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Législatives : « Que le RN ait une majorité absolue ou relative, la logique voudrait qu’Emmanuel Macron nomme Jordan Bardella à Matignon »

Cette interview est initialement parue sur liberation.fr 

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A l’approche du second tour, les incertitudes sont nombreuses. Les sondages annoncent un Rassemblement national (RN) victorieux au soir du 7 juillet. Mais personne ne peut dire avant les résultats définitifs, si le parti de Marine Le Pen aura une majorité absolue (289 sièges au moins) ou seulement relative. Jordan Bardella a déjà annoncé qu’il n’accepterait le poste de Premier ministre qu’à condition d’avoir les moyens de gouverner, c’est-à-dire suffisamment de députés pour soutenir sa politique. Dans le cas inverse, quelles marges de manœuvre aurait-il s’il ne disposait que d’une majorité relative ?

Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public, titulaire de la chaire d’études parlementaires de l’université de Lille et spécialiste de la Constitution, l’assure : si le RN sort gagnant de ces élections, « il y aura peut-être davantage de conflictualités et de désaccords entre le Président et le Premier ministre sur le plan politique mais les institutions fonctionneront ». Auprès de Libération, il précise ce que prévoit la Constitution au sujet de la nomination du Premier ministre et de la constitution de son équipe ainsi que les leviers dont disposeraient les oppositions face à un gouvernement mené par Jordan Bardella.

 

Que prévoit la Constitution juste après le résultat des élections législatives anticipées ?

Le fonctionnement institutionnel est réglé par la Constitution. A l’issue du second tour des élections législatives, le président de la République va nommer un Premier ministre sans qu’un délai précis ne lui soit imposé. Constitutionnellement, le président de la République peut choisir de nommer qui il veut à Matignon, mais Emmanuel Macron doit s’assurer que la personne qu’il choisit sera soutenue par une majorité, comme le veut le régime parlementaire dans lequel nous sommes, qui résultent des articles 20 et 49 de la Constitution.

La logique voudrait donc que, si le RN arrivait en tête et avait le groupe le plus important à l’Assemblée, Emmanuel Macron nomme Jordan Bardella à Matignon pour acter ce résultat. Que le RN ait une majorité absolue ou relative, ce nom s’impose à lui. Un poste que Jordan Bardella peut tout à fait refuser s’il le souhaite, même si un tel choix est difficile à justifier politiquement.

Quelle sera la marge de manœuvre d’un Premier ministre RN si l’extrême droite n’avait pas la majorité absolue en sièges ?

L’appréciation politique de la composition de l’Assemblée nationale sera fondamentale, puisqu’elle aura un impact sur les marges de manœuvre du Premier ministre, qui ne doit pas être exposé à une motion de censure des députés. C’est d’ailleurs pour cela que Jordan Bardella dit qu’il ne gouvernerait que si son parti obtenait la majorité absolue. La Ve République permet, malgré tout, de gouverner avec une majorité relative. Mais c’est vrai que le RN suscite une alliance des hostilités contre ses politiques. Un gouvernement Bardella risquerait donc d’être immédiatement censuré.

Il faut bien le garder à l’esprit : si le RN obtient la majorité absolue, il mènera une politique d’extrême droite. Ce n’est pas parce qu’Emmanuel Macron reste à l’Elysée qu’il pourra rectifier le tir. Il y aura peut-être davantage de conflictualités et de désaccords entre le Président et le Premier ministre sur le plan politique, mais les institutions fonctionneront.

A quelles conditions l’opposition pourrait-elle déposer une motion de censure contre un gouvernement Bardella ?

Une motion de censure peut être déposée à tout instant par un dixième des membres de l’Assemblée nationale, soit 58 députés. La motion doit être motivée, c’est-à-dire qu’il faut expliquer pourquoi on veut censurer le gouvernement. Ensuite, elle est débattue dans l’hémicycle et mise au vote au minimum quarante-huit heures après son dépôt. Il n’est pas possible de voter contre une motion de censure : soit un député vote pour, soit il ne vote pas. Si la motion de censure est votée par un nombre de voix égal à la majorité absolue, le gouvernement est contraint à la démission. C’est incontournable et inévitable.

Les motions de censure ne risquent-elles pas de se multiplier puisque l’Assemblée ne peut pas être dissoute pendant un an ?

C’est une possibilité : les motions de censure peuvent se succéder, de la part des députés hostiles au RN contre un gouvernement de ce dernier, puis de la part du RN contre un gouvernement d’union républicaine. Ce rythme peut continuer à l’encontre de tout autre gouvernement, mais il y a une seule limite constitutionnelle : un même député ne peut pas signer plus de trois motions de censure au cours d’une même session ordinaire (entre octobre et juin), ou plus d’une motion au cours d’une session extraordinaire (c’est-à-dire les sessions qui peuvent être organisées entre juillet et septembre, telle celle qui s’ouvrira le 18 juillet). Mais pour que cette limite soit atteinte, il y a une très grosse marge. D’autant plus qu’il ne s’agit là que d’une signature pour déposer une motion. Les députés peuvent en revanche voter autant qu’ils le souhaitent en faveur d’autres motions de censure que les leurs.

Existe-t-il d’autres moyens de s’opposer à un gouvernement ?

Il y a deux mécanismes de responsabilité : ascendant ou descendant. Ascendant : la motion de censure, venue de l’Assemblée nationale, qui va vers le gouvernement. Descendant : la question de confiance, posée par le gouvernement à l’Assemblée nationale. Le gouvernement, après une déclaration de politique générale, peut engager sa responsabilité en demandant la confiance de l’Assemblée nationale. Afin de l’obtenir, une majorité simple doit voter pour. Si la confiance n’est pas accordée, le gouvernement est tenu de démissionner. Mais ce vote de confiance n’est pas obligatoire, contrairement à d’autres pays.

En France, le gouvernement n’a pas besoin d’aller solliciter la confiance de l’Assemblée nationale pour être en poste et commencer à exercer ses fonctions, contrairement à d’autres pays. Un gouvernement n’a jamais à prouver qu’il est soutenu par une majorité à l’Assemblée nationale, mais une majorité de l’Assemblée nationale peut prouver qu’elle ne soutient plus le gouvernement. A titre d’exemple, Elisabeth Borne et Gabriel Attal ne s’y sont pas risqués.

Par conséquent, si le RN sort majoritaire de ces élections, rien ne l’empêchera de gouverner, à condition qu’il le souhaite et hormis le vote d’une motion de censure.

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