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Justice et pouvoir politique

Le pouvoir judiciaire, qualifié « d’autorité judiciaire » par notre Constitution, a toujours connu une place particulière au sein du pouvoir. Nécessairement indépendant pour garantir son impartialité, il effraie le pouvoir politique qui cherche ainsi à le contrôler. Et grand mal lui en prend alors.

Ce fut le cas dès 1958, lorsque la Constitution de la Vème République, tout en proclamant l’indépendance de l’autorité judiciaire à l’article 64, innovait en faisant du Président de la République le garant de cette indépendance. De même, si elle renouvelle le Conseil supérieur de la magistrature, créé par la Constitution de 1946, elle prévoit que ses membres seraient tous nommés par le Président de la République, qui en est le président, tandis que le Garde des Sceaux en serait le vice-président de droit.
 
Afin de limiter ce qui paraissait légitimement excessif, l’interférence du pouvoir politique au sein de la magistrature a été réduit. D’abord, en 1993, par une réécriture de l’article 65 de la Constitution qui réduisit substantiellement les nominations politiques, tout en prévoyant que les nominations des magistrats du siège, à l’exception de ceux de la Cour de cassation, des premiers présidents de cour d’appel et des présidents de tribunaux de grande instance, sont nommés sur son avis conforme. Puis en 2008, par une nouvelle réécriture de l’article 65, qui a supprimé la présidence et la vice-présidence du Président de la République et du Garde des Sceaux, le premier n’y siégeant plus du tout et le second pouvant participer aux séances, sauf en matière disciplinaire.

Toutefois, le mal était fait et les magistrats considèrent parfois que leur indépendance, quoique garantie, doit être continuellement préservée, si ce n’est conquise par eux-mêmes. Ce n’est pas surprenant car la justice doit être indépendante : c’est là son rôle d’être le tiers impartial à même de trancher tout litige qui lui est soumis. Mais, à l’instar de tout pouvoir, elle doit être contrôlée, dans une juste mesure, afin d’éviter tout débordement. La logique mise au jour par Montesquieu, selon laquelle « le pouvoir arrête le pouvoir », afin d’éviter que « tout homme qui a du pouvoir [ne soit] porté à en abuser », s’applique au pouvoir judiciaire autant qu’aux pouvoirs législatif et exécutif.

Par conséquent, il faut trouver un équilibre entre indépendance et contrôle, la première ne pouvant exclure le second, mais le second ne devant point anéantir la première. Il est constitutionnellement inadmissible que le pouvoir politique cherche à influencer les décisions des juges ou, pire, à espionner ces derniers. Il est constitutionnellement inadmissible que le pouvoir politique donne des directives à des procureurs dans des affaires spécifiques. Mais il est tout aussi inadmissible, à rebours, que les magistrats cherchent à conquérir et revendiquer leur indépendance en mettant en cause le pouvoir politique, là où cela ne se justifie pas, faisant alors preuve d’un zèle tout aussi excessif que le contrôle précédemment dénoncé.

C’est pourquoi, la justice doit demeurer neutre et impartiale, grâce à une indépendance garantie et un contrôle limité. Cela passe par une limitation des prérogatives du pouvoir politique en matière, notamment, de nomination des magistrats. Ainsi que l’envisageait le projet de loi constitutionnelle réformant le CSM, déposé en 2013 puis mis en échec au Parlement, toute nomination doit se faire sur avis conforme dudit Conseil, y compris pour les magistrats du parquet. Sans doute pourrait-on également envisager ne plus faire du Président de la République le garant de l’indépendance de la justice et confier cette tâche au seul Conseil, ou du moins renforcer son rôle en cette matière. En revanche, ce dernier ne saurait être composé à majorité de magistrats car ce serait, sinon, tomber dans l’excès inverse en confiant une mission de contrôle à ceux qui doivent en faire l’objet. Cela reviendrait, en réalité, à la supprimer.

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