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Aux mêmes causes, les mêmes effets

Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un œil sur la Constitution », in Nouvel Obs, le 26 septembre

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Aux mêmes causes, les mêmes effets : à peine six mois après la condamnation de Marine Le Pen et sa diatribe déversée contre les juges, Nicolas Sarkozy a fait l’objet d’une sentence historique, le conduisant à dénoncer une décision « d’une gravité extrême pour l’État de droit, pour la confiance qu’on peut avoir en la justice ».

Dans les deux cas, nous avons une personne condamnée en première instance à une peine relativement lourde, alors qu’elles clament leur innocence (tout en reconnaissant la matérialité des faits, dans le cas de Madame Le Pen). Cette condamnation est assortie de « l’exécution provisoire », c’est-à-dire qu’elle s’applique malgré l’appel. Voici pour « les causes ».

Dans les deux cas, loin de s’émouvoir d’une peine excessive ou disproportionnée, loin de dénoncer un droit pénal trop rigoureux qui ne leur aurait pas permis de faire valoir leur – prétendue – innocence, les deux condamnés s’en prennent aux fondements mêmes de notre démocratie. Ils dénoncent un gouvernement des juges, une justice, voire des juges partiaux, une atteinte à l’État de droit. Voici pour « les effets ».

 

La justice est un contrepouvoir indispensable à notre État de droit démocratique, ayant pleinement sa place dans la mécanique de la séparation des pouvoirs

Qu’ils prétendent aux plus hautes fonctions de l’État ou qu’ils les aient exercées mêmes, disposant ainsi d’un rôle central quant à la préservation de la démocratie et l’État de droit, ne les émeut guère. Condamnés par le tribunal judiciaire, ils en appellent au tribunal de l’opinion, oubliant la dangerosité d’une telle démarche.

En effet, leur condamnation n’est pas le fait d’un juge qui leur en voudrait pour quelque raison que ce soit, mais l’aboutissement d’une procédure judiciaire, lors de laquelle les inculpés ont pu se défendre, faire valoir leurs arguments, bénéficier de toutes les garanties fondamentales de la justice. Ils ont pu faire valoir leurs droits.

En retour, le système judiciaire a abouti, aux termes d’enquêtes longues et minutieuses, à ce que plusieurs magistrats soient convaincus de la culpabilité des inculpés. Il ne s’agit pas d’un juge, mais bien de plusieurs : la formation du tribunal correctionnel est collégiale et, au préalable, un juge d’instruction et des procureurs ont permis que la procédure suive son cours. De son initiation à son terme, de l’enquête à la condamnation, les magistrats concernés n’ont à aucun moment fait valoir leurs intérêts personnels – contrairement aux prévenus, dont c’est le rôle – mais se sont cantonnés à la plus stricte application du droit.

Si tel n’avait pas été le cas, la collégialité aurait été un remède à une déviance isolée. À supposer que ce soit la collégialité même qui soit en cause, les instruments de procédures (telles les questions prioritaires de constitutionnalité, par exemple), auraient permis aux prévenus de corriger une errance. Et à supposer, enfin, que toute la procédure soit viciée depuis son départ et jusqu’à cette condamnation en première instance, la procédure d’appel permettra de la reprendre intégralement. Bref, l’État de droit dans lequel nous sommes, pourtant dénoncé par M. Sarkozy, offre toutes les garanties nécessaires à une justice impartiale, indépendante et efficace. En un mot : exemplaire, contrairement aux comportements de ceux qu’elle condamne…

Il est vrai qu’elle apprécie les personnalités mêmes des personnes condamnées, pour établir leur condamnation : c’est le droit lui-même qui l’impose, même le droit constitutionnel. En effet, le principe d’individualisation des peines est un principe constitutionnel cardinal du droit pénal, qui conduit le juge à apprécier la personnalité de celui qui est jugé coupable, les circonstances de l’infraction qu’il a commise, les raisons de son acte, etc. À ce titre, Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen ne sont pas des justiciables comme les autres, même s’ils bénéficient de la même justice que tous. Ils sont des justiciables particuliers eu égard à leur rôle dans la démocratie et dans l’État de droit, dont le juge doit tenir compte. C’est l’une des raisons justifiant pleinement le prononcé d’une exécution provisoire, dans le cas de Marine Le Pen qui ne fait nul secret de ses intentions électorales, ou dans le cas de Nicolas Sarkozy, qui n’a de cesse de s’exprimer pour jeter l’opprobre sur la justice et, ainsi, susciter un sentiment de défiance à son égard, de la part de l’ensemble des justiciables, alors qu’il est reconnu coupable d’une infraction d’une particulière gravité.

En appeler au tribunal de l’opinion pour condamner cet État de droit, pour dénoncer un soi-disant « gouvernement des juges », pour questionner la confiance dans la justice est particulièrement dangereux et mériterait une condamnation d’autant plus lourde de ceux qui s’y adonnent, a fortiori lorsqu’ils portent une voix d’une intensité particulière et qu’ils exercent un rôle de premier plan dans la vie démocratique. Une telle interpellation suppose de se poser une question : que serait notre État sans droit ? Que serait notre gouvernement sans juges ? Que serait notre justice sans confiance ? Sans même réfléchir aux réponses, le seul énoncé de ces questions devrait suffire à faire frémir.

La justice est un contrepouvoir indispensable à notre État de droit démocratique, comme elle le prouve tous les jours en veillant sur le respect du droit dans notre société. Elle a pleinement sa place dans la mécanique de la séparation des pouvoirs, nécessaire à l’équilibre dans la démocratie. Sans justice, il n’y aurait précisément aucune limite, car l’on ne peut toujours compter sur la sagesse humaine pour respecter les règles que nous établissons. Et elle l’a encore prouvé hier, en condamnant M. Sarkozy à cinq d’emprisonnement : elle applique le droit que ce dernier a lui-même contribué à produire, notamment en durcissant notre droit pénal. Ce n’est donc pas tant la justice que Monsieur Sarkozy devrait mettre en cause, mais le droit qu’elle est tenue d’appliquer.

Cette mise en cause publique de la justice entend dresser les justiciables contre elle, alors que son seul objectif est de les protéger. Ceux qui ont exercé les plus hautes fonctions de l’État ou qui prétendent le faire devraient en avoir conscience.

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