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Liberté ne rime pas avec majorité

Tout indique que l’actuelle majorité, ainsi que le Gouvernement et le Président de la République qu’elle soutient, ne sont pas à l’aise avec la liberté, qui constitue pourtant l’un des principes cardinaux de la démocratie en général, de notre régime en particulier.

C’est parce que nous sommes libres, de nos choix, de nos opinions, de nos mouvements, que nous pouvons collectivement décider de la politique que doivent conduire ceux que nous élisons à cette fin. À l’inverse, une décision qui nous serait imposée par une autorité que nous n’aurions pas choisie serait une atteinte à notre liberté.

Cette liberté n’est évidemment pas sans borne : comme le rappelle justement l’article 4 de la Déclaration de 1789, elle « consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », ce que l’on formule souvent selon l’adage populaire « la liberté s’arrête là où commence celle des autres ». Ce même article 4 précise que seule la loi peut ainsi fixer des bornes à l’exercice de la et des libertés.

 

La politique liberticide, digne des démocraties « illibérales », a été stoppée par le juge, sans être interrompue pour autant

Car la liberté se décline en une pluralité de libertés, au sein desquelles la liberté d’expression occupe une place centrale. D’abord, la Déclaration de 1789 la qualifie de l’un « des droits les plus précieux de l’homme ». Ensuite, le Conseil constitutionnel rappelle systématiquement que l’exercice de la liberté d’expression et de communication est « une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés ».

En effet, la garantie de la liberté de s’exprimer permet que les différentes opinions puissent être soutenues, puissent s’opposer dans une société pluraliste et que les citoyens puissent ainsi librement opérer leurs choix.

Par ailleurs, l’expression ainsi préservée passe par de multiples formes : les médias, les écrits, les manifestations, par exemple.

Si bien que l’interdiction d’une manifestation interpelle nécessairement.

Rappelons que l’obligation qui préside à l’organisation d’une manifestation n’est pas celle d’obtenir son autorisation, mais simplement celle de la déclarer. L’autorité administrative peut alors décider de l’interdire, notamment pour des motifs liés à un risque de troubles graves à l’ordre public. Mais encore faut-il que ce risque soit réel et dûment justifié.

Ainsi, lorsqu’on a pu voir se multiplier les arrêtés préfectoraux interdisant des rassemblements ou l’usage d’instruments de musique, le fussent-ils par destination, ou encore de cartons rouges, ce n’était pas seulement la liberté d’expression (et de manifester) qui était en cause, mais bien le fondement même de notre démocratie. Cette multiplication annonçait une dérive préoccupante de la politique menée par le Gouvernement : afin de préserver l’État de droit et l’ordre, il faut interdire largement.

Cette politique liberticide, digne des démocraties que l’on qualifie « d’illibérales », a heureusement été stoppée par le juge. Sans pour autant qu’elle soit interrompue.

En effet, en répondant à un parlementaire qui s’étonnait d’un « deux poids, deux mesures » alors qu’une manifestation de l’ultra-droite n’avait pas été interdite à Paris, le Ministre de l’Intérieur répondait que, désormais, toute manifestation d’un tel mouvement serait, par principe, interdite et que le juge administratif trancherait au cas par cas.

On en revient ainsi à une interdiction qui devient la règle, donc à un Gouvernement assumant pleinement une politique liberticide : c’est doublement dangereux.

D’une part, même si s’en remettre ainsi au juge prouve incontestablement la capacité de notre démocratie à préserver, en dernier lieu, les libertés, son rôle n’est pas d’assumer une décision politique, en lieu et place des autorités responsables. D’autre part, une décision de l’administration s’impose, tant qu’elle n’a pas été annulée par le juge. Pour cela, un recours doit être introduit en justice par un requérant, dans un délai imparti et la décision doit être rendue. Autant d’éléments qui retardent l’éventuelle annulation, préservant ainsi l’application d’une décision illégale et, surtout, antidémocratique.

Par conséquent, sous couvert de vouloir s’en remettre au juge, le Ministre de l’Intérieur vient au contraire justifier et assumer que le Gouvernement mène désormais une politique de l’interdiction et de remise en cause des libertés, ce qui est contraire à la loi et à une jurisprudence bien établie.

À l’inverse, assumant la responsabilité qui est la sienne, le Ministre de l’Intérieur aurait pu indiquer aux préfets, par voie de circulaire, à quelles conditions une manifestation (de l’ultra-droite ou d’autres mouvements) devait être interdite : certainement pas au prétexte de sa seule appartenance à un courant politique, mais davantage eu égard aux risques d’atteintes à l’ordre public. Il est ainsi compréhensible que le juge administratif ait annulé l’interdiction de deux manifestations royalistes ce week-end, mais refusé d’annuler celle d’un mouvement pétainiste, organisée par un multirécidiviste condamné.

C’est sur le terrain politique qu’il convient de contester des opinions auxquelles on s’oppose, tandis qu’il ne faut le faire sur le terrain du droit que lorsque ces opinions deviennent légalement contestables et dangereuses.

Cette atteinte à la liberté d’expression n’est d’ailleurs pas l’apanage du seul Ministre de l’Intérieur : la Première Ministre a elle-même assigné en justice l’éditeur d’une biographie parue il y a quelques semaines, au prétexte d’une atteinte à sa vie privée.

Écrite par une journaliste dont on a déjà pu apprécier la rigueur et le sérieux, cette biographie mérite la lecture. Intitulée La Secrète, elle relate une personnalité discrète, mais sur la base d’informations vérifiées et parfois transmises par l’intéressée elle-même, sans aucune atteinte à sa dignité ou à sa probité.

Surtout, nous ne saurions accepter de verser dans une société de la censure. La liberté doit présider au fonctionnement de notre démocratie, même si elle conduit à dire des vérités qui dérangent, ou à exprimer une opposition. Dans le respect de l’ordre public et de la liberté de chacun.

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