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Du bon usage du référendum
À mesure que la campagne présidentielle progresse, les propositions s’égrènent.
Parmi elles, une idée revient de façon lancinante, sans que ce soit là grande nouveauté : appeler les Français à se prononcer directement par référendum, sur tel ou tel sujet, principalement relatif à l’immigration, voire à la sécurité.
Ce matin encore, Marine Le Pen indiquait que la première mesure qu’elle prendrait dès le lendemain de son hypothétique élection serait de restreindre « drastiquement l’immigration », sans passer par le Parlement et en soumettant la question à référendum. Les candidats Les Républicains, qui seront départagés le 4 décembre prochain, versent dans la surenchère en voulant instaurer des quotas migratoires dans la Constitution, après référendum, pour les uns (Valérie Pécresse et Xavier Bertrand – et ainsi limiter le droit constitutionnel au regroupement familial –, supprimer le droit du sol et établir un moratoire, toujours par référendum, pour les autres (Michel Barnier et Éric Ciotti).
La Constitution nous protège, en tant que communauté nationale, par des règles restreignant des droits, des libertés et même la souveraineté
On ne saurait contester la volonté d’appeler à l’expression de la souveraineté nationale, tel que le permet notre Constitution. Mais encore faut-il le faire dans le respect de cette Constitution et, au-delà, des normes qui s’imposent à la France, notamment européennes et internationales. Sur ce dernier point, Éric Ciotti propose, toujours par référendum, de nous permettre de recouvrer notre souveraineté en mettant fin à la primauté du droit de l’Union européenne en France, sans pour autant se retirer de cette même Union.
Or, si notre Constitution permet en effet que le peuple s’exprime directement par référendum, elle ne permet pas qu’il puisse le faire n’importe comment, sur n’importe quoi.
Au-delà de consultations locales, auxquelles peuvent procéder les collectivités territoriales ou qui seraient en lien avec une accession à l’indépendance (comme ce sera la cas, le 12 décembre prochain, en Nouvelle-Calédonie) et mise à part l’autorisation populaire d’une nouvelle adhésion à l’Union européenne, la Constitution ne prévoit que deux possibilités de recourir au référendum : l’une par la voie de l’article 11, l’autre par celle de l’article 89.
La voie de l’article 11 s’ouvre à l’égard des projets et propositions de lois et ne peut porter que sur un objet limité : l’organisation des pouvoirs publics, la politique économique, sociale et environnementale de la nation et les services publics qui y concourent et sur l’autorisation de ratifier un traité international qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.
La voie de l’article 89, quant à elle, concerne les révisions constitutionnelles et n’est pas matériellement limitée, à l’exception de la forme républicaine du Gouvernement, préservée par l’article 89, alinéa 5 de la Constitution. En revanche, sur le plan de la forme et de la procédure, le recours à cette voie référendaire suppose, au préalable, que les deux assemblées s’accordent sur le texte qui sera soumis au peuple français.
La déduction est donc claire : la politique migratoire, ou même la politique sécuritaire ne relèvent pas du champ de l’article 11. Un référendum portant sur ces sujets ne peut donc pas être directement soumis à l’approbation des électeurs, mais doit emprunter la voie d’une révision constitutionnelle et requiert donc qu’un texte soit d’abord adopté conjointement par l’Assemblée nationale et le Sénat.
Deux questions se posent alors : pourquoi – et même peut-on – ainsi restreindre l’expression du peuple français, comme le fait l’article 11, alors qu’il est souverain ? Si l’article 11 ne le permet pas, pourquoi ne pas, en effet, emprunter la voie de l’article 89 ?
Certes, le peuple français est souverain. Mais cette souveraineté est conférée et garantie par la Constitution, ce qui suppose donc de la respecter, non de la violer en utilisant une voie référendaire qu’elle ne permet pas.
De surcroît, notre Constitution nous protège, nous tous en tant que communauté nationale. C’est pourquoi elle établit des règles qui restreignent certains droits, certaines libertés et même la souveraineté, afin d’éviter qu’au nom de la Constitution ou qu’au nom de la souveraineté, le plus grand nombre n’oppresse une minorité. Prenons un exemple simple : si, par référendum, était demandé une restriction de l’imposition aux seuls 20% de la population les plus aisés, il est assez probable qu’une nette majorité se prononcerait favorablement. Pour autant, est-ce à la fois acceptable et réalisable ? Certainement pas, raison pour laquelle il est sain et justifié que les questions fiscales ne puissent pas être soumises à référendum. Afin d’éviter de verser dans la surenchère populiste, voire de sombrer dans des ségrégations xénophobes, il est tout aussi sain et justifié que les questions migratoires échappent également au référendum.
Enfin, emprunter la voie constitutionnelle ne résout pas tout. D’une part, puisqu’il s’agit de réviser notre charte fondamentale, cette dernière prévoit elle-même des garde-fous permettant toujours de protéger la communauté nationale, parmi lesquels l’exigence de respecter une procédure imposant une réelle maturation de la révision et un débat constitutionnel. C’est le passage obligé devant le Parlement et la nécessité qu’il adopte un texte unique. D’autre part, si la Constitution permet de s’affranchir des limites juridiques internes, elle ne permet pas de passer outre les règles internationales et européennes qui continuent de s’imposer : si elles devaient être violées du fait d’une révision constitutionnelle, la France engagerait sa responsabilité internationale, la contraignant soit à revenir sur ladite révision, soit à se désengager desdits traités internationaux, parmi lesquels figurent la Convention européenne des droits de l’homme ou les traités sur l’Union européenne.
La solution hypothétique à un problème ne serait donc que la cause certaine de nouveaux problèmes, auxquels on pourrait toujours chercher d’autres solutions, mais qu’il faut bien avoir à l’esprit au moment même où l’on entend entreprendre une telle démarche. C’est une question d’efficacité et surtout de sincérité.