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Crainte ou confiance
Il existe principalement deux modes de gouvernement : gouverner par la crainte ou gouverner par la confiance.
Le premier mode est le propre de la tyrannie, le second le propre de la démocratie.
Théorisé par Thomas Hobbes, le gouvernement par la crainte consiste à instaurer et entretenir une peur générale auprès de la population gouvernée, qui sera alors docile et obéissante vis-à-vis du Gouvernement ou, plus exactement, du tyran. Elle y verra à la fois son « sauveur » et son « fouetteur », celui qui saura la préserver des dangers, dont elle a peur, mais aussi lui imposer, par la contrainte, la force, voire la violence et la douleur, les mesures qu’il souhaite et qui, naturellement, sont décidées pour son bien même si elle ne s’en rend pas (immédiatement) compte.
La confiance permet que les décisions prises soient acceptées par la population
et suppose explication et concertation
Bien qu’elle n’en comprenne pas nécessairement le sens, la population respecte les décisions prises et ne les discute pas, puisqu’elle sait qu’elles sont les plus adaptées pour la protéger des dangers dont elle a peur et que, si d’aventure elle devait les discuter ou s’y opposer, les sanctions seraient terribles, ce qu’elle craint également. Elle devient donc docile et obéissante, la compréhension des mesures décidées étant d’ailleurs inutile au processus.
La confiance suppose au contraire que les décisions prises soient acceptées par la population à laquelle elles s’adressent et, pour ce faire, elle doit les comprendre et y être associée. Deux processus complémentaires sont alors indispensables : l’explication et la concertation.
Gouverner par la confiance, donc avec explication et concertation, n’impose pas que toute décision soit unanimement adoptée par tous les acteurs ou l’ensemble de la population : l’efficacité commande que des mesures puissent être édictées par les autorités habilitées. Mais cette même efficacité n’interdit pas l’explication et la concertation, au contraire, puisqu’elle permettra une meilleure acceptation, donc un meilleur respect des décisions prises.
Face à la crise générée par le Covid_19, le Gouvernement français a longtemps entretenu la première option. Vocabulaire guerrier du Président de la République lors de son allocution du 16 mars 2020 – inapproprié à la lutte médicale contre un virus –, mesures toujours plus restrictives de nos libertés au cours de l’état d’urgence sanitaire, menaces à peine dissimulées d’un retour à des mesures encore plus restrictives si les mesures édictées n’étaient pas respectées : ce sont là autant de moyens pour entretenir un climat de crainte face à un virus, dont ni les politiques ni les médecins n’ont une connaissance précise, ce qui était vrai au début de l’épidémie et l’est sans doute encore à ce jour.
Le résultat fut d’ailleurs assez probant : dociles, nous avons tous globalement respecté l’une des mesures les plus restrictives de notre histoire en restant confinés chez nous pendant deux mois, alors qu’une telle mesure n’a jamais fait l’objet d’un débat démocratique.
Le gouvernement de la crainte est donc efficace.
Mais dans une société « éclairée » il ne peut perdurer, car la crainte s’amenuise avec le temps, à moins de sombrer dans une escalade.
Mais dans une société « éclairée » il ne peut perdurer, car la crainte s’amenuise avec le temps, à moins de sombrer dans une escalade.
Rapidement, le Gouvernement a donc cherché à faire preuve de pédagogie, en abreuvant la population d’explications techniques, de graphiques, de données statistiques – autant d’explications utiles, mais pas toujours probantes.
Car elles étaient destinées à cacher le reste : l’absence de cap politique, l’absence de discours unanime et cohérent sur les mesures barrières, l’absence de concertation avec les différents acteurs, notamment les collectivités territoriales.
Si ces données sont nécessaires, elles ne sont pas suffisantes. Elles ne répondent pas aux questions, concrètes et quotidiennes, que se posent les Français : pourquoi faut-il un mètre plutôt qu’un mètre et demi ? Pourquoi un mètre et demi plutôt que deux mètres ? Pourquoi peut-on prendre le métro mais pas aller au bistrot ? Pourquoi ne pas aller au bistrot alors qu’on peut aller au restau ? Pourquoi le masque était inutile en mars mais indispensable en septembre ?
Des questions légitimes, qui ne trouvent pourtant pas de réponse politique claire.
De même, apprenant de ses erreurs, Jean Castex a associé plusieurs Maires à la réflexion, la semaine dernière, après avoir laissé Olivier Véran asséner des nouvelles mesures imposées à Marseille, sans discussion aucune avec les élus locaux. Mais la façon d’annoncer les dernières mesures applicables, un dimanche soir à 21h30, après les journaux télévisés, au moment où les quotidiens du matin sont en train de boucler et alors que les sites institutionnels n’apportent encore aucune précision à jour, interpelle une nouvelle fois.
Tout cela ne permet pas d’instaurer cette confiance, pourtant indispensable et donne l’impression d’une absence totale de maîtrise et de gestion de la crise, sans aucune vision politique. Sans doute est-il difficile, voire impossible d’en avoir une claire.
Mais alors, il faut l’assumer et l’expliquer, pour que l’on puisse le comprendre : face à un virus dont on ne connaît pas (encore) toutes les répercussions, nous devons avoir une adaptation quotidienne. Et il faut encore expliquer les évolutions, les restrictions ou les assouplissements.
C’est ainsi qu’une confiance peut s’instaurer, gage d’une bonne gestion de la crise. À défaut, c’est une autre crainte qui s’instaure : à la peur du virus pourrait désormais s’associer celle d’un Gouvernement, voire d’un État inapte à gérer la crise.
Mots-clés: Démocratie, Article 5, Article 20, Gouvernement, Président de la République, État d'urgence, Collectivités territoriales