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De l’art de faire la loi
Faire la loi est la fonction du Parlement, cela ne souffre ni doute ni discussion et, au pire, quelques exceptions.
Ainsi, en France, la loi peut aussi être l’œuvre du peuple, par referendum. Elle peut également être édictée par décision du Président de la République, dans l’hypothèse de l’application de l’article 16 de la Constitution. Elle peut enfin résulter d’ordonnances du Gouvernement, prises après habilitation législative sur le fondement de l’article 38, mais elles ne sont alors considérées comme des lois qu’après avoir été expressément ratifiées.
En dehors de ces exceptions, la loi demeure élaborée par le Parlement.
Ce qui est davantage discuté est l’art de cette élaboration, c’est-à-dire la procédure législative. Certains se plaignent de sa lenteur. D’autres de son côté rébarbatif, du fait des multiples lectures. Beaucoup réclament sa modification.
Il est vrai qu’elle pourrait être améliorée, qu’elle donne souvent lieu à des redites inutiles, à des travaux qui pourraient être rationalisés.
Mais il est des points cardinaux qu’il ne faut pas perdre de vue.
D’abord, faire la loi prend du temps. La concomitance entre la loi projetée et la loi décrétée s’appelle la dictature. Dans une démocratie, la loi est discutée, délibérée et préparée au cours d’une procédure qui doit permettre d’en éprouver tous les aspects possibles. Pour faire une bonne loi, il faut prendre le temps de la penser.
Ensuite, rationalisation ne signifie pas précipitation. La procédure législative peut être réglée de telle sorte qu’elle favorise une prise de décision, de façon efficace, en évitant de se perdre dans des débats inutiles ou stériles. Mais cela ne doit pas conduire à la transformation du Parlement en simple chambre d’enregistrement de la volonté du Gouvernement.
Enfin, la loi est un acte délibéré collégialement. Expression de la volonté générale, elle est le résultat d’un échange collégial entre des voix divergentes. Si elle est nécessairement adoptée par une majorité, elle ne saurait être dictée par elle. Ainsi, l’opposition doit pouvoir contribuer à sa fabrication, au moins en faisant entendre sa position.
Pour cela, des règles sont prévues par la Constitution et par les règlements des assemblées. Parmi d’autres, on songe au bicaméralisme, aux délais d’examen (respectivement six et quatre semaines dans la première et la seconde assemblée saisie), au droit d’amendement ouvert à tout parlementaire, à la pluralité de lectures.
Cette semaine, ces questions institutionnelles seront discutées à l’Assemblée nationale comme au Sénat. D’une part, les groupes de travail mis en place par François de Rugy, président de l’Assemblée nationale, doivent rendre compte mercredi 13 décembre, à 10h, de leurs premiers travaux. Cela ouvrira la voie à des réformes, qu’elles relèvent de la Constitution (révision constitutionnelle) de la loi organique ou du règlement. On aura l’occasion de les commenter.
D’autre part, jeudi après-midi, le Sénat examinera une proposition de résolution tendant à pérenniser la procédure de législation en commission. Cette possibilité avait été introduite dans le règlement du Sénat en 2015, à titre expérimental. L’expérience fut bénéfique et jugée positive par Gérard Larcher, à en croire l’exposé des motifs de la présente résolution.
Il est vrai qu’elle rationalise la procédure législative tout en maintenant un équilibre, tant entre la majorité et l’opposition, qu’entre le rôle de la commission et le rôle de la séance, raison pour laquelle le Conseil constitutionnel l’avait validée.
Le recours à cette procédure est décidé en conférence des présidents. Elle ne saurait être imposée car le Gouvernement, le président de la commission saisie au fond et tout président de groupe peut s’y opposer. À tout moment, ou presque, il peut être décidé de revenir à la procédure ordinaire. Elle permet de privilégier un travail en commission, où, par définition, siègent ceux qui connaissent le mieux le sujet abordé par le projet ou la proposition de loi, sur un travail en séance qui est souvent marqué par un grand absentéisme.
Il ne faudrait pas, cependant, si une telle procédure devait être introduite à l’Assemblée nationale (la question est posée), qu’elle devienne systématiquement la règle, comme l’est devenue, par exemple, le recours à la procédure accélérée. Les risques sont à ce jour, réduits puisque tout groupe peut s’y opposer. Mais ils existent car tous les groupes pourraient y voir leur intérêt, y compris en dehors de la majorité : le discussion législative n’est pas ce qui permet à ceux-ci de valoriser au mieux leur opposition.
Faire la loi reste un art. Et, comme tout art, il est délicat et subtile. L’appauvrir serait certainement le détruire.