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Vote de la censure par l’extrême droite : rien à gagner et beaucoup à perdre

Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un œil sur la Constitution », in Nouvel Obs.

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Le Gouvernement de Michel Barnier vivrait ses dernières heures. Empêtré dans la procédure budgétaire, il a en effet été contraint d’activer le « 49, al. 3 », conduisant au dépôt d’une motion de censure par le Nouveau Front populaire (NFP). Elle pourrait être également votée par l’extrême droite conduisant à son adoption par une majorité absolue de députés (289) et contraignant le Gouvernement à la démission. 

Cette chute pourrait donc intervenir dès mercredi, lors de l’examen du budget de la sécurité sociale. Si tel n’était pas le cas, ce serait d’ici à la fin de l’année, lors de l’examen final du budget de l’État. Tout cela est au conditionnel car rien n’assure, à ce stade, que la motion de censure sera adoptée. On relèvera simplement que Marine Le Pen et ses alliés ont peu à gagner mais beaucoup à perdre à s’allier à la gauche pour voter la censure.

Marine Le Pen a intérêt à maintenir la pression le plus longtemps possible : c’est ainsi qu’elle démontre que le Gouvernement est à sa merci

Ils y gagneraient sans doute une victoire politique, avec l’adoption de la deuxième motion de censure de l’histoire de la Ve République et la première depuis plus de soixante ans, puisque la précédente fut votée le 5 octobre 1962, contre le Gouvernement de Georges Pompidou. La situation était bien différente à l’époque car la dissolution avait pu être immédiatement prononcée et, appelés aux urnes, les électeurs avaient confirmé leur soutien au Général de Gaulle et au Gouvernement, permettant la reconduction du même Pompidou à sa tête. Aujourd’hui, déjà prononcée le 9 juin et ayant conduit à des élections les 30 juin et 7 juillet, une dissolution n’est pas possible dans l’année qui suit ces dernières : il ne peut donc pas y en avoir avant le 8 juillet prochain.

L’extrême droite y gagnerait encore le rejet – vraisemblable – du budget auquel elle s’oppose, nonobstant les concessions et victoires qu’elle a obtenues. Mais, à vrai dire, elle n’y gagnerait guère davantage…

En revanche, elle a beaucoup à perdre.

D’abord, cette motion de censure ne pourrait être adoptée qu’au prix d’une alliance avec toute la gauche. D’ailleurs, cette dernière a été bien inspirée : ne souhaitant pas que ses voix se mêlent à celles de l’extrême droite, elle a inscrit dans le texte de sa motion de censure des éléments que Le Pen et ses alliés pourront difficilement soutenir, sur l’immigration et la remise en cause de l’aide médicale d’État. En tout état de cause, l’extrême droite devra justifier son ralliement, qui n’a pour seule finalité que de faire chuter le Gouvernement et de rejeter le budget, alors qu’elle a obtenu des avancées. Surtout, la situation financière et politique du pays permet difficilement de s’offrir le luxe d’une nouvelle crise, dont tous ceux qui l’ont engendrée seraient tenus pour responsable. Au-delà d’une victoire immédiate quant à la chute du Gouvernement, la défaite serait rude pour les Français, y compris les électeurs de l’extrême droite.

De surcroît, si, postérieurement à une censure, la démission du Premier ministre est une obligation constitutionnelle, rien n’interdit de le reconduire immédiatement. A minima, Michel Barnier restera en fonction jusqu’à la nomination de son successeur, gérant ainsi les affaires courantes et l’on a vu cet été avec Gabriel Attal qu’une telle période pouvait être longue. En ce mois de décembre, la gestion des affaires courantes implique l’adoption d’un budget pour 2025, ne serait-ce que par une loi spéciale permettant de reconduire les crédits votés pour cette année (2024). Or cette reconduction signifierait un budget encore moins en adéquation avec les exigences de l’extrême droite que ne le serait l’adoption de celui négocié avec elle. Elle y perdrait donc beaucoup.

Ajoutons que la nomination d’un nouveau Premier ministre et d’un nouveau Gouvernement ferait certainement perdre beaucoup d’influence au parti de Marine Le Pen. Tout le monde sait qu’aujourd’hui, elle a l’avenir du Gouvernement entre les mains, puisqu’il ne peut se maintenir qu’avec sa bonne volonté. Et elle sait bien s’en servir, en faisant monter les enchères. Si, demain, il fallait en nommer un nouveau, soit avec un nouveau « socle commun » (sans doute plus à gauche), soit « technique », son influence serait bien moindre, voire réduite à zéro. 

Certains avancent l’hypothèse d’une démission du Président de la République, provoquant une élection présidentielle anticipée. Marine Le Pen y aurait d’autant plus intérêt qu’elle est confrontée à l’échéance du 31 mars, date du jugement qui pourrait la déclarer inéligible, avec exécution provisoire (donc immédiate). C’est oublié que nul ne peut contraindre le Président à démissionner, hormis l’hypothèse d’une destitution, si improbable qu’on peut dire qu’elle est exclue. Or on doute fortement qu’il s’y résigne, à ce stade du moins, ne serait-ce que parce que, précisément, l’échéance du 31 mars est dans toutes les têtes, y compris la sienne.

Par conséquent, le vote de cette motion de censure n’aurait quasiment aucune conséquence sur la situation politique actuelle : Barnier resterait en fonction, gérant les affaires courantes, l’Assemblée nationale resterait tout aussi fracturée, faute de dissolution possible et le Président resterait à l’Élysée, revenant même sans doute sur le devant de la scène car ce serait à lui de résoudre la crise. Dépourvue de nouveau budget, la France serait contrainte de poursuivre avec l’actuel, qui ne satisfait personne.

Rien à gagner et beaucoup à perdre : tel est le bilan coût – avantage du vote de la motion de censure par l’extrême droite, avec les voix de la gauche. En revanche, Madame Le Pen a bien intérêt à maintenir la pression le plus longtemps possible, en retardant jusqu’au dernier moment l’annonce de sa décision : c’est ainsi qu’elle démontre que le Gouvernement est à sa merci.

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