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Jeu de dupes



Le coup de force politique et institutionnel qu’a tenté Jean-Luc Mélenchon semble porter ses fruits. Il reste pourtant un jeu de dupes car ce succès risque de n’être que temporaire.

Dernier coup d’éclat en date, la NUPES a remporté mardi soir une bataille judiciaire, en obtenant du Conseil d’État une injonction au Gouvernement de la faire figurer comme nuance pour la remontée des résultats des élections de dimanche prochain.

Décidément, les Ministres de l’Intérieur d’Emmanuel Macron ne sont pas très à l’aise avec ces nuances : une circulaire de décembre 2019 attribuant les nuances politiques aux candidats aux élections municipales, prise par Christophe Castaner alors en fonction Place Beauvau, avait déjà été partiellement suspendue par le Conseil d’État. Faisant application d’une jurisprudence établie, le Conseil d’État relève aujourd’hui que, en ne faisant pas apparaître cette nuance, tout en prévoyant des nuances uniques pour d’autres coalitions (telle « Ensemble ! »), la circulaire incriminée « est susceptible de porter atteinte à la sincérité de la présentation des résultats électoraux à l’issue des deux tours de scrutin ».

Dans un tel contexte, le Premier ministre s’impose au Président, qui n’a donc aucune marge de manœuvre quant à la nomination.
Cependant, le premier coup d’éclat de Jean-Luc Mélenchon est sa harangue à la veille du second tour de l’élection présidentielle, lorsqu’il demanda aux Français de l’élire Premier ministre, alors qu’il venait d’être battu dans les urnes. Pis, il continue de demander à être élu sans être lui-même candidat. Il est vrai que, sur le strict plan juridique, rien ne s’oppose à ce qu’un Premier ministre ne soit pas préalablement élu député. Mais il perd toutefois en légitimité, ses adversaires pouvant aisément contester son absence de victoire à une élection.

Si son pari devait être gagnant, on se retrouverait donc avec un Premier ministre élu par acclamation, mais battu dans les urnes, nommé par un Président qui n’en veut pas… et qui fait mine de conserver toute latitude en la matière.

Ce jeu de dupes est tel que, si le Président de la République devait perdre les élections législatives et que la NUPES devait les remporter – ce qui paraît toutefois très improbable  –, il n’aurait effectivement guère le choix dans la nomination du Premier ministre et tout propos contraire soutenu aujourd’hui est mensonger.

En effet, dans cette hypothèse, on se retrouverait dans un contexte de cohabitation, que notre régime n’a plus connu depuis 2002. Rappelons que, à chaque fois qu’ils en ont eu le choix (en 2002 puis en 2017, par exemple), les Français n’ont jamais opté pour la cohabitation. Ils ne s’y sont résignés que lorsqu’ils ne pouvaient pas faire autrement, souhaitant désavouer la politique du Président mais ne pouvant pas le renvoyer (en 1986, 1993 et 1997).

Cependant, dans un tel contexte, le Premier ministre s’impose au Président, qui n’a donc aucune marge de manœuvre quant à la nomination. La raison n’est pas politique, elle est bien juridique : responsables politiquement devant le Parlement (article 20 de la Constitution), le Gouvernement et, surtout, son chef doivent être soutenus par une majorité à l’Assemblée au risque, sinon, d’être désavoués par une motion de censure (article 49). Donc la nomination du Premier ministre, en vertu de l’article 8, est certes dépourvue de contreseing, mais pas de contraintes constitutionnelles.

Si le Président contrôle la majorité, il est alors en mesure de lui imposer un Premier ministre – de façon toute relative, cependant, lorsqu’on se souvient des circonstances de la nomination de l’actuelle occupante de Matignon, alors que le choix initial du Président se portait sur une autre femme que plusieurs ténors de la majorité ont refusé d’adouber. En revanche, s’il ne la contrôle pas, c’est bien cette majorité qui lui imposera un nom.

En toute logique, à moins de dissensions internes à la NUPES portant sur le nom de son leader, Jean-Luc Mélenchon serait alors le premier prétendant.

Mais, précisément, un autre problème politique risque de se poser, au-delà de celui de sa légitimité déjà évoqué, qu’un terrible fait divers a confirmé. Clamant haut et fort que « la police tue », au lendemain d’une opération de police qui s’est malheureusement soldée par la mort d’une passagère du véhicule poursuivi, il confirme la radicalité dans laquelle il s’obstine, le rendant difficilement acceptable comme point d’équilibre, même des forces de gauche.

En résumé, nous avons un candidat battu, prétendant à une élection qui n’existe pas, sans être candidat à l’élection qui existe… et qui pourra difficilement préserver un équilibre indispensable à son maintien sur la durée.

Bref, un vrai jeu de dupes.
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