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La main de Dieu

Le Sacre de Napoléon. Jamais tableau n’aurait porté aussi mal son nom, dit-on parfois. En effet, il ne représente point le sacre de l’Empereur lui-même, mais celui de son épouse Joséphine.

Pourtant, il est parfaitement intitulé. D’abord, parce que son titre exact est Sacre de l’empereur Napoléon et couronnement de l’impératrice Joséphine : voilà qui clarifie, car il s’agissait de peindre un événement, non un instant. Ensuite, parce que le tableau montre bien le sacre de Napoléon : non celui qu’il reçoit, mais bien celui auquel lui-même procède. La scène souligne ainsi que seul Napoléon sacre : il s’est sacré lui-même, en se posant sa couronne de lauriers sur la tête, puis il couronne son épouse. Pie VII, le Pape, qui a préalablement béni les couronnes, n’a qu’un rôle passif, de spectateur attentif et sans doute éberlué et résigné.

C’est donc bien le sacre de Napoléon : il est l’instigateur, il est l’acteur et il est au cœur de l’événement.


Il en est de même du « sacre d’Emmanuel Macron » qui a eu lieu ce samedi 18 novembre. Ce n’est pas lui qui fut sacré, mais lui qui a sacré. L’heureux élu est Christophe Castaner, nouveau délégué général de la République en marche, ainsi désigné par « le choix de l’Empereur » ou, plutôt, par « la main de Dieu », n’en déplaise aux laïcs.

Le rôle du pape passif, éberlué et résigné est joué par le peuple, par la démocratie ou, à l’échelle du parti politique, par les militants qui assistèrent au couronnement sans autre possibilité que de valider ce choix. De le bénir, puisqu’il venait d’en haut.

Est-ce extraordinaire ? Non.

Est-ce critiquable ? Pas davantage, ou alors c’est toute l’histoire, voire tout le système de la Vème République qu’il faudrait critiquer.

Car rien de ce qui s’est produit ce week-end ni de ce qui se déroule dans ce prétendu « mouvement » depuis qu’il a été créé ne diffère fondamentalement de ce qui se pratique dans tous les partis politiques voués à l’accès aux fonctions les plus élevées de notre régime.

Emmanuel Macron a créé un parti politique – car En Marche !, dès le départ, n’est rien d’autre – avec pour seule ambition de le porter, tôt ou tard, à la présidence de la République. Ce qui est surprenant, c’est qu’il y soit parvenu en un délai si bref. Mais la démarche elle-même ne l’est nullement. Que l’on prenne François Mitterrand, en 1971, avec le Parti socialiste ou Jacques Chirac, en 1976, avec le Rassemblement pour la République, tous deux s’inscrivent dans la même dynamique, avec la même ambition : créer un parti déterminé, pour porter son créateur déterminé à une fonction déterminée, après un temps indéterminé.

Une fois cette fonction conquise, il est logique que le relais soit passé : il n’est pas concevable que le Président de la République demeure le chef de son parti. Et il est tout aussi logique que celui qui a créé le parti, qui en a donc fixé l’idéologie originaire et les méthodes de fonctionnement, et qui a, de surcroît, obtenu l’onction suprême du suffrage universel, agisse pour désigner celui qui lui succèdera et, donc, l’épaulera dans son action politique. C’est « la main de Dieu », plus exactement « la main du Dieu créateur ».

Il n’y avait rien de surprenant ni de critiquable à ce que Lionel Jospin succède à François Mitterrand, en janvier 1981, avant même l’élection présidentielle, sans aucune concurrence. Il était attendu, logique et nullement extraordinaire qu’Alain Juppé succède à Jacques Chirac, dès 1994, à la présidence du RPR, dont il était d’ailleurs le « numéro 2 ».

Il ne serait pas davantage surprenant, au regard de ce qui se pratique dans les démocraties parlementaires, que Christophe Castaner demeure membre du Gouvernement. D’ailleurs, dans ces régimes, le chef du parti majoritaire devient généralement, ès qualités, membre du gouvernement – et non des moindres, puisqu’il en devient le chef.

Seulement, sur ce point, notre régime de la Vème République fonctionne différemment, puisque le chef du parti majoritaire est généralement devenu Président de la République (quoique pas toujours). La logique est alors inversée et ce n’est pas le chef de la majorité qui devient chef du Gouvernement, mais le chef du Gouvernement qui deviendra chef de la majorité… parlementaire. Là encore, c’est « la main de Dieu » qui opère : ce n’est point surprenant, c’est la logique de notre régime qui permet à l’élu direct du peuple, le Président, de désigner celui qui conduira le projet politique qui lui a permis d’être élu.

Cela se poursuit, comme on vient de le voir, par la désignation d’un chef du parti de la majorité. Quant à sa destinée gouvernementale, c’est encore – et toujours – à la main de Dieu d’en décider.

Ce qui est surprenant, c’est que l’on puisse s’en émouvoir. À moins que l’on ait eu la naïveté de croire, comme cela a pu être soutenu, que, en l’espèce, il ne s’agissait pas d’un parti classique mais d’un « mouvement », qui ne fonctionnerait pas selon des règles classiques mais « renouvelées », voire « originales ».

Cela aurait été d’une grande naïveté. Après ce sacre et, ironie des faits, la vente record, le lendemain, d’une feuille de laurier de la couronne de Napoléon, l’actualité le confirme.

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