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Constitutionnaliser le numérique
Le chantier de la révision institutionnelle en cours et dont le volet constitutionnel sera débattu cette semaine en commission des lois à l’Assemblée nationale est marquée par une absence notable : le numérique.
Cela aurait été bienvenu et même espéré. Emmanuel Macron, candidat en campagne, l’avait promis : « le numérique doit participer à l’exercice de la démocratie ». Emmanuel Macron, Président de la République qui détient l’initiative de la réforme constitutionnelle, aurait pu profiter de la modernisation du Conseil économique, social et environnemental pour associer le numérique à la démocratie.
Rien de tout cela : aucune disposition de la réforme, dans quelque texte que ce soit (constitutionnel, organique ou ordinaire) n’en fait mention.
Des parlementaires se sont néanmoins saisis du sujet et au terme des réflexions d’un groupe de travail bicaméral, un amendement va être déposé pour adosser une Charte du numérique au Préambule de la Constitution.
Sur le fond, le principe est louable. Mais sur la forme, la méthode est contestable.
Le principe est louable car le numérique trouve pleinement sa place dans la Constitution. En effet, il s’impose toujours plus dans notre quotidien, d’une recherche la plus simple et basique à une démarche la plus technique et élaborée. Le nier serait naïf.
Si la fracture numérique existe, tant concernant des zones non couvertes qu’à l’égard de personnes ne faisant pas usage d’Internet, elle ne doit pas constituer une cause du non développement du numérique, mais un fait qu’il faut réduire. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs déjà reconnu la liberté d’accès à Internet et interdit notamment de couper cet accès, à l’instar de l’eau ou de l’électricité.
En multipliant l’ajout de Chartes, le Préambule perd sa solennité et sa qualité
Garantir constitutionnellement un droit d’accès au numérique, le neutralité du Net ou la liberté de son usage ne saurait avoir pour conséquence de forcer chacun à être connecté, mais renforcerait la place qu’occupe déjà le numérique dans notre droit et dans nos vies. Pourvu que, bien sûr, il ne devienne pas une voie exclusive pour effectuer des démarches : le principe d’égalité ne le permettrait pas.
Mais sur la forme, inscrire une « Charte du numérique » dans le Préambule de la Constitution relève simplement du phénomène de mode. On a fait la Charte de l’environnement. On parlait d’une Charte de la laïcité. On prépare désormais la Charte du numérique. Demain, ce sera la Charte de l’enseignement, la Charte de la déontologie, la Charte des animaux, la Charte des médias, la Charte des relations commerciales, la Charte des vacances, la Charte de l’enfant parfait, la Charte codifiant les Chartes.
Passée la polémique sur sa valeur, désormais établie, le préambule de la Constitution est d’abord un instrument solennel, qui contenait initialement deux textes essentiels de l’histoire de France. En y multipliant l’ajout de Chartes, il perd cette solennité, ainsi que sa qualité.
Cette Charte contient elle-même un Préambule, dont la valeur n’est pas nécessairement acquise. Celui de la Charte de l’environnement appelait déjà des critiques, car on pourrait demain s’en saisir pour réclamer la préservation d’un droit dans une proportion que le constituant n’avait pas imaginée.
Pourquoi alors ne pas envisager, tout simplement, de modifier le dispositif de la Constitution ?
La Charte du numérique prévoit la garantie du droit d’accès au numérique, de la neutralité du Net, de l’accès et de la protection des données personnelles ? Mais tout cela trouvera un prolongement dans la loi et l’on peut alors se contenter de modifier l’article 34, en y ajoutant un alinéa disposant que « la loi fixe les règles concernant : […] l’accès aux réseaux numériques et aux informations publiques, la neutralité des réseaux numériques, la protection, l’accès et la maîtrise des données personnelles ».
Par sa dénomination et son positionnement dans le Préambule, la Charte aurait une valeur symbolique importante ? Mais alors montrons que la Constitution de la Ve République, à bientôt 60 ans, sait être plus en avance que toutes les autres et modifions l’article 3, pour adosser le numérique à la souveraineté. Il ne s’agit pas d’en faire son mode d’exercice exclusif, mais seulement complémentaire en indiquant que « La loi prévoit les conditions dans lesquelles l’exercice des droits civils et politiques peut être facilité par les réseaux numériques ».
Les propositions d’amendements des parlementaires incluent également de telles propositions (modification de l’article 4 et de l’article 34), mais seulement à titre subsidiaire car ils expriment leur « préférence pour la proposition de Charte de numérique ».
Encore faudrait-il, dans un cas comme dans l’autre, convaincre les parlementaires de voter la révision constitutionnelle. Et pour cela, même si le vote dans les Assemblées est électronique, un clic ne suffira pas.