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Un choix dangereux
Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un œil sur la Constitution », in Nouvel Obs
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« J’ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote. […] Que la parole soit donnée au peuple souverain, rien n’est plus républicain. Cela vaut mieux que tous les arrangements, toutes les solutions précaires. C’est un temps de clarification indispensable. […] J’ai entendu votre message, vos préoccupations, et je ne les laisserai pas sans réponse. »
Tels étaient les mots du Président de la République, le 9 juin au soir, lorsqu’il a prononcé la dissolution de l’Assemblée nationale. Pour le dire simplement, il souhaitait un « vote » du « peuple souverain » pour une « clarification indispensable ». La vérité quant à la cause était déjà ailleurs, car il s’agissait surtout de réagir après la déroute qu’il venait de subir, en raison des résultats aux européennes. Mais l’essentiel était là et mérite d’être répété : vote, peuple souverain, clarification indispensable.
Le vote du peuple souverain n’a ni été écouté, ni abouti à la clarification que le Président demandait. Par sa faute
Les résultats sont connus depuis le 7 juillet : trois blocs inégaux, sans qu’aucun ne puisse gouverner. Surtout, un Président clairement battu et une extrême droite défaite par le front républicain qui s’est constitué entre les deux tours.
Aujourd’hui, nous avons un Premier ministre. Quoique tardive, la nomination d’un chef du Gouvernement était indispensable, en pleine rentrée scolaire, à l’heure de la finalisation du budget pour l’an prochain, à la veille de l’ouverture de la session parlementaire (le 1er octobre). Cependant, le choix de Michel Barnier est dangereux. Non que le personnage lui-même mette notre République en péril, il est bien trop conservateur pour cela. Mais le choisir revient à nier le « vote » de ce « peuple souverain », conduisant à alimenter les thèses anti-démocratiques plutôt qu’à apporter de la « clarification », effectivement indispensable.
D’abord, le Président de la République a été sèchement battu. Pourtant, il choisit lui-même le Premier ministre. Il a même été battu à deux reprises : le 9 juin, d’abord, en obtenant deux fois moins de voix que le Front national et le 7 juillet, ensuite, voyant sa majorité passer de 250 à 166 députés. Malgré le message adressé par le peuple, en choisissant le Premier ministre, il continue d’agir comme s’il était le décideur que le peuple soutient.
Ensuite, la droite (Les Républicains) s’est divisée et a été défaite lors de ce scrutin. Cependant, le Premier ministre est issu de ses rangs. Le groupe LR comptait soixante-et-un députés avant les élections et ils ne sont plus que quarante-sept désormais. Surtout, le parti a implosé lorsque son Président, Éric Ciotti, a décidé de s’allier à l’extrême-droite.
Enfin, cette dernière, pourtant donnée grande gagnante pendant la campagne, s’est retrouvée en troisième position. Malgré cela, c’est elle qui détermine qui peut – ou ne peut pas – être Premier ministre, alors que, pourtant, elle n’a pas de minorité de blocage suffisante. En effet, ses seuls cent vingt-six députés (auxquels on peut ajouter les seize « ciottistes », soit 142) ne sont pas en mesure de renverser un Gouvernement ou de l’empêcher de gouverner.
L’équation et les calculs étaient donc simples, après ces élections législatives. D’une part, aucun bloc ne pouvait gouverner seul. Il était donc vain et puéril de vouloir appliquer un programme unique (et tout un programme unique), comme le prétendaient certains à gauche. Il était ainsi indispensable de dépasser les blocs pour composer une majorité à même de gouverner, c’est-à-dire un Gouvernement qui ne s’exposait pas immédiatement à une motion de censure, qui ne peut être acquise qu’à la majorité absolue des députés, soit 289. Car, rappelons-le, sous la Ve République, un Gouvernement n’a pas besoin d’être « investi » et il ne faut donc pas rechercher une « majorité positive » qui soutienne le Gouvernement : il peut agir tant qu’il n’est pas empêché par une motion de censure et il faut donc s’assurer qu’il n’y ait pas une majorité absolue négative prête à le renverser.
D’autre part, si on dépassait ces clivages, un Premier ministre de centre droit aurait dû logiquement être censuré par le Nouveau Front populaire (193 députés) et, a minima, le Front national (126), soit 319 députés. La majorité absolue était ainsi acquise. Au contraire, un Premier ministre de centre gauche risquait une censure de La France insoumise (72 députés), des deux groupes de droite (47 et 16 députés) et de l’extrême droite (126), soit 261 députés. La majorité absolue n’était pas acquise.
La nomination de Michel Barnier est ainsi incohérente. On pourrait ajouter que plusieurs autres groupes de gauche n’ont pas manifesté leur soutien à une nomination de centre gauche (notamment Bernard Cazeneuve), voire ont indiqué leur hostilité. Mais ils portent précisément une lourde responsabilité de leur échec, qu’ils n’ont pourtant de cesse de dénoncer depuis jeudi.
Surtout, davantage qu’incohérent, ce choix est dangereux. Car, pour toutes les raisons évoquées, le « vote » du « peuple souverain » n’a, en rien, été écouté et n’a pas abouti à la « clarification » que le Président demandait. Par sa faute.
Sans doute n’est-il pas responsable des élucubrations et des atermoiements de la gauche. Il était dans son rôle de garant du fonctionnement régulier des pouvoirs publics, lorsqu’il a refusé de nommer la personnalité proposée par le NFP, constatant qu’elle s’exposerait à une censure immédiate. Mais il était de sa responsabilité, au nom des missions que la Constitution lui confie et des principes démocratiques qui la fondent, d’appeler les différents groupes et partis politiques à s’entendre et à dépasser leurs clivages. Il était encore de sa responsabilité de respecter le vote des Français, qui se sont massivement exprimés pour le front républicain.
En ne le faisant pas et en allant chercher, au contraire, un Premier ministre issu du seul parti qui n’a pas participé à ce front républicain, tout en le faisant accepter par le parti que ce même front républicain a permis de battre, son message anti-extrême droite n’a plus aucune légitimité, tandis que sa volonté de préserver les institutions n’a plus aucune crédibilité. Il fait fi de la parole du peuple souverain qu’il a sollicité et conforte l’extrême droite, alors qu’il entendait la combattre.
Mots-clés: Assemblée nationale, Article 5, Article 8, Article 12, Article 20, Article 49, Gouvernement, Président de la République, Député, Premier ministre, La France insoumise, Les Républicains, Élections législatives, Élections européennes, Motion de censure, Front national, Session ordinaire