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Ne pas confondre primaires et élection
Dans notre système de la Vème République, un parti politique fait un candidat, seul le peuple fait l’élu.
Cela vaut pour toutes les élections (ou presque) et, a fortiori, pour l’élection présidentielle : pour concourir à une élection, on ne peut pas se départir d’un ancrage politique, principalement octroyé par un parti politique. C’est toute la logique de la règle des « parrainages » par 500 élus, issus d’au moins 30 départements, pour être candidat à l’élection présidentielle. Et c’est pourquoi son remplacement par un système de « parrainage citoyen », comme le proposait le rapport de la Commission Jospin (proposition n° 1), ne serait pas heureux.
La désignation d’un candidat à une élection au terme d’un processus de primaires ne doit donc pas être confondu avec le premier tour de ladite élection, ni même avec un tour préliminaire. Cela s’explique par trois raisons, au moins.
D’abord, les primaires demeurent un processus exclusivement partisan. Elles sont organisées à l’initiative de partis politiques, pour désigner leurs candidats. Ce sont donc les règles internes de ces partis qui déterminent la réglementation du processus. Rien n’interdit, par exemple, de l’ouvrir à des personnes qui ne sont pas titulaires du droit de vote (mineurs, étrangers, etc.). Rien n’interdit, à l’inverse, de le restreindre aux seuls adhérents (on serait alors face à une primaire dite « fermée »). Ce sont encore ces mêmes règles internes qui fixent les conditions de candidature (autre type de parrainages) ou de participation (paiement d’une somme d’argent) aux primaires, lesquelles peuvent varier d’un parti à un autre (comme c’est effectivement le cas).
Les primaires sont donc la « chose » des partis politiques et sont, ainsi, gouvernées par le principe de liberté, d’autant plus qu’elles ne sont pas réglementées au niveau national. Quand bien même elles le seraient, cela ne suffirait pas à en faire un premier tour ou un tour préliminaire, à moins qu’elles ne deviennent obligatoires pour tous les partis (et les candidats) et que des conditions identiques s’imposent, la démocratie reposant sur le principe d’égalité. Mais l’article 4 de la Constitution, qui garantit la liberté des partis politiques, l’interdit et ce serait un tort de remettre en cause ce principe fondamental.
Les primaires ne sauraient donc être un processus intégré à l’élection, en raison de cette logique partisane et des garanties constitutionnelles.
Ensuite, contrairement à une idée reçue, les primaires ne sont pas démocratiques. D’une part, elles ne mobilisent qu’une très faible proportion du corps électoral. En 2011, la primaire citoyenne du parti socialiste avait mobilisé 2,66 millions d’électeurs au premier tour et 2,86 millions au second. Les pronostics quant à la primaire de la droite et du centre des prochaines semaines oscillent entre 2 et 5 millions de participants. Les primaires organisées par les autres partis politiques (notamment Europe Écologie – Les Verts) mobilisent dans des proportions marginales. À l’inverse, l’élection présidentielle de 2012 a connu une participation de plus de 37 millions de votants. Sur 44 millions d’électeurs, ce ne sont même pas 10% des inscrits sur les listes électorales qui participent aux primaires et la réalité est plus proche des 5%. Quelle élection serait considérée comme démocratique si elle reposait sur un taux d’abstention supérieur à 90% ?
De surcroît, la participation à une primaire suppose, en tant que votant, de souscrire à des valeurs partisanes (la « charte » de la primaire que le votant doit généralement signer) et de payer une certaine somme d’argent, censée couvrir les frais d’organisation. Quelle élection serait considérée comme démocratique s’il fallait afficher son engagement partisan et payer pour y participer ?
Les primaires ne sont donc décidément pas un quelconque tour d’une élection démocratique.
Enfin, le phénomène des primaires demeure isolé dans l’espace et, sans doute, dans le temps. Il est isolé dans l’espace car il ne concerne ni tous les partis politiques ni tous les candidats à une élection. Pour l’emblématique élection présidentielle, les partis (et les candidats) restent libres d’y recourir et doivent le rester. On peut d’ailleurs certainement que la majorité des candidats qui seront effectivement autorisés à participer au scrutin d’avril prochain ne sera pas passée par le processus d’une primaire. Et l’on pourrait même envisager qu’un candidat qui s’y soit prêté en étant battu, en conteste la légitimité du résultat et décide de se présenter malgré tout. Rien ne l’interdit, sauf les règles internes des partis politiques, une nouvelle fois, qui ne constituent pas des règles (officielles) de candidature.
Il est également isolé dans le temps, selon toute vraisemblance. À moins que le législateur ne se saisisse du sujet en les institutionnalisant davantage, on peut raisonnablement s’attendre à ce que les primaires ne prospèrent point, car elles sont coûteuses, lourdes à organiser pour un parti, même important, mobiliseront de moins en moins au fil des années (comme tout phénomène « de mode », il est un instant où il est « passé de mode ») et faussent l’équilibre politique. Potentiellement utiles à un parti, elles ne le sont pas nécessairement à la société démocratique.
Les primaires ne sont donc définitivement pas un tour préliminaire ou un premier tour de l’élection présidentielle.
Il ne faut pas confondre primaires et élections, choix des candidats et désignation de l’élu. Et, surtout, tendances préélectorales et résultat de l’élection. Car seul ce dernier compte.