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Trois enseignements qui n’en sont pas

Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un œil sur la Constitution », in Nouvel Obs

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La décision du Conseil constitutionnel de ce 28 mars était fortement attendue, car elle portait sur une interprétation donnée à l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité. L’intérêt suscité n’était donc pas dû au fond de la question posée au Conseil constitutionnel, mais au contexte. En effet, dans quelques jours, lundi 31 mars, le tribunal correctionnel de Paris rendra son verdict dans l’affaire des collaborateurs parlementaires des députés européens du Front national, dans laquelle Marine Le Pen est poursuivie et pourrait précisément être condamnée à une peine d’inéligibilité, avec exécution provisoire. Elle ainsi pourrait être privée d’une candidature à la prochaine élection présidentielle.

La décision ne fait que confirmer l’état du droit en vigueur

Pourtant, la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portée devant le Conseil constitutionnel ne concernait nullement l’affaire dans laquelle Marine Le Pen est impliquée. Cette QPC était en effet posée par un élu municipal mahorais, condamné à une peine d’inéligibilité, assortie de l’exécution provisoire. Le préfet avait alors prononcé la déchéance de son mandat, comme c’est habituellement le cas pour les élus locaux. Le requérant avait introduit un recours contre cette décision, qu’il a assorti d’une QPC, notamment en raison d’une divergence de jurisprudence entre le juge administratif, compétent à l’égard des élus locaux et le juge constitutionnel, compétent à l’égard des élus nationaux (c’est-à-dire les parlementaires). En effet, le premier retient que l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité emporte déchéance du mandat en cours, en plus de l’impossibilité d’être candidat à une autre élection, tandis que le second considère qu’elle empêche seulement une candidature à une nouvelle élection, sans emporter déchéance du mandat national, donc parlementaire (de député ou de sénateur).

En d’autres termes, le Conseil constitutionnel a une interprétation restrictive de l’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire, limitant ses effets à la seule impossibilité d’une candidature et en excluant sa conséquence collatérale, qu’est la déchéance du mandat. À l’inverse, le Conseil d’État retient que cette peine d’inéligibilité, bien qu’elle ne soit pas encore définitive, emporte toutes les conséquences qui s’y attachent, tant l’interdiction d’être candidat que la perte du mandat en cours.

La décision du Conseil constitutionnel apporte trois enseignements… qui n’en sont pas véritablement, car il ne fait que confirmer l’état du droit en vigueur.

D’une part, il n’aborde nullement le cas de l’affaire Le Pen et des assistants parlementaires du FN. Telle n’était pas la question posée et les situations sont bien différentes. Le requérant est un élu local, alors que Marine Le Pen est députée, donc une élue nationale. Le premier a vu sa déchéance prononcée par le préfet (et c’est l’objet de son recours), tandis que la seconde ne risque pas la déchéance de son mandat en cours. L’élu mahorais déchu s’inscrit actuellement dans un litige qui relève du Conseil d’État et Marine Le Pen attend un verdict du tribunal correctionnel de Paris, sa situation électorale relevant, le cas échéant, du Conseil constitutionnel.

D’autre part, le Conseil constitutionnel retient qu’élus locaux et élus nationaux sont placés dans une situation différente, justifiant une différence de traitement, confirmant que les premiers peuvent être déchus de leur mandat en cours lorsqu’ils sont condamnés à une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire, sans que la même solution doive s’appliquer à l’égard des seconds. Ces élus nationaux participent en effet, en vertu de l’article 3 de la Constitution, à l’exercice de la souveraineté nationale et, aux termes du premier alinéa de son article 24, ils votent la loi et contrôlent l’action du Gouvernement, selon les termes même de la décision. Par conséquent, l’interprétation retenue par le Conseil constitutionnel de l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité n’a pas vocation à s’appliquer à l’égard des élus locaux et l’interprétation retenue par le Conseil d’État est conforme à la Constitution.

Enfin, le Conseil constitutionnel émet une « réserve d’interprétation », c’est-à-dire qu’il confirme la constitutionnalité du mécanisme en indiquant que, lorsque le juge assortit une peine d’inéligibilité de l’exécution provisoire, il doit, pour respecter le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, « apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur ». Ce faisant, il doit tenir compte de la situation et de la personnalité de celui ou celle qui est condamné, conformément au principe constitutionnel de personnalisation des peines. Ce n’est donc guère nouveau.

Toutefois, on peut y voir une forme de message aux juges correctionnels qui auront à se prononcer le 31 mars. Le Conseil confirme clairement que l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité est conforme à la Constitution, donc possible. On peut comprendre qu’elle ne doit pas avoir pour effet de priver totalement les électeurs de leur liberté de choisir leurs élus. C’est désormais aux juges correctionnels d’en tirer les conséquences, mais on peut imaginer qu’une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire soit prononcée, d’une durée telle qu’elle n’empêcherait pas Marine Le Pen d’être candidate à la prochaine élection présidentielle… si elle a lieu à échéance normale.

Préserver la Constitution : un impératif juridique et démocratique

Ce billet est initialement paru sous forme de tribune pour Acteurs publics

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La Constitution est la norme fondamentale de notre République, pour au moins trois raisons : elle lui donne naissance, elle permet à toutes les autres règles d’exister, elle contient les principes les plus importantes.

En effet, on considère habituellement que la Ve République est née le 4 octobre 1958, jour d’entrée en vigueur de sa Constitution : cette dernière en est ainsi le fondement, à l’instar de toute Constitution qui se trouve être le fondement de l’ordre social qu’elle établit, qui est ainsi un ordre constitutionnel. Ensuite, toutes les normes juridiques de cet ordre social existent en vertu de cette Constitution, soit parce que leurs règles d’élaboration y sont inscrites (par exemple pour les lois), soit parce qu’elles sont elles-mêmes créées en vertu de règles élaborées selon ce que la Constitution prévoit (par exemple des arrêtés ministériels ou des contrats, édictés en vertu de lois). Toutes les règles qui régissent notre vie sociale sont donc supposées respecter la Constitution. Enfin, la Constitution intègre les droits, libertés et principes les plus importants, souvent qualifiés de « fondamentaux » : on les retrouve notamment dans des textes auxquels renvoient la Constitution et qui ont pleine valeur constitutionnelle, telle la Déclaration de 1789, mais aussi dans le texte même de la Constitution, tel ses premiers articles qui posent, par exemple, les principes démocratiques.

Municipales à Paris : « Une loi peut tout à fait modifier les règles avant 2026 »

Cette interview est initialement parue dans Le Point.

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Lors d’un entretien décryptant l'actuelle loi PLM et ses probables changements, le Professeur et constitutionnaliste Jean Philippe-Derosier répond aux questions de Vincent Jaouen pour Le Point, retrouvez l’intégralité de l’article en cliquant ici


Le Point : À l'origine, pourquoi la loi PLM a-t-elle été instaurée ?

Jean-Philippe Derosier : Cette loi, décidée en 1982, visait à rapprocher les élus des électeurs dans les trois plus grandes villes de France : Paris, Marseille et Lyon. Elle s'inscrivait dans le cadre de la mise en place de statuts spécifiques pour ces villes lors de l'Acte I de la décentralisation. Ce processus avait pour objectif de renforcer les collectivités locales et de créer des arrondissements, avec deux niveaux d'élus : les élus d'arrondissement, plus proches des citoyens, et les élus de la commune, siégeant au Conseil municipal.

Le Conseil constitutionnel ne vaut pas un lot de consolation

Ce billet est initialement paru sous forme de tribune pour le Libération

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« Monsieur François Mitterrand, mon ami, merci de me nommer président du Conseil constitutionnel. Mais sachez que, dès à présent, envers vous, j’ai un devoir d’ingratitude ». C’est ainsi que s’exprimait Robert Badinter, lors de son discours d’investiture, le 4 mars 1986, face au compagnon et au camarade qui venait de le nommer et que, lui-même, avait accompagné pendant des décennies. Il traduisait l’intégrité, l’indépendance et l’exemplarité de l’homme, qui sont autant de qualités nécessaires pour exercer la présidence de l’ultime rempart face aux atteintes à nos droits et libertés, qu’est le Conseil constitutionnel.

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