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Touche pas à ma Constitution !

Une Constitution est faite pour durer, ce qui n’empêche pas qu’elle puisse être révisée. Toutefois, s’il est parfois nécessaire de la faire évoluer, on ne saurait en altérer les fondements.

Ainsi que l’a exposé Guy Carcassonne, la Constitution de « la Vème République a fait de la France une démocratie moderne, mais elle peut toujours gagner en démocratie et en modernité ». Ajoutons que l’objectif, en 1958, était de rationaliser effectivement le régime parlementaire, afin d’assurer une stabilité politique et institutionnelle. Pour cela, différents mécanismes ont été prévus (rôle du Président de la République, création du Conseil constitutionnel, encadrement du Parlement, etc.).


Parmi ces mécanismes, il y a notamment l’article 49 qui réglemente la mise en cause de la responsabilité politique du Gouvernement par l’Assemblée nationale. On l’a dit, il a introduit une nouveauté consistant à inverser le rapport de confiance et à ne plus contraindre le premier à démontrer qu’il est soutenu par la seconde mais à permettre à la seconde de montrer à tout instant qu’elle ne soutient plus le premier. La confiance n’est plus prouvée, elle est présumée car elle découle de la légitimité du Président élu.

Cet article a également prévu la possibilité de faire adopter un texte sans le voter : c’est le célèbre « 49, 3 », c’est-à-dire l’article 49, alinéa 3, par lequel le Premier ministre engage la responsabilité du Gouvernement sur un texte. Si aucune motion de censure, déposée dans les 24 heures, n’est votée dans les 48 heures suivantes, le texte est adopté. À l’inverse, si la motion de censure est adoptée, le texte est rejeté et le Gouvernement doit démissionner.

Ce mécanisme n’est en rien un déni de démocratie, contrairement à ce que certains de ses détracteurs soutiennent. Au contraire, il participe pleinement de la volonté de rendre la démocratie efficace en permettant que des décisions soient prises.

Il permet ainsi de créer une majorité sur un texte lorsqu’elle n’existe pas. L’usage du « 49, 3 » signifie que le Gouvernement juge un texte à ce point important qu’il veut discipliner sa majorité en lui indiquant que, si elle ne veut pas du texte, elle doit alors aussi renoncer à ce Gouvernement. Naturellement, la logique du régime parlementaire voudra que, si une majorité censure le Gouvernement, l’Assemblée nationale sera dissoute et le peuple sera appelé à trancher le conflit entre le Gouvernement et le Parlement, lors d’élections législatives.

Rien de plus démocratique.

Arme redoutable de rationalisation du parlementarisme, le « 49, 3 » n’est redouté que par ceux qu’il contraint, à savoir les quelques parlementaires réticents à s’aligner derrière un Gouvernement qu’ils sont pourtant supposés soutenir. Il est donc un instrument de discipline de la majorité garantissant que la politique gouvernementale sera menée efficacement.

Imaginé alors que la IVème République poussait son dernier soupir, il est ainsi indispensable à cette rationalisation et à l’équilibre institutionnel qui est permis par la Constitution de la Vème République. Le supprimer, c’est affaiblir cet équilibre et risquer de faire vaciller les fondements de notre régime.

Certes, on dit que, depuis 1962, le fait majoritaire est apparu et que ces mécanismes de rationalisation ont été prévus lors d’un temps où il n’existait pas. Si c’est incontestable, cela ne signifie pas, pour autant, qu’ils sont devenus inutiles. Preuve en est, entre 1988 et 1993 et, en particulier, jusqu’en 1991, au cours du Gouvernement de Michel Rocard, le « 49, 3 » a été plus utilisé qu’il ne l’a jamais été. Le fait majoritaire existait bel et bien mais le Gouvernement ne pouvait compter que sur une majorité relative, non absolue. Il lui était donc indispensable d’user de cet outil pour faire adopter des textes importants. Si les députés devaient juger que son usage était inapproprié ou que le texte ne devait pas être adopté, ils pouvaient déposer et voter une motion de censure. Plusieurs l’ont été, aucune n’a abouti, même s’il s’en est parfois fallu de peu.

De même, au cours de ce quinquennat, certains députés de la majorité ont mené une « fronde », conduisant le Premier ministre à user de cette procédure, pourtant inutilisée depuis la révision constitutionnelle de 2008. Si cette révision en avait restreint l’usage, sans doute de façon déjà dangereuse, elle en avait néanmoins maintenu le principe, pour les lois budgétaires et pour un texte par session.

Son emploi depuis 1958, en particulier entre 1988 et 1991 et depuis 2012, démontre qu’en dépit du fait majoritaire, le « 49, 3 » est indispensable. En revoir les possibilités d’utilisation, non pas en le supprimant « purement et simplement », mais bien en le limitant aux seules lois budgétaires, est dangereux car cela atteint les fondements mêmes de notre régime : sa rationalisation voulue et nécessaire. S’il est souhaitable que notre Constitution évolue pour permettre, notamment, que la voix du citoyen soit mieux entendue, cela ne peut pas se faire au prix de la stabilité et de l’efficacité.

Renforcer la démocratie ne signifie pas altérer la démocratie. Cela, c’est l’affaiblir.



La Constitution décodée prend des vacances ! Nous vous souhaitons d’excellentes fêtes de fin d’année et vous donnons rendez-vous le 9 janvier 2017, pour le prochain billet.

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