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S’exprimer librement

Gilets jaunes, pièce en 53 actes… et peut-être plus encore.

Même si, avec 28 000 manifestants partout en France, dont 4 700 à Paris, le mouvement a perdu de son intensité, il traduit encore, lors de son premier anniversaire, un profond malaise social. Surtout, il confirme qu’il est extraordinaire et innovant, par son ampleur, par sa durée, par sa morphologie.

C’est la première fois, en France, qu’une contestation sociale s’installe ainsi dans la durée, malgré des « actes » qui mobilisent parfois beaucoup moins que d’autres. Au printemps 2018, la SNCF avait déjà innové avec un mouvement de grève de plusieurs mois, à raison de deux jours tous les cinq jours. Sans doute annonciatrice, cette protestation était sans commune mesure avec la contestation actuelle. Géographiquement présents sur la quasi-totalité du territoire, les Gilets jaunes persévèrent après un an de mobilisation et en dépit de leur absence de structure classique.

En effet, ils ne se retrouvent dans aucun syndicat ni aucun parti politique particulier, comme c’est généralement le cas des mouvements sociaux. Ils ne font pas grève, mais se mobilisent le samedi, chaque semaine depuis un an.

Cette morphologie déstructurée et horizontale des Gilets jaunes est ce qui constitue à la fois leur identité, leur force et leur faiblesse. Leur identité, car elle démontre qu’il s’agit de la société en général. Leur force, car ils sont ainsi présents partout et durablement. Mais leur faiblesse, car cela rend d’autant plus difficile le dialogue institutionnel et la réception par le Gouvernement de revendications précises.

La difficulté, d’ailleurs, ne concerne pas uniquement le mouvement lui-même, mais aussi les services de sécurité. S’ils peinent à garantir la sécurité des biens et des personnes, c’est d’abord parce qu’ils sont dépourvus de tout interlocuteur, leur permettant de canaliser efficacement le mouvement et d’isoler ceux qui n’ont d’autre intention que d’attiser la violence.

Ces spécificités font toute l’originalité et l’importance du mouvement des Gilets jaunes. Mais ce n’est pourtant pas ce qu’on en retient principalement.

Ce samedi encore, des casseurs se sont saisis de cette manifestation sociale pour mener des actions violentes, notamment à Paris.

La liberté d’expression profite à tous et ne saurait être le privilège de quelques-uns

Chacun est libre d’avoir l’opinion qu’il souhaite et la Constitution le garantit. Chacun est libre d’exprimer cette opinion et la Constitution le garantit également, en tant que l’« un des droits les plus précieux de l’homme ».

La liberté d’expression est cardinale dans une démocratie, car favorisant la réflexion de chacun, elle assure le libre choix de tous. En autorisant la critique, la revendication et la contestation, elle est l’une des garanties du respect des autres droits et libertés. Le Conseil constitutionnel le rappelle systématiquement. La liberté de manifester en constitue d’ailleurs le corollaire et le prolongement.

En effet, une démocratie, « gouvernement du peuple », ne peut effectivement fonctionner que si chacun est en mesure d’exposer et de défendre son opinion : c’est ainsi que peut se forger la volonté générale.

Mais, à l’instar de toute liberté, sa garantie doit connaître des limites car la liberté personnelle s’arrête là où commence celle des autres. Ainsi, la liberté d’expression profite à tous et ne saurait être le privilège de quelques-uns.

La colère, l’anarchie, le désordre peuvent être des opinions et ceux qui les défendent ont la liberté de les exprimer. À la condition, cependant, de ne nuire ni à autrui ni à la société démocratique en général. Or, lorsque cette expression se traduit par des actes de violences ou de destruction de biens, elle doit être maîtrisée et ces actes doivent être punis.
Il en va de même lorsque, dans une Université, qui est le lieu de tous les savoirs, des manifestants, parfois étrangers à l’université elle-même, pénètrent de force dans un amphithéâtre, en saccagent les installations et y détruisent des ouvrages.

Détruire plusieurs centaines de livres dans un tel lieu de savoir est un acte inacceptable.

C’est ce qui s’est produit mardi dernier, à la Faculté de droit de l’Université de Lille, alors que 1 300 étudiants étaient venus débattre avec François Hollande, ancien Président de la République, de comment « Répondre à la crise démocratique ». Un collectif d’une centaine de manifestants particulièrement virulents les a privés d’un tel débat, alors qu’il avait été convenu avec certains de leurs représentants qu’ils pourraient directement interroger le Président, notamment sur la cause qu’ils défendaient : la lutte contre la précarité étudiante.

L’auteur de ces lignes peut en témoigner directement : il n’était nullement question de taire ou dissimuler leur colère, parfaitement compréhensible, mais simplement de leur permettre de l’exprimer conformément aux principes démocratiques.

Or ceux qui se prévalaient de la liberté d’expression ont empêché toute autre expression que la leur, privant ainsi les autres de la liberté qu’ils défendent.

« On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui », disait un humoriste subtil. En démocratie, on peut s’exprimer sur tout, mais pas n’importe comment.

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