettre que le budget voie le jour (donc de ne pas assumer la responsabilité de son rejet) sans le soutenir (puisqu’elle n’aura pas à le voter).

Enfin, la troisième raison qui assure que le budget verra bien le jour est que personne (disposant d’un minimum de sens politique) n’a d’intérêt à ce que ce ne soit pas le cas. La gauche de ce pays est elle-même divisée et éclatée, mais elle n’a rien de bien sérieux à proposer, étant d’ailleurs incapable de présenter elle-même un contre-budget cohérent et unitaire. Si elle a donc intérêt à s’opposer fermement au Gouvernement et à sa loi de finances, elle n’a certainement pas intérêt à ce que celle-ci soit rejetée, sauf à créer un désordre permanent, ce qui ne peut satisfaire qu’une seule de ses composantes, minoritaire vis-à-vis des trois autres.

L’extrême droite, quant à elle, n’y a pas davantage intérêt, car un tel rejet scellerait la démission du Gouvernement et la nomination d’un nouveau, sur lequel elle aurait potentiellement beaucoup moins d’emprise. Car la Constitution de ce pays ne permet pas qu’une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale ait lieu avant le 8 juillet prochain et, si elle souhaitait donc provoquer de nouvelles élections, il faudrait alors patienter encore un peu.

La coalition centrale, enfin, qui est supposée soutenir le Gouvernement, sans se priver de manifester certaines réserves, voire hostilités à son égard (ce qui se produit d’ailleurs assez fréquemment dans les démocraties parlementaires, mais ce pays n’y est guère habitué), n’a pas davantage intérêt à mettre le Gouvernement en échec lors du débat budgétaire car elle est elle-même tributaire de la situation catastrophique des finances publiques que le Gouvernement s’efforce de corriger. Elle se décrédibiliserait définitivement aux yeux des électeurs.

La morale de cette fable est-elle alors qu’à Gouvernement fragile, fragilité ne vaut ? Non. En dépit de cet aboutissement annoncé, rien ne garantit que ledit Gouvernement ne se fragilise pas davantage.

De surcroît, rien ne garantit, non plus, que le Gouvernement survive bien au-delà de ce débat budgétaire. En effet, ce pays a connu, voici un an, un débat politique pour le moins agité sur un sujet à l’égard duquel il se complaît pourtant à légiférer (pas moins de 117 textes sur le sujet depuis 1945) : l’immigration. Or, précisément sous la pression de ce même groupe d’extrême droite – et d’un Ministre de l’Intérieur qui n’est pas totalement hostile à ses charmes –, une nouvelle loi a été annoncée sur le sujet, pour le début de l’année 2025. Et, à ce moment-là, la situation ne sera plus tout à fait la même…

La dissolution ne sera toujours pas possible. Mais cette impossibilité pourrait ainsi libérer certains députés de leur crainte de voter une censure. De même, l’urgence de maintenir en place le Gouvernement ne se poserait plus, le budget étant désormais adopté. Enfin, certains députés de la coalition gouvernementale pourraient souhaiter se libérer d’un soutien dans lequel ils se retrouvent être les otages de l’extrême droite. Et on se dit que le sujet de l’immigration pourrait, ma foi, être le bon prétexte.

Si morale il devait donc y avoir à cette fable, ce serait sans doute que la survie d’un jour n’est point celle du lendemain et, quoiqu’on ait obtenu victoire sur la loi la plus importante de la vie parlementaire, telle victoire ne rime pas avec stabilité.

Toute ressemblance avec des faits pouvant se produire n’est pas purement fortuite…

Motion de clôture

Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un œil sur la Constitution », in Nouvel Obs

*

La motion de censure qu’affronte aujourd’hui Michel Barnier vient clore la séquence ouverte depuis le 9 juin et la dissolution, avant que n’en débute une nouvelle, dès le lendemain, avec la présentation du budget pour 2025. Elle n’aboutira pas, faute d’atteindre les 289 voix requises. Davantage qu’à une motion de censure, elle s’apparente donc à une motion de clôture.

Depuis le 9 juin, notre pays est plongé dans une crise politique, dont les racines sont bien plus anciennes et qui a multiplié les interrogations : pourquoi une dissolution ? L’extrême-droite gouvernera-t-elle ? Le front républicain fonctionnera-t-il ? L’Assemblée nationale est-elle gouvernable ? Quelle majorité peut se dessiner ? Qui sera Premier ministre ? Quelle coalition rejoindra le Gouvernement ? Combien de temps ce dernier pourra-t-il se maintenir ?

Le crash avant le clash

Une fois n’est pas coutume, avec la nomination du Gouvernement Barnier, nous avons un crash démocratique avant d’avoir un clash politique.

Ce crash était annoncé, depuis la nomination de Michel Barnier comme Premier Ministre : c’est la première fois de l’histoire de la Ve République que celui qui est chargé de définir la politique nationale n’a pas de mandat démocratique pour le faire. Notre régime est particulier, puisque c’est habituellement le Président de la République qui est investi de cette mission, même si la Constitution ne le dit pas. Il s’appuie alors sur une majorité (présidentielle) à l’Assemblée nationale, sur un Premier ministre et une équipe gouvernementale.

Il arrive qu’un tel mandat lui soit retiré, pour être confié à une autre force politique, dans les hypothèses de cohabitation. C’est alors le chef du bloc victorieux lors des élections législatives qui est lui-même désigné (Jacques Chirac en 1986 ou Lionel Jospin en 1997) ou qui désigne le Chef du Gouvernement (comme le fit Jacques Chirac pour Édouard Balladur, en 1993).

Un choix dangereux

Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un œil sur la Constitution », in Nouvel Obs

*

« J’ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote. […] Que la parole soit donnée au peuple souverain, rien n’est plus républicain. Cela vaut mieux que tous les arrangements, toutes les solutions précaires. C’est un temps de clarification indispensable. […] J’ai entendu votre message, vos préoccupations, et je ne les laisserai pas sans réponse. »

Tels étaient les mots du Président de la République, le 9 juin au soir, lorsqu’il a prononcé la dissolution de l’Assemblée nationale. Pour le dire simplement, il souhaitait un « vote » du « peuple souverain » pour une « clarification indispensable ». La vérité quant à la cause était déjà ailleurs, car il s’agissait surtout de réagir après la déroute qu’il venait de subir, en raison des résultats aux européennes. Mais l’essentiel était là et mérite d’être répété : vote, peuple souverain, clarification indispensable.

S’abonner à la lettre d’information
logo blanc