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Trahira bien qui trahira le premier

Nombreux sont ceux qui se sont émus, mercredi 29 mars, lorsque Manuel Valls a annoncé  qu’il voterait pour Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle, non pour Benoît Hamon. Il a effectivement trahi son engagement, pourtant signé de sa main, « à soutenir publiquement le (la) candidat-e qui sera désigné-e à l’issue des élections primaires citoyennes et à [s]’engager dans sa campagne ».

Ce n’était pourtant pas un scoop. Il avait déjà refusé de donner son parrainage à Benoît Hamon. On savait également quelles étaient ses réserves vis-à-vis de ce candidat, certes désigné au terme d’un processus démocratique, néanmoins issu du courant minoritaire du parti dont il est investi.

Ce n’était pas non plus le premier à trahir ainsi son engagement de la primaire : sans évoquer les membres du Gouvernement ou autres « responsables » du Parti socialiste, auxquels un tel engagement ne s’applique formellement pas, François de Rugy avait ouvert la voie.

Toutefois, sa position d’ancien Premier ministre et de candidat qualifié au second tour de cette primaire donne une tout autre dimension à sa démarche.


Politiquement, elle est contestable. Quoique justifiant son choix par la « raison », non par le « cœur », en invoquant ainsi une décision « pour la République et pour la France », c’est toujours une erreur politique que de remettre en cause un tel engagement. Surtout lorsqu’il est ferme, surtout lorsqu’il est signé de sa main, surtout lorsqu’il est confirmé verbalement.

Mais on sait, depuis Henri Queuille, que « les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent ».

Stratégiquement, elle est discutable. Nul n’est dupe et l’on sait que si Benoît Hamon caracolait en tête des intentions de vote, Manuel Valls n’aurait pas pris une telle décision. Il tente là une stratégie, cherchant à se positionner comme celui qui pourra reconstruire une gauche de gouvernement, au lendemain d’une présidentielle qui aura laissé un Parti socialiste moribond.

Mais, pour cela, il faut une base électorale. Et en agissant ainsi, il n’aura ni celle d’Emmanuel Macron, dont il a divorcé, ni celle du Parti socialiste, dont il s’est coupé. Il ne pourra compter que sur la sienne, assez maigre, en définitive.

Humainement, pourtant, elle est justifiable. Le frondeur est à son tour frondé – et l’on peut même parler de « parallélisme des formes ». Si Benoît Hamon peut valablement condamner cette dissidence, comment espérer être crédible alors qu’il a lui-même contesté sa propre majorité, participé à la fronde pendant le quinquennat, refusé de voter la loi de finances, tenté de déposer une motion de censure contre le Gouvernement, signé une saisine du Conseil constitutionnel contre la loi El Khomri, bref, donné toute sa dimension au fait majoritaire contestataire ?

Manuel Valls le sait : trahira bien qui trahira le premier, non le dernier. Celui qui a lui-même trahi ne peut se plaindre de trahisons à son égard : Benoît Hamon n’a aucun moyen de les contester sérieusement.

Sauf que Manuel Valls s’était fermement engagé à ne pas le faire. C’est vrai.

Sauf que Benoît Hamon ne faisait que trahir quelqu’un qui trahissait lui-même le choix des électeurs de 2012. C’est faux.

Que François Hollande n’ait pas respecté tous ses engagements de 2012 ne peut être contesté. Mais là n’est pas la question : les choix qu’il a opérés étaient alors soutenus par la majorité parlementaire. Ce soutien était décidé collectivement, notamment lors des votes au sein du groupe, à l’Assemblée nationale.

En se positionnant comme il l’a fait, au cours du quinquennat, Benoît Hamon trahissait sa majorité, car il allait à l’encontre de la position que cette dernière avait démocratiquement arrêtée. Il était parfaitement libre de ne pas la partager, il était parfaitement légitime à faire valoir ses arguments pour tenter de l’infléchir. Mais une fois qu’elle était arrêtée, il devait s’y rallier et la soutenir, en faisant effectivement partie de la majorité. Le temps de sa contestation, le cas échéant, pouvait venir ensuite, lors de la construction d’un nouveau projet.

L’erreur fut, à l’époque, de ne pas agir plus sévèrement à l’égard des frondeurs car qui conteste ouvertement la majorité ne peut plus faire partie de la majorité. C’était alors qu’il fallait procéder à des sanctions internes au parti, voire à des exclusions.

Aujourd’hui, auront-elles lieu ? Vraisemblablement pas, ou de façon marginale.

Car c’est un peu tard, d’abord. Car elles seraient très nombreuses, ensuite. Car elles coûteraient cher, enfin. En effet, les fonds publics alloués aux partis politiques dépendent, d’une part, de leurs résultats au premier tour des élections législatives et, d’autre part, du nombre de parlementaires dont ils disposent. Si bien que le Parti socialiste aura grand besoin, en juin prochain, de candidats éligibles, à même de réunir le plus grand nombre de suffrages possibles.

Il y a donc là un précédent alarmant. Non pas celui d’avoir violé le serment de la primaire : cela ne pourrait que contribuer à faire disparaître ce pseudo-scrutin aux conséquences dévastatrices. Ce serait heureux.

Mais celui d’avoir créé une dissidence non sanctionnée, puis légitimée avec précarité, par ce pseudo-scrutin. Car cela a ouvert la voie à l’effondrement d’un parti de gouvernement et à une possible remise en cause du fait majoritaire. Et ce serait dangereux.

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