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Non à l’État liberticide
Non.
C’est la réponse claire, nette et sans appel qu’il faut apporter aux restrictions injustifiées des libertés. Car toucher les libertés de quelques-uns c’est s’attaquer à la liberté de tous. C’est, ainsi, remettre en cause le socle de notre démocratie et de notre pacte social.
C’est pourtant ce qu’entend faire le Gouvernement actuel, dans une poursuite peu heureuse d’une politique ultra-sécuritaire déjà entamée sous le quinquennat précédent.
Que l’on soit clair, d’emblée : il ne s’agit, ici, ni d’un retournement de position ni d’une attitude bassement politicienne. L’état d’urgence, au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, était justifié. Son régime a été adapté. Le juge constitutionnel l’a plusieurs fois contrôlé et parfois sanctionné. Toujours à juste titre. Il aurait dû être constitutionnalisé, mais ne l’a pas été. C’est regrettable.
L’état d’urgence, par définition exceptionnel et temporaire, devait s’arrêter, après l’organisation d’événements internationaux majeurs. Le matin même du 14 juillet 2016, le Président de la République le confirmait.
Face à l’attentat de Nice de ce même 14 juillet, il n’y avait pas d’autres choix, sur le plan politique et sur le plan juridique, que de le maintenir. Le contexte électoral de l’année 2017 n’a pas conduit à y mettre un terme et peut-être est-ce là une première erreur.
En vigueur depuis 23 mois, il est et demeure pourtant un régime d’exception, aux « effets qui, dans un État de droit, sont par nature limités dans le temps et dans l’espace ». Il doit s’arrêter et s’arrêtera, donc, le 1er novembre prochain. C’est heureux.
Il ne saurait être transposé dans le droit commun. Pourtant, il le sera. C’est politiquement scandaleux et juridiquement inadmissible.
Politiquement, le message renvoyé est que l’État et ses responsables ne sont pas en mesure de protéger le peuple et les citoyens autrement qu’en recourant à des mesures censées être exceptionnelles. Verser dans le « tout sécuritaire » n’a jamais été un moyen de pérenniser le pouvoir, encore moins la démocratie. N’oublions pas cette célèbre phrase de Talleyrand, pleine de bon sens pratique et de finesse politique : « on peut tout faire avec des baïonnettes, sauf s’asseoir dessus ».
Juridiquement, certaines dispositions du projet de loi font entrer dans le régime administratif de la prévention ce qui devrait relever du régime judiciaire et pénal des poursuites d’infractions. Or ce qui était justifié sous le régime exceptionnel de l’état d’urgence ne l’est pas dans le droit commun.
L’objectif de l’état d’urgence est, pendant un temps limité, voire dans une zone délimitée (l’état d’urgence n’est pas forcément national), de prendre des mesures exceptionnelles en vue de prévenir d’éventuels troubles à l’ordre public. C’est ainsi que l’on a pu mener des perquisitions administratives ou décider d’assignations à résidence sur la simple base de soupçons, non de preuves. C’est une atteinte claire aux libertés. Elle se justifie par son caractère exceptionnel, temporaire et en raison de la menace terroriste particulièrement élevée.
Permettre, aujourd’hui, que des assignations à résidence (désormais appelées « Mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance », article 3) puissent être décidées, de façon générale, par le ministre de l’Intérieur, « aux seules fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme », offre à l’autorité administrative une arme liberticide disproportionnée. L’autorité judiciaire en est uniquement informée, par la seule voie du parquet, ce qui est insuffisant pour des mesures qui peuvent imposer de ne pas quitter sa commune et de se présenter une fois par jour dans un commissariat, même le dimanche.
D’abord, l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle. Ensuite, en droit pénal, la tentative de commettre une infraction est sanctionnée au même titre que l’infraction elle-même. Enfin, si l’État doit garantir notre sécurité à tous, cela ne peut se faire au détriment des libertés de quelques-uns, sans preuve que leur action serait nuisible à la liberté de chacun.
Cela vaut également pour la fermeture de lieux de culte, décidée par le préfet (article 2), ou l’élargissement substantiel des contrôles d’identité dans les « zones frontalières » (article 10). Cela vaut aussi pour les perquisitions administratives (désormais dénommées « Visites et saisies », article 4), quoique de façon différente car elles devront être autorisées par le juge de la liberté et de la détention. Mais il est saisi par le préfet, ce qui oriente clairement la procédure. Et, surtout, ses services, s’ils ne sont pas dûment renforcés, peineront à faire matériellement face à l’afflux des demandes, les empêchant de les traiter convenablement.
Garantir la sécurité est indispensable. Préserver la liberté l’est tout autant. La première mission échoit principalement aux forces de l’ordre et la seconde au juge. C’est grâce à une bonne collaboration entre ces deux derniers que l’on aboutit à un équilibre entre sécurité et liberté, permettant de garantir, comme le préconisait Pascal, « que la justice soit forte et que la force soit juste ».
Les parlementaires qui se réuniront cet après-midi en commission mixte paritaire doivent le garder à l’esprit. Sinon, espérons que le Conseil constitutionnel le leur rappellera… s’il est saisi.
Le lecteur qui souhaiterait avoir une analyse plus approfondie sur les critiques contre ce projet de loi peut se reporter à la note publiée par L’Hétairie.