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IVG dans la Constitution : rien n’est encore joué

Ce billet est initialement paru sous forme de tribune sur liberation.fr le 9 mars 2023.

 

Le président de la République a annoncé que l’IVG sera gravée dans la Constitution via un projet de loi soumis « dans les prochains mois ». Mais l’inscrire dans une révision constitutionnelle plus vaste pourrait faire échouer la réforme, estime le professeur de droit Jean-Philippe Derosier.

 

Depuis que la Cour suprême des Etats-Unis a éternué le 24 juin 2022, la France a peur de s’enrhumer. Plusieurs initiatives parlementaires, de députés et de sénateurs, ont été prises afin d’inscrire l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution. L’une d’entre elles, initiée par la NUPES à l’Assemblée nationale, a d’abord été adoptée par cette dernière (le 24 novembre 2022), avant d’être amendée et adoptée par le Sénat (le 1er février 2023). Elle tendait initialement à garantir « l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse » dans un nouvel article 66-2 de la Constitution. Le sénateur Philippe Bas a proposé une modification qui a permis l’adoption du texte au Sénat, selon laquelle un nouvel alinéa de l’article 34 prévoit que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ».

 

En récupérant l’initiative, le Président de la République s’affichera comme l’auteur de la réforme : là est le risque

L’ensemble des présidents des groupes parlementaires de gauche de l’Assemblée nationale et du Sénat ont alors lancé un appel au Président de la République, lui demandant de reprendre ce texte de sa propre initiative afin d’éviter la voie du référendum et pouvoir soumettre in fine le texte au Congrès. L’appel fut entendu puisque le 8 mars, Emmanuel Macron a annoncé qu’il souhaitait « changer notre Constitution, afin d’y graver la liberté des femmes de recourir à l’interruption volontaire de grossesse […] dans le cadre du projet de loi portant révision de notre Constitution ».

Si l’on peut déplorer qu’une telle avancée se fasse en réaction à un fait d’actualité étrangère, dans un pays où l’histoire et la culture des droits des femmes sont nettement différentes de la nôtre, on ne peut que se réjouir de l’avancée que constituerait une telle garantie de ce droit fondamental. Le chemin vers cette réforme, quoique étroit, semble ainsi tracé et possible.

La différence terminologique entre la garantie d’un « droit » et l’exercice d’une « liberté » a pu soulever des crispations, voire des oppositions. Mais elle fut également source de solutions puisque l’amendement sénatorial a permis de rallier les quelques sénateurs de droite et du centre nécessaires à son adoption, alors que la majorité du Sénat était initialement hostile à la proposition. En revanche, elle ne satisfait qu’à demi ses instigateurs, qui tenaient à garantir un « droit » pour ainsi introduire un « droit créance », c’est-à-dire une obligation pesant sur l’État, que les justiciables seraient en droit de revendiquer.

Il faut cependant relativiser la portée de ce changement terminologique. Constitutionnaliser un droit ne dit rien de son contenu (délai, circonstances, motifs). Ce sont des choix qui reviennent au législateur, comme c’est le cas en reconnaissant l’exercice d’une liberté garantie par la loi. Ensuite, nul n’est en droit, en France, d’obtenir que le législateur intervienne dans un certain domaine : c’est un choix d’opportunité politique. Enfin, la jurisprudence du Conseil constitutionnel n’établit aucune hiérarchie entre les droits et les libertés, les uns comme les autres étant garantis au même niveau, avec d’autres règles constitutionnelles telles l’égalité ou la dignité humaine, qui ne sont ni des droits ni des libertés. Aucune règle ni aucun principe constitutionnel ne s’efface ou ne s’impose, par principe, par rapport à un autre.

Avec ses annonces du 8 mars, Emmanuel Macron privilégie l’initiative présidentielle plutôt que parlementaire, ce qui permet la voie du Congrès et évite celle du référendum (qui reste toutefois possible). L’option retenue est plus simple, plus rapide et suppose une majorité des trois cinquièmes des parlementaires, qui paraît acquise car l’Assemblée nationale a adopté le texte à une très large majorité (à la condition qu’elle souscrive à la nouvelle version du texte). L’autre possibilité est plus longue et plus coûteuse car elle impose une campagne référendaire avec les risques afférents (abstention, désintérêt, rejet).

L’initiative présidentielle permettra au Président de la République de s’afficher comme l’auteur de la réforme, ce dont il ne se privera pas. Là est le risque. En effet, il n’est pas certain que la droite parlementaire accepte de lui offrir un tel succès, sur un sujet aussi symbolique, dans un contexte de tensions politiques et à l’approche d’une campagne électorale européenne où la majorité actuelle cherchera à tirer profit d’une telle avancée, alors que l’avortement est mis à mal dans certains pays européens et qu’Emmanuel Macron a appelé à une évolution de la Charte européenne des droits fondamentaux sur ce sujet.

De plus, la volonté de l’inscrire dans un projet de réforme constitutionnelle plus large présente un risque politique substantiel. En effet, une majorité paraît exister sur la garantie constitutionnelle de l’interruption volontaire de grossesse. Elle devrait même exister sur la garantie de l’exercice d’une liberté, tant il est préférable que l’IVG soit constitutionnalisée plutôt qu’elle ne le soit pas. En revanche, rien n’assure, loin s’en faut, qu’un même accord ressorte sur une réforme constitutionnelle plus large et plus ambitieuse. Tout dépendra de son contenu, certes. Mais le Président de la République a déjà fait part – en 2018 et en 2019 – de ses projets constitutionnels et l’on a pu voir quelles contestations, notamment sénatoriales, ils engendraient. Inscrire donc la garantie constitutionnelle de l’IVG dans un projet plus large, c’est prendre le risque que l’on ne parvienne jamais au bout du sentier et que la réforme échoue.

Il serait préférable d’emprunter une voie plus étroite, en proposant une pluralité de réformes constitutionnelles, permettant ainsi aux parlementaires de s’accorder sur certaines, pas forcément sur toutes. Seules celles qui généreraient un accord seraient alors soumises au Congrès. Il faut donc être prudent plutôt qu’aventureux lorsque l’on s’engage sur le sentier constitutionnel !

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