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L’élu de la République : stop, ou encore ?

L’élu est le personnage essentiel de la République. Il est le personnage choisi pour la faire fonctionner : sans élus, elle ne fonctionne pas, avec trop d’élus, elle fonctionne mal, avec de mauvais élus, elle ne fonctionne plus. Il est aussi un statut nécessaire au bon fonctionnement de la République : élu, on bénéficie de certaines garanties et l’on est subordonné à certaines obligations, permettant à l’élu d’accomplir efficacement ses missions au sein, pour et au nom de la République. Ces obligations sont actuellement en pleine évolution.
 
D’une part, les projets de lois organique et ordinaire sur la transparence de la vie publique, adoptés par l’Assemblée nationale le 25 juin dernier et en discussion au Sénat à partir du 9 juillet, imposent de nouvelles obligations aux parlementaires, en les étendant également aux membres du gouvernement, aux députés européens, aux responsables exécutifs locaux (à l’exception des maires des communes de 20 000 habitants et moins) et aux élus locaux auxquels ces derniers ont délégué leur signature.

Ces personnalités politiques, auxquelles s’ajoutent les membres des cabinets ministériels, les collaborateurs du Président de la République et des Présidents des assemblées parlementaires ainsi que certaines personnes assumant des fonctions ou responsabilités à la décision du Gouvernement, seront soumis à une double obligation de déclaration, à l’égard de leur patrimoine et de leurs intérêts.

Les députés ont décidé de restreindre l’accès à ces déclarations, en interdisant leur publication et en la remplaçant par un libre accès aux documents. C’est heureux, transparence ne signifiant pas translucidité, démocratie ne correspondant pas à populisme. La seule publication du patrimoine et des intérêts des élus ne saurait garantir la transparence mais assurerait une ouverture sur la sphère privée sans que la démocratie en soit renforcée, au contraire, certaines situations patrimoniales ou certains intérêts pouvant faire naître un sentiment de culpabilité totalement infondé ou des attaques ad hominem parfaitement injustifiées. À l’inverse, c’est l’effectivité d’un contrôle de ces situations qui permettra de garantir l’intégrité des élus de la République.

Ces nouvelles mesures devraient, semble-t-il, assurer que « les membres du Gouvernement, les personnes titulaires d’un mandat électif local ainsi que celles chargées d’une mission de service public exercent leurs fonctions avec dignité, probité et impartialité », ainsi qu’en dispose l’article 1er du projet de loi adopté par l’Assemblée nationale. Est-ce raisonnable ? Est-ce souhaitable ? Est-ce seulement possible ? Est-il possible ou même souhaitable qu’une personne assumant une fonction politique, donc engagée, donc partisane, soit impartiale ? Non, c’est tout simplement incongru et incohérent. Attend-on des personnalités politiques qu’elles soient dignes ? Qu’elles soient compétentes, investies dans leur travail, qu’elles l’assument avec intégrité et l’accomplissent avec honnêteté seraient incontestablement un gage du bon fonctionnement de la République. Qu’elles soient dignes concerne davantage leur passage au purgatoire…

D’autre part, l’Assemblée nationale entame mercredi la discussion des projets de lois organique et ordinaire interdisant le cumul des mandats. Le cumul sera limité à deux mandats électifs et le mandat de parlementaire (national ou européen) sera incompatible avec toute fonction exécutive locale. C’est sans doute dans l’air du temps, il faut s’y résoudre. Les raisons habituellement avancées, toutefois, sont mauvaises. L’interdiction du cumul permettrait aux parlementaires d’être plus présents à l’assemblée à laquelle ils appartiennent. C’est oublier qu’un homme politique est essentiellement un homme de terrain et que c’est à sa présence sur le terrain qu’il doit, avant tout, son élection et sa réélection. C’est oublier, également, que, présent sur Paris, il n’est pas nécessairement concerné par les sujets qui viennent à l’ordre du jour, tout simplement parce qu’ils ne relèvent pas systématiquement de son champ de compétence. Qu’à cela ne tienne, pourra-t-on rétorquer, il aura désormais du temps et pourra donc s’y intéresser. C’est alors oublier, encore, que, à l’instar de tout être humain, un parlementaire n’est point omniscient et ne saurait donc être compétent en tout domaine.

Offrir un plus large investissement des parlementaires dans les divers sujets de la vie politique n’est sans doute pas impossible, mais cela requiert de repenser le travail et le fonctionnement des assemblées. L’interdiction du cumul des mandats doit ainsi accompagner une réforme plus profonde. D’abord, une réduction du nombre : de 577 députés et 348 sénateurs, le nombre de parlementaires pourrait être réduit à respectivement 400 et 250. Non pas que le nombre actuel soit excessif mais cela permettrait un meilleur fonctionnement à partir de groupes restreints. D’autant plus que le moment de l’interdiction du cumul des mandats est sans doute le plus opportun pour songer à une réduction du nombre des parlementaires et à un redécoupage circonscriptions : nombreux sont ceux qui renonceront à leur mandat lors du prochain renouvellement de l’assemblée à laquelle ils appartiennent et n’ont ainsi rien à perdre.

Ensuite, à une réduction du nombre de parlementaires doit correspondre une augmentation de leurs moyens, humains, avant tout. Actuellement, un parlementaire dispose d’une enveloppe lui permettant de rémunérer trois collaborateurs : il lui en faudrait au moins cinq si l’on souhaite qu’ils suivent de près un plus grand nombre de dossiers législatifs. Si les moyens humains augmentent, il doit en aller de même des moyens matériels, en terme d’espace et d’instruments de travail. Sans oublier que la situation de responsable exécutif local est bien plus confortable que celle de parlementaire, ce qui est parfois un argument avancé à l’appui du cumul.

Enfin, ce renforcement des moyens des parlementaires leur permettant de travailler plus efficacement doit être complété par une réorganisation du travail parlementaire lui-même. Certes la révision constitutionnelle de 2008 a déjà ouvert cette voie, en renforçant les commissions parlementaires, en augmentant leur nombre et en organisant l’ordre du jour. Il ne paraît pas inutile de poursuivre cette réorganisation en réfléchissant à une meilleure articulation entre les travaux des commissions et ceux de la séance, à une réforme de la procédure accélérée, normalement exceptionnelle mais qui devient la règle tant elle est sollicitée, ou encore à une division des commissions en plusieurs sous-commissions spécialisées.

La place de l’élu de la République est donc en voie d’être repensée. Elle doit l’être encore. Une interdiction du cumul justifierait de réduire le nombre de parlementaires. La réduction du nombre de parlementaires permettrait d’équilibrer, en termes financiers, l’augmentation des moyens. L’augmentation des moyens permettrait d’assurer une plus grande efficacité du travail parlementaire. L’efficacité du travail parlementaire serait renforcée par une réorganisation du fonctionnement des assemblées.

Ainsi, l’élu de la République serait pleinement au service de la République. Au service de son bon fonctionnement.

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