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Préserver la Constitution : un impératif juridique et démocratique
Ce billet est initialement paru sous forme de tribune pour Acteurs publics
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La Constitution est la norme fondamentale de notre République, pour au moins trois raisons : elle lui donne naissance, elle permet à toutes les autres règles d’exister, elle contient les principes les plus importantes.
En effet, on considère habituellement que la Ve République est née le 4 octobre 1958, jour d’entrée en vigueur de sa Constitution : cette dernière en est ainsi le fondement, à l’instar de toute Constitution qui se trouve être le fondement de l’ordre social qu’elle établit, qui est ainsi un ordre constitutionnel. Ensuite, toutes les normes juridiques de cet ordre social existent en vertu de cette Constitution, soit parce que leurs règles d’élaboration y sont inscrites (par exemple pour les lois), soit parce qu’elles sont elles-mêmes créées en vertu de règles élaborées selon ce que la Constitution prévoit (par exemple des arrêtés ministériels ou des contrats, édictés en vertu de lois). Toutes les règles qui régissent notre vie sociale sont donc supposées respecter la Constitution. Enfin, la Constitution intègre les droits, libertés et principes les plus importants, souvent qualifiés de « fondamentaux » : on les retrouve notamment dans des textes auxquels renvoient la Constitution et qui ont pleine valeur constitutionnelle, telle la Déclaration de 1789, mais aussi dans le texte même de la Constitution, tel ses premiers articles qui posent, par exemple, les principes démocratiques.
La stabilité adaptative d’une Constitution est un gage de sa préservation
Ce caractère triplement fondamental impose qu’elle soit préservée car, à défaut, la démocratie elle-même pourrait vaciller. En effet, s’attaquer à la Constitution revient à s’attaquer au fondement même de notre État et de notre République, pouvant dès lors les faire disparaître. De surcroît, accepter de telles attaques, sans les sanctionner, permettrait une remise en cause des principes fondamentaux de notre démocratie et de notre État de droit, que le peuple souverain que nous sommes a jugés à ce point importants qu’il a souhaité les protéger en les inscrivant dans la Constitution. Partant, ce serait notre vie quotidienne et notre paix sociale qui seraient menacées.
Préserver la Constitution est donc un impératif juridique et démocratique : juridique, car c’est assurer que l’ensemble des règles de la République respecteront des règles et principes fondamentaux, et démocratique, car la Constitution veille à ce que notre ordre social corresponde systématiquement au principe qui l’anime, le « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ».
Cette préservation ne signifie pour autant ni immobilisme, ni sanction permanente.
Établie sans limitation de durée, une Constitution aspire à la pérennité et la nôtre ne déroge pas à cette règle. Toutefois, à la différence des États-Unis, où la Constitution adoptée en 1787 est toujours en vigueur aujourd’hui, comptabilisant 238 années d’existence, l’histoire constitutionnelle française souligne que toute Constitution prévue pour durer peut, à tout instant, laisser sa place à une nouvelle. Aujourd’hui, avec plus de 66 ans, la Constitution de la Ve République est la plus pérenne de notre histoire. Mais avec vingt-cinq réformes constitutionnelles, elle est aussi celle qui a le plus été révisée. Elle fait ainsi preuve d’une exceptionnelle stabilité et d’une capacité d’adaptation, deux caractéristiques qui sont le gage de sa pérennité. En effet, sachant s’adapter, elle a offert sa stabilité au régime et, étant stable, elle a permis des adaptations. Ces caractéristiques soulignent aussi sa modernité : toujours en cohérence avec notre temps, elle évolue encore et il est envisagé de l’adapter aux contingences nouvelles. Si elle était dépassée, nul ne songerait à la réformer mais tous s’accorderaient pour l’écarter, comme ce fut fait si régulièrement dans notre histoire constitutionnelle. Sa stabilité adaptative est ainsi un gage de sa préservation et cette caractéristique ne lui est pas propre : on la retrouve dans de nombreuses Constitutions qui nous entourent, en Europe et ailleurs.
La Constitution doit également prévoir les mécanismes qui lui permettent de se protéger face aux attaques dont elle peut faire l’objet. Qu’on se souvienne des mots de l’Abbé Sieyès, qui considérait que la justice est la première dette de la souveraineté et qui disait, le 28 juillet 1795 : « Voulez-vous donner une sauve-garde à la constitution, un frein salutaire qui contienne chaque action représentative dans les bornes de sa procuration spéciale, établissez une jurie constitutionnaire. […] Comment, en effet, la prévoyance du législateur s'accoutumerait-elle à l'idée d'une constitution abandonnée, pour ainsi dire, à elle-même au moment de sa naissance ? Une constitution est un corps de lois obligatoires, ou ce n'est rien ; si c'est un corps de lois, on se demande où sera le gardien, où sera la magistrature de ce code ? Il faut pouvoir répondre. » Ce propos visionnaire de la fin du XVIIIe siècle ne sera véritablement concrétisé qu’avec la Constitution de la Ve République, des Constitutions antérieures n’ayant établi qu’un contrôle politique bien insuffisant (avec le « Sénat conservateur », en 1799) ou un contrôle juridique protozoaire (avec le « comité constitutionnel », en 1946). Désormais, le contrôle de constitutionnalité a priori, la question prioritaire de constitutionnalité ou encore le contrôle à l’égard des initiatives référendaires participent de la préservation de la Constitution, donc des garanties qu’elle établit à l’égard de la séparation des pouvoirs, de l’État de droit et de la démocratie.
Ces mécanismes, prévus par la Constitution elle-même, font du Conseil constitutionnel l’ultime rempart face aux atteintes potentiels à nos droits et libertés, conférant aux membres qui le composent un rôle primordial dont ils doivent se montrer dignes.
Cette question fondamentale de « la préservation de la Constitution » est mise à l’honneur lors du 10e ForInCIP, Forum international sur la Constitution et les Institutions politiques, car il fallait un thème de cette importance et de cette envergure pour célébrer un tel anniversaire. Créé en 2015 à l’Université de Rouen, ce Forum réunit chaque année, désormais à l’Université de Lille, des spécialistes, universitaires et experts institutionnels d’une quinzaine de pays, venus débattre d’un sujet de l’actualité constitutionnelle, sur la base de rapports nationaux élaborés en amont à partir d’un questionnaire commun. La méthodologie de travail, désormais éprouvée, est la « science constitutionnelle », qui permet la confrontation de différentes réglementations et pratiques issues de plusieurs systèmes juridiques différents, à travers une association de l’étude des normes en vigueur, par des juristes et des politologues, à leur mise en œuvre, par les acteurs que sont les experts institutionnels (élus et administrateurs). La préservation de la Constitution sera ainsi étudiée les 20, 21 et 22 mars, sous l’angle de ses contours, qu’il s’agisse de son objet et de ses motifs (1), avant de se tourner vers les moyens de la préservation, à travers le rôle des institutions politiques et du juge, qu’il soit constitutionnel ou ordinaire (2) et, enfin, analyser les conséquences de cette préservation, qui peut engendrer des sanctions ou des résistances (3).
Avant cela, Laurent Fabius, ancien Président du Conseil constitutionnel et ancien Premier ministre, nous fera part de son regard sur « La Constitution et le Conseil constitutionnel », permettant de mettre le thème du 10e Forum en perspective avec son expérience de nos institutions.Mots-clés: Constitution, Démocratie, Article 2, Article 3, Article 16, Article 3, Article 61, Article 61-1, Article 89, Conseil constitutionnel, Question prioritaire de constitutionnalité, État de droit, Séparation des pouvoirs, ForInCIP