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Quatre révisions et un enterrement

La révision constitutionnelle, c’est maintenant. Ou, plus exactement, les révisions constitutionnelles : quatre projets de loi constitutionnelle qui ont été adoptés en Conseil des ministres le 13 mars dernier, puis déposés sur le bureau de l’Assemblée nationale. Ils portent respectivement sur la démocratie socialeles incompatibilités applicables à l’exercice de fonctions gouvernementales et à la composition du Conseil constitutionnelle Conseil supérieur de la magistrature et la responsabilité juridictionnelle du Président de la République et des membres du Gouvernement.

Ces projets de révision étaient attendus. Tellement attendus que l’on peut se demander si les travaux de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique ont véritablement été utiles. Le rapport était d’une grande qualité mais, d’une part, certaines des mesures constitutionnelles retenues aujourd’hui n’y figuraient pas (la démocratie sociale ou la réforme du Conseil supérieur de la magistrature) et, d’autre part, elles avaient toutes été annoncées dès la campagne électorale du candidat Hollande (dans ses engagements n° 47, 48, 53 et 55).

Ce n’est donc pas tant la Commission qui les a suggérées – sauf, peut-être, la responsabilité civile du Chef de l’État – que le Président qui les a imposées. Bien qu’ils ne présentent pas de connexité directe entre eux, ces projets confirment ainsi une certaine volonté présidentielle de défendre une « République exemplaire » et de renforcer la démocratie.
 
1- La démocratie sociale

Dans cet esprit, l’inscription de la « démocratie sociale » dans la Constitution imposera d’associer les partenaires sociaux à l’élaboration des projets et propositions de loi et des ordonnances, sauf en cas d’urgence. Sage dans son principe, car elle concrétise l’un des droits constitutionnels du travailleur de participer « par l’intermédiaire de ses délégués à la détermination collective des conditions de travail », issu du Préambule de 1946, seules ses mesures d’application permettront d’en apprécier toute la portée. Afin d’en garantir l’effectivité, il sera en effet nécessaire de trouver un juste équilibre entre une réelle implication des partenaires sociaux et, donc, une urgence qui ne puisse pas être systématiquement invoquée et les moyens qui permettront de surmonter un (inévitable) blocage.

2- Les incompatibilités applicables à l’exercice de fonctions gouvernementales et à la composition du Conseil constitutionnel

La constitutionnalisation de l’incompatibilité entre une fonction ministérielle et une fonction exécutive locale, déjà effective sous le Gouvernement Ayrault (imposée par la Charte de déontologie du 17 mai 2012), et la suppression de la qualité de membres de droit du Conseil constitutionnel à l’égard des anciens Présidents de la République participent de cette même logique d’exemplarité. Il sera enfin mis un terme à cette incohérence juridique selon laquelle un ministre, supérieur hiérarchique du préfet, peut être subordonné au contrôle de ce dernier en tant que responsable d’un exécutif local.

On ne peut que regretter que l’incompatibilité ne soit pas étendue à tout mandat local : cette même cohérence juridique le commande pourtant. Cela aurait permis de se passer de la formule, un peu lourde, relative aux présidences d’établissements de coopération entre collectivités territoriales.

3- Le Conseil supérieur de la magistrature

C’est toujours cette volonté d’exemplarité et d’impartialité de l’État qui justifie la nouvelle réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Le pouvoir politique (Président de la République et Présidents des assemblées) n’interviendront plus dans la nomination de ses membres, sauf lors de la phase d’audition qui aura lieu les commissions de chacune des assemblées, tel que cela est déjà prévu actuellement. Le temps est loin où toutes les personnalités qualifiées étaient nommées par le Chef de l’État (jusqu’en 1993). L’indépendance du CSM est ainsi incontestablement renforcée, même s’il aurait été justifié que le Président conservât le droit de nommer un membre, sous le contrôle des commissions parlementaires, en raison du rôle de « garant de l’indépendance de la justice » que l’article 64 de la Constitution lui attribue.

4- La responsabilité juridictionnelle du Président de la République et des membres du Gouvernement

Enfin, le dernier projet de loi constitutionnelle était le plus attendu, au moins par le Président de la République lui-même. La question du statut du Chef de l’État et de la suppression de la Cour de justice de la République constituait l’un de ses plus fermes engagements constitutionnels. L’un des plus contestés, également, par la doctrine constitutionnaliste.

On ne peut donc que se réjouir que toute idée de suppression de l’immunité pénale dont doit pouvoir disposer le Président de la République ait été abandonnée. Cela a déjà été dit mais répétons-le: d’une part, la dignité et l’importance de la fonction font d’un « Président normal » un homme anormal (car, par définition, il est unique) et imposent qu’il soit protégé pendant la durée de son mandat. D’autre part, l’immunité n’est pas une impunité puisque, un mois après avoir cessé d’être Président, il est à nouveau un justifiable comme les autres. Toutefois, ce qui vaut sur le plan pénal n’a pas la même implication sur le plan civil et, bien que d’autres solutions auraient pu être envisagées, il n’est pas injustifié que sa responsabilité civile puisse être engagée, après autorisation d’une commission des requêtes.

En revanche, le privilège de juridiction dont disposent les ministres, pénalement et individuellement responsables devant la Cour de justice de la République, sera supprimé : ils seront passibles des juridictions de droit commun, après la même autorisation. Pourtant, un raisonnement identique s’applique et, s’il paraissait indispensable de réformer la CJR afin de réduire, en son sein, la part de parlementaires et de renforcer d’autant la part de magistrats, sa suppression est beaucoup plus discutable.

Le droit de vote des étrangers

À ces quatre projets de révision s’ajoute un enterrement: le droit de vote des étrangers ne paraît plus d’actualité. L’absence d’une majorité suffisante des 3/5e pour assurer son vote au Congrès et une opinion publique qui paraît réticente expliquent cet abandon. Elles ne le justifient pas : s’agissant d’un engagement de la campagne (n° 50), d’ailleurs ancien, il aurait pu être soumis à la même logique que les quatre autres projets de révision. En effet, en sectionnant ainsi la réforme constitutionnelle, chaque groupe politique et même chaque parlementaire devra prendre ses propres responsabilités en se positionnant pour ou contre chacune des réformes.

Il est toujours plus délicat de devoir se justifier individuellement que collectivement. C’est peut-être la bonne solution pour que ces quatre révisions aboutissent et ne soient pas, elles-mêmes, enterrées.

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