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Le financement de la primaire populaire pose question
Ce billet est initialement paru sous forme de tribune sur lejdd.fr, cosignée avec Philippe Blachèr
On a déjà eu l’occasion de dénoncer l’illégalité de la primaire populaire, qui n’est pas une primaire, quoiqu’elle en porte le nom mais qui s’apparente davantage à un sondage, quoiqu’elle n’en retienne pas la dénomination.
À l’heure où les inscriptions pour y participer sont closes et que sont revendiqués pas moins de 467 000 inscrits – soit bien davantage qu’à la primaire d’EELV, en septembre mais beaucoup moins que le nombre de votants aux primaires organisées par le Parti socialiste (en 2011 et en 2017) ou Les Républicains (en 2016) –, il faut s’arrêter sur un autre aspect tout aussi problématique de ce processus : son financement. Car la primaire populaire s’inscrit directement dans le cadre de l’élection présidentielle, qui connaît des règles strictes relatives tant au financement des partis politiques qu’au financement de la campagne électorale de chaque candidat.
La structure associative « 2022 ou jamais » n’est pas en droit de financer la campagne d’un candidat. Une autre structure a donc été créée
Contrairement aux primaires classiques, le droit de participer à cette consultation numérique est gratuit, ce qui ne soulève aucune difficulté. Malgré tout, un certain nombre de questions financières se posent en l’état actuelle de la règlementation.
D’abord, un parti politique ne peut recevoir de dons de particuliers qui excèdent 7 500€ par an. Ensuite, il ne peut recevoir aucun financement d’une personne morale, qu’il s’agisse d’une association ou d’une entreprise. La seule exception concerne les autres partis politiques qui ont le droit de se financer entre eux.
Selon un arrêt important du Conseil d’État du 30 octobre 1996, pour être qualifié de parti politique, il faut soit bénéficier du financement public prévu par la loi de 1988 (ce qui suppose, a minima, d’avoir eu des candidats lors des précédentes élections législatives), soit décider (donc à partir d’une démarche délibérée) de se soumettre aux obligations que cette même loi assigne aux partis politiques, en particulier l’existence d’un mandataire financier.
Le processus dit « primaire populaire » s’appuie initialement sur une structure associative, appelée « 2022 ou jamais », qui n’est pas un parti politique et qui n’est pas répertoriée comme tel. Elle a donc pu bénéficier de dons de personnes physiques qui excédaient ce plafond de 7 500€, sans que cela pose problème. Du moins, jusqu’à présent.
Car cette même structure associative n’est pas en droit de financer la campagne d’un candidat. C’est la raison pour laquelle une autre structure a été créée, dénommée « Primaire populaire » et répertoriée comme parti politique auprès de la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques (CNCCFP), qui opère un contrôle sur toutes les dépenses électorales.
Seulement, si cette dernière structure est bien un parti politique et si elle peut alors contribuer à la campagne d’un (ou plusieurs) candidats, quelles sont ses sources de financement ? Car la loi lui interdit d’obtenir un reversement des sommes détenues par la première association, « 2022 ou jamais », cette dernière ne pouvant pas financer un parti politique. C’est là une première interrogation quant aux modalités et à la légalité du financement de ce processus.
De surcroît, se pose également la question des comptes (et dépenses) de campagne des candidats. En particulier, les dépenses liées à cette consultation aux prétentions d’investiture peuvent-elles être affectées au compte de campagne du candidat soi-disant investi, voire d’autres candidats officiels qui y auraient été intégrés contre leur gré ?
Sur ce point, la CNCCFP a apporté des éléments de réponse. D’abord, les dépenses liées à l’organisation proprement dite du processus ne relèvent pas des comptes de campagne. Elles n’auront donc pas à être intégrées. En revanche, les dépenses exposées par le candidat désigné visant à sa promotion personnelle et à celle de ses idées sont des dépenses électorales qui doivent être intégrées dans le compte de campagne.
Seulement, ces règles valent lorsque la primaire est organisée par un parti politique et lorsque les candidats qui y participent et celui qui l’emporte le font de leur plein gré et s’appuient sur un projet commun, que chacun défend. Qu’en sera-t-il de cette « primaire », qui a élaboré une plateforme sans la participation directe des candidats, que ces derniers ne prétendent d’ailleurs pas défendre ? Si, demain, Anne Hidalgo, Yannick Jadot ou Jean-Luc Mélenchon ressort victorieux de cette primaire, dans quelle mesure pourra-t-on considérer que les dépenses liées à la défense des idées portées par cette primaire devront être intégrées dans les comptes d’un candidat (ou d’une candidate) qui a refusé d’y souscrire ? À l’inverse, si Christiane Taubira l’emporte, toute la propagande devra-t-elle être portée à son crédit et, par conséquent, toutes les dépenses liées à cette propagande devront-elles être inscrites sur son compte de campagne ? Si tel devait être le cas, l’articulation des comptes des deux structures, « 2022 ou jamais » et « Primaire populaire » devra minutieusement être exposée, pour déterminer si toutes les sommes, perçues et engagées, respectent bien la législation afférente aux comptes de campagne et au financement des partis politiques.
Ces questions ne peuvent être tranchées de façon définitive à ce stade, mais elles doivent être posées. Elles ont surtout le mérite de souligner, une nouvelle fois, toutes les difficultés légales auxquelles s’expose ce processus, qui prétend être une primaire sans en être véritablement une et en ne respectant qu’à la marge les règles relatives au financement, tout en s’apparentant à une consultation indicative, sorte de sondage, sans respecter la législation en cette matière. Un vrai casse-tête.