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Laisser le Conseil constitutionnel travailler tranquillement

Ce billet est initialement paru sous forme de tribune sur Le Monde le 6 avril 2023.

2023 04 07 Le Monde Laissons le CC travailler
Le Conseil constitutionnel focalise tous les regards et il aura rarement été autant au centre de l’attention qu’en cette période. Ce n’est guère surprenant, tant les crispations sur la réforme des retraites furent grandes, au Parlement et au-delà. De surcroît, la bataille ne fut pas que politique, mais aussi juridique, à travers la mobilisation originale et exceptionnelle de nombreux mécanismes constitutionnels. Ainsi, l’attente qui pèse sur la décision du Conseil est importante sur le plan politique et de la destinée de cette réforme, mais elle l’est tout autant sur le plan juridique, car, quoi qu’il décide, elle constituera un précédent.

Cette attente et cette attention confirment, à n’en point douter, que le Conseil constitutionnel se dresse comme un dernier rempart face aux atteintes à notre norme fondamentale et aux droits et libertés qu’elle garantit. Elles ne justifient pas pour autant les multiples spéculations ou autres critiques dont l’institution fait l’objet. Selon un usage que tout juriste serait sage de s’appliquer à lui-même afin de préserver l’indépendance de la justice, une décision de justice ne s’annonce pas, elle se commente. Si les décryptages, analyses et critiques sont ainsi utiles et nécessaires, ils deviennent plus pertinents lorsqu’ils portent sur l’existant, donc la décision rendue, plutôt que sur ce qui pourrait l’être, à savoir la décision à rendre. Dans ce dernier cas, ils s’apparentent davantage à un plaidoyer, qu’il est plus judicieux de porter devant le juge lui-même que dans l’arène médiatique car, en s’adressant au premier, on s’efforce de le convaincre mais, en s’adressant à la société, c’est davantage de pression plutôt que de conviction dont il est question.

 

Une décision de justice ne s’annonce pas, elle se commente 

Or l’exigence d’indépendance et d’impartialité du juge ne saurait admettre de telles pressions.

Cependant, il s’agit là d’une critique vive et récurrente qui est adressée au Conseil : son manque d’indépendance, son manque d’impartialité, sa politisation. On en voudrait pour preuve le mode de nomination de ses membres, leur absence de formation juridique, leur proximité avec le pouvoir qu’ils ont parfois exercé.

Si, à l’instar de toute institution, voire de tout mécanisme juridique, le Conseil constitutionnel est évidemment perfectible, il ne mérite pas un tel réquisitoire, qui relève davantage de l’accusation incantatoire que d’une motivation fondée et justifiée.

Il est vrai que l’on pourrait attendre d’une telle institution qu’elle soit composée d’un collège de membres dont les compétences sont exemplaires. Faut-il, pour autant, qu’elle ne soit composée que de juristes aguerris ? Si des connaissances en droit sont évidemment nécessaires pour juger de la constitutionnalité de la loi, elles peuvent utilement être complétées par des expertises en matière économique, fiscale, sociale ou politique. De même, le mode de nomination des membres doit évidemment être irréprochable et il peut encore évoluer. Pour autant, les autres modèles que l’on peut connaître à travers le monde le sont-ils ? Que dire du modèle des États-Unis, qui a la vertu d’exposer les futurs membres de la Cour suprême à de longues et intenses auditions, mais le travers de permettre à un Président de nommer qui il souhaite, politisant ainsi à l’envi une institution dotée de bien davantage de pouvoirs que le Conseil constitutionnel français ? Que dire des modèles européens où les membres sont élus à une majorité qualifiée par les assemblées parlementaires, imposant donc un accord entre la majorité et l’opposition, mais qui engendrent alors soit des tractations politiques, comme en Allemagne, soit des blocages rendant les nominations impossibles pendant un temps, comme en Italie ?

Ainsi, nul système n’est parfait et le nôtre peut encore connaître des améliorations. En tout état de cause, les critiques adressées aux compétences ou au mode de nomination des membres du Conseil concernent moins l’institution elle-même que les autorités de nomination ou celles en mesures de procéder aux évolutions attendues, c’est-à-dire les parlementaires.

Surtout, une nomination engage davantage le nommant que le nommé : c’est bien le premier qui choisit librement le second et qui, le cas échéant, puisqu’il s’agit d’une autorité politique (Président de la République, Président du Sénat ou Président de l’Assemblée nationale), aura à répondre de la nomination.

En revanche, rien ne semble étayer une politisation de l’institution, qui veille au respect de la Constitution, non d’une politique déterminée. Au nom du respect des droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel examine les lois qui lui sont soumises et, en cas de violation, les censure sans se soucier de la politique conduite par le Gouvernement. Lorsque la « loi anti-casseurs » devait répondre, en 2019, aux nombreuses violences perpétrées lors de l’épisode des « gilets jaunes », le dispositif ainsi imaginé fut déclaré contraire à la Constitution sans hésitation. De même, lorsque le Gouvernement et même le Président de la République fraîchement élu voulaient taxer à 75% les très hauts revenus en 2012, la mesure ne fut pas validée (une première fois), le mécanisme retenu n’étant pas constitutionnel. Les exemples sont nombreux et confirment que le Conseil n’hésite pas à aller à l’encontre d’une politique voulue et déterminée lorsque le droit l’exige.

C’est non seulement bénéfique, mais aussi indispensable à l’équilibre démocratique de notre régime. En effet, alors qu’un Président élu est en mesure d’imposer un choix politique déterminé grâce au soutien majoritaire dont il dispose à l’Assemblée nationale, il est nécessaire qu’une tierce institution veille sur les éventuels écarts constitutionnels auxquels cette politique pourrait conduire, en étant en mesure de les interdire lorsqu’ils se présentent. Laissons donc le Conseil constitutionnel travailler tranquillement et, quoi qu’il dise, analysons et respectons ses décisions.

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