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« Les ministres démissionnaires ayant toujours un pouvoir de décision et d’autorité, ne devraient pas pouvoir siéger en tant que députés »

Cette interview est initialement parue sur liberation.fr 

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Le Premier ministre Gabriel Attal peut-il aussi présider le groupe Renaissance à l’Assemblée alors que la Constitution interdit un tel cumul ? Éclairage avec les constitutionnalistes Jean-Philippe Derosier et Benjamin Morel.

Réélu député des Hauts-de-Seine à l’issue des législatives anticipées, Gabriel Attal a officiellement annoncé ce vendredi 12 juillet sa candidature à la présidence du groupe Renaissance à l’Assemblée. Seul candidat en lice, le Premier ministre devrait être désigné samedi. Il devrait pouvoir, par la suite, représenter son parti à la conférence des présidents, qui se réunit chaque semaine afin de décider de l’ordre du jour de l’hémicycle. Seulement, l’article 23 de la Constitution est clair : « Les fonctions de membre du gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire. » Or bien que Gabriel Attal ait remis sa démission au président de la République le 8 juillet, celui-ci ne l’a pas encore acceptée. Il reste donc Premier ministre de plein exercice.

Libération a interrogé deux constitutionnalistes sur cette contradiction. Jean-Philippe Derosier est professeur agrégé de droit public à l’université de Lille et titulaire de la chaire d’études parlementaires, et Benjamin Morel maître de conférences en droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas.

 

Gabriel Attal peut-il présenter sa candidature à la présidence du groupe Renaissance à l’Assemblée, alors qu’il est toujours Premier ministre ?

Jean-Philippe Derosier : A l’heure où nous nous parlons, Gabriel Attal n’est pas député, puisqu’il est Premier ministre de plein exercice et que la Constitution pose une incompatibilité très stricte entre ces deux postes à l’article 23. Un membre du gouvernement ne peut pas exercer un mandat parlementaire, c’est très clair dans le texte.

La présidence de son groupe, dont l’élection a lieu demain, est en revanche interne au parti. C’est le groupe qui désigne son président. A ce stade, élire Gabriel Attal pose une bizarrerie mais ne paraît pas contraire aux règles, car il prend simplement la présidence de l’association. En revanche, tant qu’il n’est pas démissionnaire, les effets institutionnels de sa présidence de groupe, comme la possibilité de siéger à la conférence des présidents, sont impossibles. Il ne peut pas être considéré comme président du groupe Renaissance au niveau institutionnel tant qu’il est membre du gouvernement.

Benjamin Morel : L’élection des présidents de groupe est liée au statut des groupes. La règle de base, c’est que le président doit être député, c’est là où il y a un problème. Une fois que le Premier ministre sera démissionnaire, théoriquement il pourra siéger. Ce serait une sorte de député qui fait office de ministre.

Quelle est la différence entre un gouvernement de plein exercice et un gouvernement démissionnaire ?

J-Ph.D. : Un gouvernement est soit en fonction, soit démissionnaire en charge des affaires courantes, ce qui signifie qu’un nouveau gouvernement n’a pas été nommé. Avec Gabriel Attal, on est actuellement dans la première configuration. Même s’il a présenté sa démission, elle n’a pas été acceptée par le président de la République. Il n’y a pas de précision dans la Constitution quant au statut de Premier ministre démissionnaire en charge des « affaires courantes », mais le fait de gérer ces affaires courantes est une règle et une coutume administrative qui s’appliquent à l’autorité qui quitte son poste, au nom de la « continuité de l’État ». Ce principe est prévu par la Constitution notamment à l’article 5 en ce qui concerne le président de la République.

Quant à la notion d’affaires courantes, elle n’est pas non plus inscrite dans la Constitution, mais elle est contrôlée par un juge. Il y en a une définition jurisprudentielle, qui recouvre deux dimensions, la première étant la gestion quotidienne et la poursuite des affaires en cours, la seconde l’urgence. C’est-à-dire qu’il faut d’un côté appliquer des mesures qui ont déjà été décidées, de l’autre gérer les urgences s’il y en a.

Quand on est démissionnaire en charge des affaires courantes, on reste l’autorité compétente pour agir. Même si l’action est restreinte, car elle n’est plus de plein exercice et qu’il n’y a plus de plénitude des compétences, elle existe néanmoins.

Est-ce sur la différence entre Premier ministre de plein exercice et Premier ministre démissionnaire que Gabriel Attal peut jouer afin de présider le groupe Renaissance à l’Assemblée ?

J-Ph.D. : Gabriel Attal va sûrement être Premier ministre démissionnaire, en charge des affaires courantes, sauf si un autre gouvernement est nommé immédiatement. C’est là qu’il y a une divergence des interprétations, entre la fidélité au texte [l’article 23 de la Constitution, ndlr] et l’interprétation extensive par rapport au texte. Selon moi, les ministres démissionnaires ayant toujours un pouvoir de décision et d’autorité, ne devraient pas pouvoir siéger en tant que députés. Tant qu’il n’y a pas eu de passation de pouvoir, le ministre démissionnaire est encore ministre et ne peut pas être parlementaire. C’est ce qui justifie qu’en 2022, Yaël Braun-Pivet ait démissionné du gouvernement et que ses compétences de ministre des Outre-mer aient été confiées à la Première ministre, afin qu’elle puisse être candidate à la présidence de l’Assemblée nationale.

Mais cette interprétation stricte est contredite par un précédent qui s’est déroulé pendant le gouvernement de Michel Rocard, en 1988. Réélu en mai, François Mitterrand nomme Michel Rocard Premier ministre et, au soir des élections législatives remportées par la gauche un mois plus tard, ce dernier présente sa démission, comme le veut la tradition républicaine. Le Président temporise, comme Macron actuellement. Puis Mitterrand accepte la démission dix jours plus tard, le 22 juin. Rocard et tous les ministres députés votent pour Laurent Fabius candidat au perchoir le 23 juin, et sont renommés le 24 juin. Ce précédent-là montre que l’interprétation qui est la mienne, sur l’impossibilité de siéger à l’Assemblée pour les membres d’un gouvernement démissionnaire, a été contredite par les faits. Mais tous les jours, il y a des cambriolages, des vols, etc. Ce n’est pas pour autant qu’ils deviennent conformes à la loi.

Ce qu’il s’est passé en 1988 est vraisemblablement ce qui va se passer cette fois-ci, même si ce n’est pas du tout la même situation qu’en 1988, où on savait que Michel Rocard allait retourner très vite à la tête du gouvernement – en vingt-quatre heures. Ce qui pose question pour Gabriel Attal : où siégera-t-il ? Au banc des députés comme président de groupe ou au banc des ministres ? Là, il y a un réel dysfonctionnement.

B.M. : Tant que Gabriel Attal est ministre de plein exercice, il a trente jours pour faire un choix entre député et ministre. Tant qu’il n’a pas choisi entre les deux, il ne peut pas siéger à la conférence des présidents, il ne peut être qu’un président absent. Ce qui est problématique, parce qu’il porte non seulement la voix de son parti mais également son poids, soit 99 sièges.

Une fois que le Premier ministre sera démissionnaire, théoriquement il pourra siéger. Mais c’est une façon de torturer le droit. Parce que la Constitution de la Ve République est vraiment écrite et pensée pour empêcher le cumul de la fonction de ministre et du mandat parlementaire. C’est quelque chose auquel Charles de Gaulle tenait énormément parce qu’il jugeait que cela représentait un risque d’instabilité.

Quels problèmes cela pose-t-il ?

B.M. : Juridiquement ça peut tenir, mais ça pose de gros problèmes démocratiques et d’équilibre du régime. Déjà parce que les ministres démissionnaires ont toujours un pouvoir, pour appliquer des mesures déjà décidées, et en appliquer d’autres en cas d’urgence. De plus, et c’est le plus dangereux, on ne peut pas déposer de motion de censure contre un gouvernement démissionnaire.

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