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Tumulte parlementaire

« Après la tempête, vient le calme » ne dit pas le proverbe mais pourrait énoncer un dicton parlementaire.

Après les agitations de ces trois dernières semaines à l’Assemblée nationale, vient le calme des vacances parlementaires, pendant une semaine. Avant que les débats sur la réforme des retraites ne reprennent, c’est l’occasion de réfléchir posément aux causes de ce tumulte, pour suggérer modestement quelques solutions. Quatre questions se posent.

En premier lieu, un tel tumulte est-il exceptionnel ? Il faut ici nuancer : ce n’est pas tant le tumulte à l’Assemblée qui est exceptionnel que son ampleur et son accumulation. L’Assemblée nationale représente le peuple et il est logique que la houle qui peut déferler dans la première soit à l’image des mouvements du second. Il lui arrive donc fréquemment d’être un chaudron bouillant, qui déborde d’amendements et d’obstruction.

 

S’il est préférable que des oppositions se cristallisent dans l’enceinte parlementaire plutôt qu’elles se radicalisent dans la rue, les excès sont nuisibles 

S’il est donc vrai que « c’est dans les pays totalitaires que les assemblées sont parfaitement sages. Chez nous, il est plus sain que tout cela s’exprime dans l’hémicycle plutôt qu’ailleurs », pour reprendre le propos de Jean-Louis Debré, ancien maître du Perchoir trônant derrière des masses de papier, on peut toutefois noter une certaine évolution.

En effet, alors que la sanction maximale – la censure avec exclusion temporaire de quinze jours – n’avait été prononcée qu’une seule fois entre 1958 et 2022, elle l’a été à deux reprises ces derniers mois. Le nouveau Bureau et sa présidente auraient-ils la sanction facile ? Vraisemblablement pas car, si les sanctions sont plus nombreuses, force est de constater que nous assistons également à une radicalisation de certaines attitudes, portées par des partis dont la radicalité est précisément la raison d’être.

En deuxième lieu, ce tumulte est-il nocif ? Ici, point de nuance : oui.

Là encore, s’il est sain que le débat ait lieu, s’il est préférable que des oppositions se cristallisent dans l’enceinte parlementaire plutôt qu’elles se radicalisent dans la rue, les excès sont nuisibles.

Nous vivons désormais dans une société de la communication et de l’immédiateté. Autrefois, lors des débats passionnés de la IIIe République mais aussi plus récemment, au début de la Ve République, les propos et comportements à l’Assemblée n’étaient pas visibles en direct, encore moins relayés et commentés sur les réseaux sociaux. Il fallait attendre que des journalistes s’en saisissent, qu’ils les relaient dans leurs journaux, qu’ils soient écrits ou audiovisuels pour que, enfin, les personnes intéressées y aient accès. Aujourd’hui, tout se vit en direct.

S’il est bénéfique pour la démocratie qu’une telle transparence ait lieu, les élus doivent en prendre non seulement conscience, mais aussi la mesure.

On ne peut appeler à davantage de respect et de confiance dans nos institutions et nos élus, si ces derniers renvoient eux-mêmes une image déplorable des premières, s’ils n’ont de cesse de les mettre en cause, s’ils s’invectivent voire s’injurient et ne se respectent pas entre eux. Ces comportements, quand ils virent à l’excès et à la radicalité, attisent et entretiennent la haine chez les concitoyens qui, parce qu’ils sont curieux et c’est heureux, contemplent, commentent, réagissent et interagissent face à un tel spectacle. Cette haine dérive désormais – et de plus en plus – vers une violence non seulement verbale mais aussi physique contre les institutions et ceux qui les composent, les élus (injures, attaques de permanences parlementaires, assauts contre des ministères, attaques physiques contre des élus, etc.).

En troisième lieu, quelles sont les causes de ce tumulte ? Elles sont multiples. Il y a, d’abord, l’attitude même de l’Exécutif, qui a préféré l’autorité au dialogue, la célérité du débat à sa sérénité. Le choix de l’article 47-1, avec les conséquences qu’il implique et le choix de mettre un terme au débat après les vingt jours constitutionnels ne sauraient contribuer à l’apaisement.

Mais le Gouvernement n’est pas le seul responsable. La radicalité et l’obstruction des Insoumis y contribuent largement, ces derniers recherchant précisément l’écho d’un débat chaotique, qu’ils entretiennent à souhait. Réclamer une prolongation des débats est utile, mais n’a de sens que si le débat a véritablement lieu. Or tel n’est pas le cas s’il est obstrué. Une proposition constructive et intelligente aurait été celle de retirer les amendements d’obstruction, en échange d’une acceptation par le Gouvernement de prolonger les discussions. Il aurait alors été entraîné sur son propre terrain et mis en difficulté car il n’avait aucun intérêt à aller jusqu’à l’article 7, risquant d’être mis en minorité.

En quatrième lieu, quelles solutions peut-on proposer ? Elles ne sauraient être que ponctuelles, tant le changement de comportement est la clef pour recouvrer une dignité de nos institutions  : aucune règle n’y fera rien à elle seule.

En revanche, il suffit de constater que les délais prévus par l’article 47-1, mais aussi par l’article 47, pour les lois de finances, dont le premier est la réplique pour les lois de financement de la sécurité sociale, n’ont de sens que pour assurer que la loi « de l’année », celle qui est adoptée à l’automne pour l’année suivante, soit promulguée avant le 31 décembre. Par conséquent, il serait sage de ne pas en étendre l’application aux lois rectificatives.

De plus, si le droit d’amendement est fondamental pour le législateur, car il lui permet d’accomplir sa mission de « faire la loi », il peut être aménagé sans pour autant être réduit. Plusieurs pistes sont envisageables : faire tomber non seulement les amendements identiques mais aussi ceux qui ont un objet similaire, interdire que les membres de la commission saisie au fond puissent redéposer en séance des amendements déjà examinés en commission. On peut encore revoir les mécanismes du « temps législatif programmé », qui a ses vertus contre l’obstruction (prévoir un temps limité de discussion d’un texte), mais aussi ses travers (les députés doivent s’autodiscipliner car il n’est plus possible de les interrompre).

Autant de suggestions  – parmi d’autres possibles – qui contribueraient à offrir à notre Constitution la « cure de jouvence » dont elle a besoin à l’approche de son soixante-cinquième anniversaire.

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