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Faire la morale avec pédagogie
Si l’un de nos étudiants en droit confondait droit et morale, il serait immédiatement corrigé. C’est pourtant ce que fait le Gouvernement, en proposant un « projet de loi sur la moralisation de la vie publique ».
Si quiconque se posait en donneur de leçons, se présentant comme celui qui sait distinguer le bien du mal, il serait immédiatement vilipendé. C’est pourtant ce que fait le Gouvernement, en nous parlant de « moralisation de la vie publique ».
Heureusement, à ce stade, nous avons une explication : il s’agit de « redonner la confiance dans la vie démocratique ». Nul ne pourrait y être opposé, mais encore faut-il en connaître les exactes modalités.
Leurs grandes lignes ont été présentées au cours d’une conférence de presse du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, jeudi 1er juin. Il est toujours risqué de commenter une réforme au stade de projet, a fortiori lorsque son contenu n’est pas connu dans ses détails. Néanmoins, on peut percevoir cette stratégie de communication comme de la saine pédagogie, nous permettant de contribuer à la réflexion en amont, afin de nourrir la réforme en aval.
Celle-ci se divise en trois chapitres, relevant de lois constitutionnelle, organique et ordinaire. Décodage.
Une révision constitutionnelle :
« Les anciens présidents de la République ne pourront plus être membres de plein droit du Conseil constitutionnel. »
Attendue depuis longtemps, évoquée en 2008, proposée en 2013, cette révision constitutionnelle est bienvenue, quoiqu’elle ne concerne, aujourd’hui, qu’une seule personne… Des quatre anciens Présidents de la République à même de siéger au Conseil constitutionnel – Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande –, seul le premier y siège effectivement. Et encore, il ne le fait-il que pour le contentieux a priori.
Là encore, la réforme avait été proposée sous le précédent quinquennat. Elle est heureuse en ce qu’elle supprime une juridiction d’exception. Elle serait toutefois malheureuse si elle devait permettre de régler, sur le plan judiciaire, des questions qui doivent rester d’ordre politique. Le Garde des Sceaux a promis qu’un filtrage serait assuré par la Cour d’appel de Paris : espérons qu’il offrira toutes les garanties nécessaires pour que les juges ne soient pas eux-mêmes tentés de s’immiscer dans des affaires qui ne relèvent pas de leur compétence.
D’autres solutions alternatives pourraient consister en un rétablissement de la responsabilité politique individuelle des membres du Gouvernement, désormais que la rationalisation du parlementarisme a fait son œuvre. De même, l’organe de filtrage pourrait être composé de personnalités politiques (ou anciennement politiques) qui, sans juger, participeraient à la décision sur la recevabilité d’une plainte ou l’opportunité de poursuites. En enrichissant ainsi cette procédure du regard de l’expérience, la marche de la Justice ne saurait être entravée ni la suspicion à l’égard du monde partisan alimentée.
« Les ministres ne pourront plus exercer de fonction exécutive locale. »
Enfin ! Enfin va-t-on faire disparaître cette incongruité française consistant en ce qu’un maire ou un président d’une collectivité territoriale, par ailleurs ministre de l’Intérieur, soit soumis au contrôle d’un préfet qui prend ses ordres auprès dudit ministre… Mais pourquoi ne pas aller plus loin et interdire le cumul avec tout autre mandat, quitte à appliquer un régime similaire à celui des parlementaires devenus ministres, en prévoyant un remplacement temporaire ? Espérons que cette fois cette réforme connaîtra un meilleur sort que celui qu’elle a connu en 2013, lorsqu’elle fut abandonnée.
« Les élus ne pourront plus exercer plus de trois mandats identiques et successifs de député, de sénateur ou d’exécutif local, sauf pour les petites communes, afin de permettre un renouvellement de nos représentants. »
Il n’est pas utile de passer par une révision constitutionnelle pour introduire cette réforme, car il s’agit du régime de l’éligibilité, qui relève de la loi organique pour les parlementaires, de la loi ordinaire pour les autres élus. En souhaitant l’inscrire dans la Constitution, le Gouvernement entend tout à la fois la sanctuariser en évitant, ainsi, qu’elle ne soit remise en cause ultérieurement (du moins, facilement) et forcer la main au Sénat. Celui-ci devra, en effet, la voter (ce qui ne serait pas le cas d’une loi organique qui ne s’appliquerait pas qu’aux sénateurs) et l’on peut s’attendre qu’étant donné le contexte politique, il le fasse. Mais, comme il en a l’habitude, il le fera payer en exigeant quelque chose en contrepartie. L’avenir dira quoi, mais ce pourrait être, déjà, que le seuil des petites communes échappant à la règle (de loin les plus nombreuses) soit élevé et fixé par loi organique.
La prévention des conflits d’intérêts :
« L’interdiction de recruter des membres de sa famille, pour les membres du Gouvernement comme pour les parlementaires et les collaborateurs de cabinet des élus locaux. »
Cette proposition, quoique attendue, est une réaction immédiate à des faits d’actualité récente. Elle est difficilement applicable (où commence et où s’arrête la famille ?), elle n’est pas réfléchie (comme toute réaction à l’actualité), elle soulève sans doute des difficultés constitutionnelles, afférentes à la liberté contractuelle (le contrat liant le parlementaire à son collaborateur est de droit privé). Cela ne relève pas de la loi organique, mais ordinaire.
« Des garanties de probité pour les parlementaires. »
Ils devront avoir satisfaits à leurs obligations fiscales (et se prémunir contre toute phobie administrative) – loi organique – et une peine d’inéligibilité de plein droit d’une durée maximale de 10 ans sera créée pour toute infraction portant atteinte à la probité – loi ordinaire. Comme l’a souligné le Garde des Sceaux, même si elle est « de plein droit », cette peine pourra toujours être écartée ou modulée par le juge, en raison de l’exigence constitutionnelle de personnalité des peines, qui exclut les peines automatiques.
« La prévention des conflits d’intérêts. »
Elle sera réglée par chacune des assemblées, lesquelles devront fixer des règles de déport… volontaire, par définition. La prévention et la dissuasion seront certes renforcées, mais les conflits d’intérêts n’en seront pas pour autant éliminés. Malgré tout, les parlementaires devront en répondre devant leurs électeurs et c’est là l’essentiel.
« L’encadrement des activités de conseil. »
Les parlementaires ne pourront plus se livrer à une activité de conseil, qu’elle relève d’une profession réglementée ou non, s’ils ne l’exerçaient pas au moins un an avant leur élection, sans pouvoir conseiller une société qu’un parlementaire ne pourrait pas diriger. C’est un début. Mais tant qu’ils seront en mesure d’exercer de telles activités, des conflits d’intérêts ou autres malversations surviendront inévitablement.
En 2013, le Conseil constitutionnel a considéré comme contraire à la Constitution l’interdiction de toute activité de conseil. Au-delà du fait que la situation a évolué depuis cette date, pouvant conduire le Conseil à revoir sa position, il paraît néanmoins possible d’aboutir à la disparition de telles activités. Il existe deux solutions.
De façon minimaliste, on peut simplement interdire aux parlementaires de se faire rémunérer pour toute consultation délivré pendant l’exercice de leur mandat, à l’exception éventuelle de celles qui relèvent d’une profession réglementée, exercée avant le début du mandat (et même plusieurs années auparavant). L’activité de conseil est permise, mais elle ne peut pas être rémunérée. De facto, elle n’aura plus lieu.
De façon maximaliste, on peut se fonder sur l’intérêt général pour poser la nécessité de se consacrer pleinement à son mandat et interdire toute activité professionnelle autre que celle de parlementaire, pendant toute la durée de celui-ci. Cela suppose toutefois de prévoir des contreparties sur la valorisation professionnelle des acquis du mandat de parlementaire. C’est une réforme à part entière sur le statut des élus, mais qui aurait pour mérite de réduire sensiblement les conflits d’intérêts, au point de les faire disparaître.
Cela relève de la loi organique.
« Le remboursement au réel des frais de mandat des parlementaires. »
Cette mesure est tellement emprunte de bon sens que d’aucuns s’étonneront sans doute qu’elle ne soit pas déjà en vigueur dans une loi organique… Reste à savoir ce qui relèvera effectivement des « frais de mandat » ce que, pour l’heure, personne n’a pris le risque d’expliciter. C’est pourtant l’essentiel.
« La suppression de la réserve parlementaire. »
La réserve parlementaire a mauvaise presse car elle apparaît, à des yeux mal intentionnés, comme une sorte de prébende. Pourtant, elle a fait l’objet d’évolutions importantes au cours du précédent quinquennat, avec la publication de ses destinataires. Sans doute pouvait-on encore évoluer, en précisant la mission exacte, en contrôlant l’utilisation des fonds, etc. En revanche, la supprimer, c’est prendre le risque que de nombreuses initiatives locales ne puissent désormais jamais voir le jour. Son remplacement par un fonds d’action pour les territoires et les projets d’intérêt général est un moindre mal, mais il bureaucratise l’octroi de financements qui étaient autrefois décidés par des représentants de la Nation, au profit de projets qu’ils entendaient valoriser dans leur circonscription. Mais sans doute que ce fonds, vraisemblablement géré au niveau central, saura mieux identifier qu’eux les besoins dans cette dernière…
Il faut en passer par une modification de la LOLF.
« La déclaration de situation patrimoniale de fin de mandat du Président de la République fera l’objet d’une appréciation par la HATVP, qui sera publiée au JORF. »
Ainsi, on sera sûr que le Président sortant ne partira ni avec les tableaux du Salon des Portraits ni avec les bonnes bouteilles de la cave. Il peut admirer les uns et boire les autres autant qu’il le souhaite pendant qu’il est en fonction, mais non partir avec.
La transparence des partis politiques :
Une importante réforme sur la transparence des partis politiques verra le jour, par l’adoption d’une loi ordinaire. Du contrôle de leurs comptes, par l’application du principe de séparation des ordonnateurs et des payeurs (on parle des « comptables », en finances publiques) au contrôle de leur financement, par le renforcement des mesures en matière de prêt. Du contrôle renforcé, par de nouvelles missions confiées à la Cour des comptes et à la CNCCFP, au financement clarifié, par la création d’une « banque de la démocratie ».
Cette dernière entend faciliter l’obtention de prêts par les partis politiques, car ils sont aujourd’hui tributaires des banques qui refuseraient de les consentir pour des raisons de réputation. L’idée est bonne et l’objectif est louable… à la condition que les partis, en n’étant plus les tributaires des banques, ne deviennent, encore davantage, les tributaires des pouvoirs publics…
Il reste un manque important, mais il semblerait que ce soit pour plus tard : la réduction du nombre de parlementaires. Ce n’est pas de la « moralisation », dit-on. Tout dépend de la morale que l’on choisit… d’où le problème de cet intitulé, que le Gouvernement serait bien avisé de faire évoluer.