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Brésil : une triple victoire

Le premier tour des élections brésiliennes organisé le 2 octobre a marqué une triple victoire : de la démocratie, de la justice électorale, du vote électronique.

Ces élections, mondialement marquées par le retour de Lula, ont mobilisé 156,5 millions de votants appelés à élire le Président de la République et son vice-Président, l’intégralité de la chambre des représentants (517 députés), un tiers du Sénat (27 membres, un par État), les Gouverneurs et vice-Gouverneurs des vingt-six États et du District fédéral de Brasilia et les députés des juntes des États. Le vote est constitutionnellement obligatoire au Brésil pour les plus de dix-huit ans et les moins de soixante-dix ans et facultatif pour les plus de seize ans et les plus de soixante-dix ans. La participation a été de 79%, légèrement inférieure au scrutin de 2018 (la durée des différents mandats étant de quatre ans).

Lula arrive en tête du scrutin présidentiel, avec un score de 48,43% et distance Bolsonaro, Président sortant, d’un peu plus de cinq points, ce dernier obtenant 43,20% des voix. Il y avait neuf autres candidats et deux d’entre eux obtiennent entre 3 et 4% des voix, tandis que les sept autres obtiennent moins de 1%. Aucun candidat n’ayant remporté la majorité absolue, un second tour aura lieu le 30 octobre et opposera les deux candidats arrivés en tête.

Le vote électronique est une garantie de la sécurité et de l’intégrité d’une élection, ce que même Bolsonaro devra constater

Membre d’une mission d’observation électorale du Réseau mondial de Justice électorale (RMJE), composée de huit experts internationaux, j’ai pu apprécier les conditions dans lesquelles ce scrutin s’est déroulé.

La particularité du Brésil est la généralisation du vote électronique : 566 000 urnes électroniques ont été mobilisées pour voter, à travers tout le pays et la plupart des bureaux de vote des postes consulaires à l’étranger. Souvent associé à une crainte de manipulations électorales en Europe et en France, ce vote électronique est au contraire considéré au Brésil comme une garantie contre la fraude.

C’est pourquoi, alors qu’aucun candidat n’est victorieux au premier tour mais que les deux principaux protagonistes peuvent revendiquer une certaine victoire, ces élections traduisent bien la victoire de la démocratie, d’abord, de la justice électorale, ensuite et du vote électronique, enfin.

Sans l’obtenir, Lula frôle l’élection au premier tour, confirmant son retour sur la scène politique brésilienne et le soutien populaire dont il bénéficie, alors qu’il n’était pas même assuré de pouvoir être candidat il y a encore quelques mois. Bolsonaro, quant à lui, bénéficie d’une dynamique du vote utile, détrompant les sondages qui le plaçaient dix à quinze points derrière Lula.

C’est donc bien la démocratie qui est la première victorieuse de ce scrutin, dont le déroulement n’a été marqué par aucune contestation véritable. Il a mobilisé près de 80% du corps électoral et plus de 90% des votants retrouveront leur candidat au second tour, ce qui renforcera d’autant la légitimité du Président qui sera élu. Le résultat est net et incontestable, plus de six millions de voix séparant les deux candidats de tête, tandis que la troisième est très loin derrière.

Ce processus était organisé et contrôlé par la justice électorale brésilienne, composée d’un Tribunal Suprême Fédéral et de tribunaux des États. En effet, le Brésil, à l’instar de la quasi-totalité des pays latino-américains (sous l’influence de la pensée de Simon Bolivar) se distingue par l’existence d’un corps de juridiction exclusivement dédié au contrôle des élections, lequel inclut la plupart du temps leur organisation (lorsqu’elle n’est pas confiée à une structure administrative indépendante, comme au Mexique). La justice électorale brésilienne a été attaquée à de nombreuses reprises par le Président sortant et par son camp, faisant l’objet d’une désinformation continue de sa part, remettant en cause sa légitimité, son indépendance, son intégrité. Le déroulement de l’élection et les résultats montrent au contraire son rôle essentiel et exemplaire, la plaçant comme la deuxième victorieuse de ce scrutin : elle tient ici sa revanche sur Bolsonaro, pris à son propre piège puisque l’élection, dont il ne pourra donc que saluer l’exemplarité du processus, l’a conduit à un résultat bien plus élevé que les pronostics.

Cette exemplarité est notamment due au vote électronique, qui ressort comme le troisième grand victorieux de ces élections. Son ampleur était inédite au monde, par le nombre de votants, le nombre de machines et le nombre de scrutins simultanés.

On peut parfaitement entendre que cette façon de voter suscite la défiance. La dimension « électronique » fait écho à une possibilité de manipulation extérieure, qui fausserait, voire changerait le résultat, tandis qu’appuyer sur des boutons prive du sentiment physique de « voter », en glissant un bulletin dans une enveloppe, puis dans une urne transparente, où l’on peut apercevoir tous les votes qui s’accumulent au cours de la journée électorale.

Les faits et l’histoire même du Brésil démontrent, au contraire, que le vote électronique est non seulement sécurisé et fiable, mais aussi la meilleure garantie contre la fraude. C’est d’ailleurs pour y mettre fin que le vote électronique a été généralisé en 1996.

Aucune manipulation à distance n’est possible, les urnes n’étant raccordées à aucun réseau si ce n’est le réseau électrique et ne disposant d’aucune possibilité de connexion à distance (bluetooth, Wi-Fi ou autre). Si une panne électrique devait intervenir, les machines sont équipées de batteries leur permettant de fonctionner en autonomie pendant plus de seize heures (le scrutin se déroulant pendant neuf heures).

Enfin, l’un des piliers de la garantie de fiabilité du mécanisme est le « test d’intégrité », organisé tout au long de la journée électorale. La veille du scrutin, 641 urnes électroniques sont tirées au sort dans tout le pays. Au cours de la journée, elles sont testées par des fonctionnaires de la justice électorale qui opèrent un double vote (fictif, en ce qu’il n’est évidemment pas comptabilisé dans le scrutin), l’un papier et l’autre électronique. Les agents opèrent sous les yeux d’une caméra et dictent à un micro ce qu’ils tapent sur la machine à voter, le tout étant retransmis en direct sur YouTube et accessible à tous.

À la fin de la journée, une comparaison est effectuée entre les votes papiers et ceux intégrés dans l’urne électronique correspondante. Jusqu’à présent et depuis que ce test est généralisé (2002), aucune machine, à aucun scrutin n’a montré la moindre défaillance, tous les résultats concordant systématiquement.

Si l’on comprend donc les réticences dont le vote électronique peut faire l’objet, il demeure une garantie incontestable de la sécurité et de l’intégrité d’une opération électorale. Même Bolsonaro, son premier adversaire, devra le constater.

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Commentaires (2)

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Nous y sommes : le vote électronique étant opaque, les partisans du camp perdant ne peuvent admettre leur défaite. Ils s'expriment dans la rue.

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Cet article enthousiaste fait malheureusement l'impasse sur les analyses des scientifiques informaticiens sur le sujet. Ainsi, en France, dès 2007, l'ASTI, fédération de 30 associations professionnelles et scientifiques d'informaticiens (plus de...

Cet article enthousiaste fait malheureusement l'impasse sur les analyses des scientifiques informaticiens sur le sujet. Ainsi, en France, dès 2007, l'ASTI, fédération de 30 associations professionnelles et scientifiques d'informaticiens (plus de 5000 membres dont de nombreux chercheurs) a d'ailleurs été très claire sur le vote électronique sous toutes ses formes :
« l'ASTI recommande que [...] pouvoirs publics, partis politiques et société civile ne recourent en aucune manière au vote électronique anonyme [...] »

Effectivement, le comité scientifique du "Réseau mondial de Justice électorale (RMJE)" que préside l'auteur, ne semble composé que de juristes a priori dénué de compétences de haut niveau en informatique. Ils donc probablement enclins à être réceptif à des arguments et procédures qu'ils ne peuvent évaluer.

Depuis de longues années, les informaticiens savent que mener des tests est insuffisant pour détecter si un logiciel fonctionne correctement. L'affaire du dieselgate avait déjà montré comment une industrie peut s'organiser pour rendre des tests inefficaces. De plus, il est expliqué que
1. les machines testées sont identifiées plusieurs heures avant le début du scrutin
2. aucune des machines utilisée pour voter n'est testée...
Cette procédure est inefficace pour déjouer une fraude qui serait mise en oeuvre par des personnes impliquées ou intervenant dans l'organisation des élections, possibilité écartée par l'auteur sans justification.

La cour Constitutionnelle allemande (3 mars 2009), a en revanche bien compris en quoi la dématérialisation des votes menace la sincérité. Logiquement, elle a banni les machines à voter au motif que « les étapes effectives du processus de vote et la transmission des résultats devaient être fiables et vérifiables quant à leur exactitude par le citoyen sans connaissances particulières »

Avec des ordinateurs qui recueillent les intentions de vote des électeurs puis fournissent des résultats sans qu'il soit possible à quiconque de savoir si ces résultats sont justes, il est impossible de contester les résultats en justice. Finalement, il est questionnant que des juristes se félicitent d'une procédure de vote qui rend les élections juridiquement incontestables, même si les résultats énoncés étaient erronés.

Le risque d'organiser des élections opaques est bien connu : quand les élections ne peuvent être contestées en justice, la contestation s'exprime dans la rue, par des désordres publics. De plus, la légitimité des élus peut être remise en cause tout au long de leur mandat.

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