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Écouter le silence

Abstention.

Une nouvelle fois, elle est la « victorieuse » des élections régionales et départementales de ce dimanche. Le taux de plus de 66% est un record absolu concernant des élections, le seul scrutin où elle fut plus élevée fut le référendum constitutionnel de septembre 2000, introduisant le quinquennat.

Les causes sont multiples et réelles et il ne s’agit pas de les nier. Mais il faut aussi veiller à ne pas extrapoler, car ce scrutin est bien particulier.

D’abord, n’oublions pas qu’il ne se tient pas à la date normale, puisque les élections auraient dû avoir lieu en mars et le Gouvernement a décidé de les reporter, faisant de la France l’un des, si ce n’est le seul pays démocratique au monde à ne pas être en mesure d’organiser des élections alors que la pandémie dure depuis un an. Or la démocratie n’aime pas être manipulée et ces changements de date, cumulés à de nombreuses hésitations (report en juin, en septembre, en 2022, etc.) ont sans doute pesé dans l’adhésion démocratique à ces opérations électorales.

L’électeur ne se déplace que s’il a le
sentiment que son vote sert à quelque chose

Ensuite, nous sommes à une période où les Français ont vraisemblablement autre chose en tête que les élections régionales et départementales, dont ils mesurent peut-être également assez mal l’enjeu.

L’été arrive, le confinement s’arrête, la crise a pesé, la crise a même frappé et la crise, aujourd’hui, se résorbe (pour combien de temps ?) : autant de raisons, certes mauvaises mais compréhensibles, de préférer son jardin, la plage, les copains, les balades ou sa famille – sans oublier la fête des pères – à une escapade au bureau de vote, fût-elle brève.

De plus, la campagne électorale a obéi à des règles très spécifiques et contraignantes, auxquelles s’ajoutent celles de la décentralisation française qui font des régions et des départements des titulaires de compétences essentielles, mais méconnues.

Or l’électeur ne se déplace que s’il a le sentiment que son vote sert à quelque chose.

Ce taux record s’explique donc non seulement par la désaffection générale que connaissent aujourd’hui nos démocraties et nos institutions, de façon structurelle, mais aussi par des éléments conjoncturels, faisant que les Français avaient la tête à autre chose qu’à une élection dont l’impact leur paraît minime.

Si l’on pouvait tirer une leçon de cette abstention record, ce serait que la création d’un instant politique, concentrant tous les scrutins locaux (élections régionales, départementales et municipales), par exemple à mi-mandat des élections nationales, pourrait être une façon de concentrer tous les regards et de mobiliser davantage les électeurs. Certes, les enjeux ne sont pas les mêmes, mais la dynamique politique pourrait alors conduire à renforcer les collectivités territoriales, tant démocratiquement, pour le scrutin et la participation, que politiquement, dans les échanges avec le Gouvernement (on a vu, a contrario, comment l’Exécutif a notamment imposé sa ligne, sans concertation aucune, lors de la crise sanitaire et sa sortie).

Avec une telle abstention, les enseignements à tirer de ce scrutin doivent être extrêmement prudents. On peut ainsi relever que le score de l’extrême droite est plus faible qu’au dernier scrutin et plus faible que ce qui était annoncé. On peut s’en réjouir, pour le bien être démocratique. Mais il faut aussi souligner que l’abstention la concerne également et peut-être même davantage, contrairement à une époque plus ancienne ou, plus faible politiquement, ses électeurs se mobilisaient systématiquement. Désormais, désabusés, il est possible qu’ils aient renoncé à un scrutin qui, pour eux, ne compte pas, souhaitant se concentrer sur celui qui est déterminant : la présidentielle. Difficile, donc, de tirer des conclusions, qui ne seraient qu’hasardeuses et hâtives, sur ce point.

En revanche, il devient de plus en plus urgent d’écouter cette France silencieuse dans les urnes. Car elle ne l’est que dans les urnes et elle sait donner de la voix quand il le faut, à l’instar du mouvement des Gilets jaunes. Continuer à gouverner, au niveau national ou local, sans tenir compte de cette forte abstention, sans intégrer, dans la politique conduite, des gestes envers ces abstentionnistes ne fera que la renforcer encore davantage.

Il faut donc écouter le silence et en tenir compte, en allant, au quotidien, vers ceux qui renoncent à aller vers les urnes.

C’est peut-être d’ailleurs l’un des éléments d’explications de l’effondrement du bloc majoritaire. La République en marche, très jeune parti né en 2016, peine à exister localement. Mais c’est d’autant plus difficile de s’installer lorsque l’on a été si mal élu en 2017 (une abstention là aussi record dépassant le quart des inscrits lors de la présidentielle et les 50% lors des législatives) et que l’on mène une politique qui ne tient nullement compte des équilibres qui sont ressortis des urnes.

On pourrait y voir un signe du retour aux équilibres classiques et traditionnels, entre un bloc de gauche, assez puissant au niveau national qui dépasse les 35%, un bloc de droite qui s’impose à près de 30%, complété par la majorité présidentielle, désormais clairement au centre droit, à environ 10%. Le Front national est autour de 20%. Mais, là encore, la si forte abstention impose de livrer ces analyses avec beaucoup de prudence.

Désormais s’ouvre une nouvelle phase, d’entre-deux tours, avec des négociations entre les listes qui peuvent se maintenir (parce qu’elles ont fait plus de 10%), celles qui sont éliminées et qui peuvent néanmoins fusionner (parce qu’elles ont fait plus que 5%) et celles qui pourraient décider de se retirer pour s’unir. Le tout doit se clore avant mardi, à 18h, limite pour déposer les listes du second tour.

Lequel, souhaitons-le, mobilisera davantage.

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