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Le Conseil constitutionnel ne vaut pas un lot de consolation
Ce billet est initialement paru sous forme de tribune pour le Libération
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« Monsieur François Mitterrand, mon ami, merci de me nommer président du Conseil constitutionnel. Mais sachez que, dès à présent, envers vous, j’ai un devoir d’ingratitude ». C’est ainsi que s’exprimait Robert Badinter, lors de son discours d’investiture, le 4 mars 1986, face au compagnon et au camarade qui venait de le nommer et que, lui-même, avait accompagné pendant des décennies. Il traduisait l’intégrité, l’indépendance et l’exemplarité de l’homme, qui sont autant de qualités nécessaires pour exercer la présidence de l’ultime rempart face aux atteintes à nos droits et libertés, qu’est le Conseil constitutionnel.
Nous entrons dans une démocratie du copinage qui n’a rien d’une démocratie et n’est pas digne des institutions qui l’animent ou qui veillent sur elle
Ces exigences sont, aujourd’hui, plus que jamais indispensables, à l’heure où de nombreuses démocraties sont attaquées à travers le monde, alors que l’on voit que, même en France, des responsables politiques de haut niveau appellent ouvertement à sa violation, ne serait-ce qu’en clamant la nécessité d’un référendum qui serait manifestement contraire à notre loi fondamentale. Ces qualités doivent être celles des membres du Conseil constitutionnel, mais d’abord celles des autorités de nomination. En effet, le Président de la République, le Président du Sénat et la Présidente de l’Assemblée nationale, en tant qu’élus de la République, sont responsables devant les Français des choix qu’ils opèrent et des décisions qu’ils prennent. Ces décisions les engagent. En l’espèce, ces décisions les engagent et nous engagent tout autant, car elles auront des conséquences sur notre démocratie et notre État de droit pour les neuf prochaines années, soit – normalement – deux élections présidentielles, deux élections législatives (au moins), autant de vicissitudes de la vie politique que doit parfois arbitrer le Conseil et de nombreuses lois votées, qui pourraient aller à l’encontre des règles et principes garantis par la Constitution.
C’est dire l’importance de cette institution qu’est le Conseil constitutionnel, lequel, tout au long de son histoire, est parvenu à s’affirmer comme autorité publique, à se renforcer comme gardien de la Constitution, à s’imposer comme juge constitutionnel, à s’ouvrir comme institution de la démocratie. C’est dire, alors, à quel point ce Conseil devrait être respecté, non constituer un lot de consolation pour personnalité politique en peine d’activité. Or les nominations du Président de la République, pourtant charger de veiller « au respect de la Constitution » en vertu de son article 5, pourraient laisser supposer le contraire. Les trois nominations auxquelles il a procédé apparaissent ainsi comme un choix exclusivement dicté par des considérations politiciennes, liées à une consolation après mise à l’écart, une sortie honorable pour préserver un allié, un remerciement pour bons et loyaux services.
Avoir une reconnaissance à l’égard de ses soutiens ne saurait être préjudiciable en soi, dès lors qu’elle n’est que la conséquence des qualités requises pour exercer certaines fonctions. En revanche, lorsque ces dernières deviennent la conséquence de la première, nous entrons dans une démocratie du copinage qui, en réalité, n’a rien d’une démocratie et n’est pas digne des institutions qui l’animent ou qui veillent sur elle.
On ne peut ainsi que regretter que Richard Ferrand, proposé par Emmanuel Macron pour être Président du Conseil constitutionnel et succéder à Laurent Fabius, soit présenté comme un « fidèle » ou un « proche » du Président de la République, ce qu’il est, non comme un juriste de qualité ou un responsable politique exemplaire, ce qu’il n’est pas. Rien dans sa carrière et son cursus, hormis ses deux mandats de député, ne l’a familiarisé avec le droit. Journaliste, il est élu député en 2012, réélu en 2017 et battu en 2022, non sans avoir exercé les fonctions de Président de l’Assemblée nationale à partir de 2018, en décidant de s’y maintenir, alors qu’il était mis en examen. Cet épisode débouchera sur un non-lieu, pour prescription, sans, par conséquent, qu’il soit statué sur sa responsabilité pénale.
L’expérience parlementaire est incontestablement une qualité profitable au Conseil constitutionnel, tandis que notre système se distingue par la possibilité d’y nommer qui l’on souhaite, y compris à sa présidence, sans aucune exigence de connaissance de notre droit. Cette liberté est supposée garantir une indépendance du choix. Tel n’est le cas qu’à la condition que ce choix soit destiné à préserver l’institution, non à chercher à s’assurer de son soutien, à l’instant idoine. Dans ce cas, les « qualités » des personnes appelées à y siéger ne contribuent plus à son rayonnement mais, au contraire, risquent de lui porter préjudice.
La période que nous traversons et que nous risquons de traverser encore dans les prochaines années appelle la plus grande vigilance sur le socle de notre démocratie et de notre État de droit qu’est la Constitution de la Ve République. Le Conseil constitutionnel est chargé d’incarner et d’opérer cette vigilance. Mais pour qu’elle ait lieu, il doit à la fois être crédible dans sa mission et légitime dans ses décisions. Tel est le cas depuis qu’il existe, cette crédibilité et cette légitimité n’ayant fait que s’accroître, encore ces dernières années. On ne peut que se souhaiter qu’il en soit encore ainsi à l’avenir. Rappelons alors que, si, en son temps, Paris valait bien une messe, aujourd’hui, le Conseil constitutionnel mérite mieux qu’un lot de consolation.Mots-clés: Démocratie, Article 16, Article 5, Article 56, Président de la République, Référendum, Élection présidentielle, Élections législatives, Conseil constitutionnel, Président du Sénat, État de droit, Président de l'Assemblée nationale