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La primaire populaire est illégale

Ce billet est initialement paru sous forme de tribune sur lejdd.fr.

Le processus supposé permettre une candidature commune pour la gauche à l’élection présidentielle, en désignant la personnalité la plus à même de porter les valeurs écologiques, démocratiques et sociales est illégal. Pour bien le comprendre, il faut d’abord cerner de quoi l’on parle.

Car, bien qu’elle en porte le nom, cette initiative n’est pas une primaire. Et bien qu’elle n’en porte pas le nom, elle n’est autre qu’un sondage.

Elle n’est pas une primaire non pas en ce qu’elle est organisée par une structure différente d’un parti politique, mais bien parce qu’elle entend soumettre à l’appréciation de ceux qui exprimeront un choix, des personnalités qui ont expressément refusé de s’y inscrire. Le processus des « primaires », en France, n’est régi par aucune loi ni par aucun règlement et il est dès lors délicat de le définir précisément. Cependant, l’inexistence d’une réglementation spécifique en matière de primaires n’exclut pas de respecter la réglementation générale en matière d’élection.

De prime abord, il paraît délicat d’inscrire, contre son gré, quelqu’un dans un « processus » électif (telle est la dénomination retenue par ce collectif associatif). Or plusieurs personnalités ont indiqué leur refus de se prêter à l’exercice, tandis que les responsables du collectif ont laissé entendre que le processus les inclurait malgré tout. On songe en particulier à Anne Hidalgo, Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon.

Bien qu’elle en porte le nom, elle n’est pas une primaire et bien qu’elle n’en porte pas le nom, elle est un sondage

De surcroît, dans le cadre d’une élection spécifique, a fortiori l’élection présidentielle, réaliser un tel processus à l’égard de candidats à cette élection qui ont expressément refusé d’y souscrire est susceptible d’altérer la sincérité du scrutin futur, en induisant potentiellement les électeurs en erreur, donc en ayant également un impact sur le résultat de l’élection présidentielle. Or le principe de sincérité du scrutin a valeur constitutionnelle, en ce qu’il résulte de l’article 3 de la Constitution. Dès lors qu’une personnalité est soumise à un processus que, pourtant, elle refuse, on imagine les conséquences que cela peut avoir dans l’opinion des électeurs, au-delà même des simples prises de position et argumentations politiques. Certains pourraient croire qu’elle n’est plus candidate alors qu’elle l’est toujours, tandis que d’autres, constatant que cette personnalité se présente malgré tout à l’élection, pourraient imaginer qu’elle trahit le résultat de la « primaire » et lui en tenir rigueur. Ce n’est pourtant pas le cas puisqu’un refus de s’y soumettre a été exprimé a priori et de façon expresse.

Cette initiative n’est donc pas une primaire, mais elle est un sondage. Ici, une législation existe grâce à la loi du 19 juillet 1977 : « Un sondage est, quelle que soit sa dénomination, une enquête statistique visant à donner une indication quantitative, à une date déterminée, des opinions, souhaits, attitudes ou comportements d’une population par l’interrogation d’un échantillon ».

La dénomination que l’on donne à un processus n’importe donc pas pour identifier un sondage. Ce dernier résulte, d’abord, de « l’interrogation d’un échantillon ». Or l’expression de ceux qui se sont inscrits à cette « primaire populaire », appelés à indiquer leur « préférence », correspond à une telle expression et il ne s’agit pas du corps électoral dans son ensemble, mais bien d’un « échantillon ». Ensuite, cette expression par « préférence » donnera une « indication quantitative des opinions, souhaits, attitudes ou comportements ». L’objectif est d’encourager, voire de forcer les autres candidats à se replier derrière celui ou celle qui sera préféré. Ne s’inscrivant dans aucun processus réel et délibéré de sélection d’un candidat à l’élection présidentielle, tels ceux organisés directement ou indirectement par les partis politiques en vue de désigner un candidat à une élection, tout en étant refusé par certains des participants qui y sont néanmoins inclus, ce processus s’apparente bien à une « enquête statistique ». Il a donc toutes les caractéristiques d’un sondage.

En définitive, si cette initiative est un sondage, elle doit respecter des obligations qui résultent de la loi et qui, à ce jour, ne paraissent pas satisfaites, surtout si l’objectif est de publier le résultat (ce qui paraît bien être le cas). En effet, les sondages sont encadrés strictement car leur impact sur le résultat de l’élection qu’ils mesurent est considérable, au point de faire régulièrement l’objet de critiques.

D’une part, une notice doit être adressée à la Commission des sondages, recensant certaines informations obligatoires, notamment sur les marges d’erreur ou la méthode selon laquelle les personnes interrogées ont été choisies, le choix et la composition de l’échantillon. D’autre part, la commission des sondages doit être en mesure d’exercer un contrôle. Enfin, un sondage ne peut être réalisé que si une déclaration a été préalablement adressée à la Commission par l’organisme le réalisant, pour s’engager à appliquer les dispositions de la loi sur les sondages et les textes réglementaires applicables : tant que cette déclaration n’a pas été souscrite, le sondage ne peut être publié.

Le processus appelé « primaire populaire » est donc bien illégal, du moins à ce stade. Rappelons qu’une violation de la loi sur les sondages et des obligations qu’elle impose est passible de 75 000€ d’amende.

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