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Gagnant perdant



C’est un premier tour où tout le monde a perdu. Mais c’est aussi un premier tour où tout le monde a gagné.

La NUPES a perdu car, à moins d’un miracle, elle ne sera pas majoritaire et Jean-Luc Mélenchon ne sera pas Premier ministre. N’en déplaise à ce dernier, le « déferlement » auquel il appelle n’aura vraisemblablement pas lieu et, pour corriger sa propre formule, le parti présidentiel n’est ni battu ni défait. Les candidats de la NUPES, s’ils sont qualifiés dans de très nombreuses circonscriptions, n’ont que très peu de réserves de voix et, l’union qu’ils souhaitent incarner étant orientée vers une gauche plus radicale que centrale, risque d’effrayer plutôt que de convaincre.

Ensemble ! a perdu car la coalition majoritaire reviendra moins forte qu’elle ne l’était au cours de la législature qui s’achève, le parti du Président n’aura pas la majorité absolue et, selon plusieurs pronostics, il se pourrait que la coalition elle-même ne l’obtienne pas davantage, contraignant le Gouvernement à une majorité relative qui lui imposera de nombreuses négociations politiques à venir.
Ces élections législatives interpellent sur deux aspects plus structurels : l’abstention toujours croissante et le mode de scrutin
L’extrême droite a perdu, qu’il s’agisse de Le Pen ou de Zemmour, la première n’incarnant plus la deuxième force du pays, tandis que le second est défait, étant lui-même battu dès le premier tour et son parti ne pouvant espérer aucun élu.

Les Républicains ont perdu car ils enregistrent leur plus mauvais score et vont voir leur nombre de députés substantiellement diminué.

La démocratie elle-même a perdu, avec un taux de participation de moins de 50%, soit le plus faible jamais enregistré pour une élection nationale, à l’exception des référendums. Les partis politiques sont toujours plus affaiblis et les citoyens s’y identifient de moins en moins.

Pourtant, les mêmes ont gagné.

L’abstention n’a augmenté que d’un point par rapport à 2017 là où, pour toutes les autres élections (présidentielle et locales, à la notable exception des européennes), elle progressait bien davantage. La déroute des Républicains est minimisée et ils obtiennent un score plus de deux fois supérieur à celui de Valérie Pécresse lors de la présidentielle. Quant à l’extrême droite, elle est plus forte que jamais, que ce soit en nombre de voix (plus de six millions, contre à peine 3 millions aux législatives de 2017) ou en score (presque 23%, contre à peine plus de 13% en 2017) et peut espérer avoir un groupe parlementaire.

La coalition Ensemble ! parvient à l’emporter, certes d’une très courte tête et obtiendra une majorité au soir du second tour. On veut parier qu’elle sera absolue, quoique d’une courte avance, mais quand bien ne serait-elle que relative, ce ne sera sans doute pas un gros problème, du moins dans l’immédiat.

Enfin, le coup politique des Insoumis a plutôt bien fonctionné, au moins pour eux. Ils obtiendront un nombre important de députés, bien plus élevé qu’en 2017 alors qu’à bien y regarder, le score de la gauche ne progresse que faiblement. Mélenchon parvient à se positionner comme leader de la gauche et de l’opposition, voire de toutes les oppositions, écrasant ses alliés par son programme et ses autres adversaires par sa verve.

Néanmoins, ces élections législatives doivent interpeller, au moins sur deux aspects plus structurels : d’une part, l’abstention toujours croissante et, d’autre part, le mode de scrutin.

Après 2017, c’est la seconde fois que moins d’un électeur sur deux ne se déplace pour désigner ses représentants à l’Assemblée nationale. C’est extrêmement préoccupant et c’est un problème dont il faut se saisir en urgence. Des travaux ont déjà été menés et il faut les poursuivre, car les solutions ne peuvent être trouvées que dans des réformes au long court, qui doivent être entreprises dès aujourd’hui pour produire des effets dans plusieurs années. Les réformes visant à davantage d’exemplarité et de déontologie y contribuent. D’autres doivent être envisagées, tel le regroupement des scrutins, en particulier l’élection présidentielle et les élections législatives. Surtout, c’est dès le plus jeune âge, dans les écoles maternelles, puis primaires, qu’il faut apprendre ce qu’est et comment fonctionne la démocratie.

Il faut apprendre à voter comme on apprend à lire et à compter.

Le mode de scrutin majoritaire à deux tours retenus pour nos législatives est toujours critiqué. Pourtant, on n’aura de cesse de le défendre, tant il est doté de vertus dont on a encore pu voir les effets cette fois-ci.

En effet, on est, là aussi, prêt à parier que si la proportionnelle avait été introduite, les alliances que nous avons pu voir émerger avant le premier tour n’auraient été conclues qu’après l’élection, donc sans que les électeurs ne puissent s’exprimer à leur égard. Quoi qu’on pense desdites alliances, dès lors qu’elles sont politiques et qu’elles ont vocation à gouverner un pays démocratique, les citoyens sont en droit de les connaître, de s’y opposer ou de les soutenir.

Il est assez probable que ces alliances n’aient pas été conclues en amont de l’élection car chaque parti aurait souhaité convaincre son électorat propre, se mesurer aux uns et aux autres, soutenant – à juste titre – que le scrutin présidentiel est différent des législatives et, une fois les rapports de force établis par les urnes, les négociations auraient débuté.

Surtout, on pourra sans doute constater, au soir du second tour, que le décalage tant dénoncé entre le nombre de voix obtenus au premier tour et le nombre de sièges finalement remporté au soir du second existe, certes, mais de façon limité… sauf à l’égard des partis qui, encore et toujours, sont incapables de conclure la moindre union, telle l’extrême droite (qui ne parvient même pas à s’unir entre elle, c’est dire !).

Pour en être certain, après un premier tour gagnant perdant, attendons donc le second pour tirer le bilan de cette séquence électorale pour le moins extraordinaire.
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