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Vous avez dit « CMP » ? Ce qui s’y joue et ce qu’on peut en attendre
Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un œil sur la Constitution », in Nouvel Obs
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Depuis ce jeudi 30 janvier au matin, députés et sénateurs se réunissent dans une « commission mixte paritaire », CMP, pour tenter de trouver un accord sur le budget pour 2025. Véritable lieu de la concertation parlementaire, où peuvent se forger des compromis, cette commission est cruciale dans la procédure parlementaire et budgétaire.
Pourtant, elle pourrait être bien moins utile qu’il n’y paraît.
Comme son nom l’indique, elle est mixte et paritaire : elle associe des députés et des sénateurs (« mixte »), en nombre égal (« paritaire »), à savoir sept titulaires issus de chaque assemblée (quatorze au total), auxquels s’ajoutent autant de suppléants. Ces derniers peuvent participer aux débats, mais ne peuvent pas voter (sauf défection du titulaire). Sa composition est déterminée à chaque texte, en fonction des spécialités des parlementaires et selon une répartition par groupe qui est arrêtée, quant à elle, pour l’ensemble des CMP.
Il est possible qu’un autre scénario se dessine, rendant la CMP inutile, mais au moins obsolète
Seulement, en raison du nombre important de groupes parlementaires actuellement à l’Assemblée nationale (onze), un nouveau mécanisme a été imaginé en début de législature (après les élections consécutives à la dissolution), aboutissant à une rotation entre plusieurs groupes. Ainsi, pour l’Assemblée nationale, la CMP se compose de deux députés du Rassemblement national (RN), un député d’Ensemble pour la République (EPR, anciennement Renaissance), un autre de La France insoumise (LFI), un du Parti socialiste (PS) et un de la Droite républicaine (DR, c’est-à-dire Les Républicains non-ciottistes). Le dernier siège est attribué à tour de rôle au MoDem, à Horizons ou aux Verts : c’est actuellement un député MoDem. Côté Sénat, on compte trois sénateurs LR, deux PS, un de l’Union centriste (UC, allié aux LR) et un du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI, macronistes). Le Gouvernement peut donc compter sur le soutien direct de cinq sénateurs et, en fonction de la rotation, sur celui de deux ou trois députés : dans l’actuelle CMP, il dispose de huit soutiens (contre six pour l’opposition).
L’objectif d’une CMP est de trouver un accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat, permettant d’aboutir à un texte commun qui devra ensuite être validé par chacune des chambres, dans leur ensemble. Ce qui peut apparaître comme une simple formalité lorsqu’il existe une majorité claire en leur sein devient beaucoup plus aléatoire lorsqu’une telle majorité fait défaut, comme c’est actuellement le cas à l’Assemblée nationale. Il est donc nécessaire de discuter, de concéder, de résister pour éventuellement céder, mais pas trop… bref, d’être animé par une recherche du compromis politique, qui fait tant défaut à notre culture parlementaire. Cependant, il peut être facilité en CMP, car elle siège à huis clos, sans que les parlementaires soient ainsi exposés aux commentaires permanents (donc à la pression) de la presse et du public. Le huis clos est même renforcé puisque seuls des parlementaires y participent et que le Gouvernement n’y est pas représenté : c’est à eux que reviendra le vote final de la loi, c’est donc à eux de se mettre d’accord et de proposer un texte commun.
Dès lors qu’une majorité existe pour soutenir le Gouvernement, la probabilité que la CMP sur le budget aboutisse à un accord est très élevée, même si les travaux seront longs (plus de vingt-quatre heures, à coup sûr). Cependant, la probabilité que le texte qui en serait issu et qui aura été élaboré par la coalition présidentielle et la droite puisse être validé par l’Assemblée nationale, où ces dernières ne sont pas majoritaires est bien plus incertaine. Le Premier ministre pourrait alors activer l’article 49, al. 3 de la Constitution, s’exposant ainsi à une censure.
Aura-t-il suffisamment négocié et concédé pour ne pas s’attirer l’ire des socialistes et de l’extrême droite, comme il l’avait fait avec les premiers, lors de la première motion de censure qu’il a dû affronter le 16 janvier ? Rien n’est moins sûr, car, d’une part, il n’est pas présent en CMP et ne maîtrise donc pas les débats et, d’autre part, il n’y est pas majoritaire, donc il ne peut pas être assuré que ses directives seront suivies.
C’est pourquoi, il est possible qu’un autre scénario se dessine, rendant la CMP et son probable accord non pas totalement inutile, mais au moins obsolète. En effet, si le Gouvernement se rend compte que le texte l’expose à une censure certaine, il pourrait renoncer à engager le 49, al. 3 et laisser l’Assemblée rejeter le texte. La procédure ne serait pas achevée pour autant, car elle pourrait ensuite se poursuivre par une nouvelle lecture, laquelle permettrait d’ailleurs qu’un débat ait enfin lieu sur le budget à l’Assemblée nationale, car il avait été interrompu à l’automne, en raison du rejet de la première partie. Rien n’exclut que ce même scénario se produise à nouveau, sauf à ce que le Premier ministre soit en mesure d’aboutir, à ce stade, à un accord de non censure, avec les socialistes, selon son souhait de ne pas être à la merci du Rassemblement national.
Il pourra alors engager la responsabilité du Gouvernement sur ce texte, qui pourra être définitivement adopté même si le Sénat s’y oppose, l’Assemblée nationale disposant du dernier mot en matière budgétaire. Ce cheminement prendrait certes davantage de temps. Mais il offrirait ainsi au Gouvernement davantage de latitude de négociations, tout en lui redonnant une certaine maîtrise sur ces dernières, qui lui échappent en CMP.
Mots-clés: Sénat, Assemblée nationale, Article 45, Article 47, Article 49, Gouvernement, Député, Premier ministre, La France insoumise, Les Républicains, Parti socialiste, Sénateur, Dissolution, Groupe parlementaire, La République en Marche, Modem, Commission mixte paritaire (CMP), Motion de censure, Front national