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Une majorité absolue ou le chaos ? Non.

Ce billet est initialement paru sous forme de Tribune dans Libération.

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La dissolution prononcée par le Président de la République le 9 juin plonge les électeurs, les partis politiques et les candidats dans de nombreuses incertitudes. Mais il en est une que l’on peut lever d’emblée : la majorité absolue n’est pas nécessaire pour gouverner.

Jordan Bardella, candidat aux fonctions de Premier ministre et Président du Rassemblement national déclare qu’il ne gouvernera que s’il dispose d’une telle majorité. On peut d’abord s’étonner d’une telle déclaration de la part du chef d’un parti qui a toujours défendu l’instauration du scrutin proportionnel alors que ce dernier, précisément, ne peut que très difficilement conduire à l’obtention d’une majorité absolue. D’ailleurs, la seule fois où ce mode de scrutin s’est appliqué aux élections législatives (en 1986), aucun parti n’a remporté cette majorité et la cohabitation n’a pu avoir lieu que grâce à une coalition des deux partis de la droite républicaine, à l’époque le RPR (ancêtre de LR) et l’UDF (ancêtre du MoDem). 

 

La Ve République permet à un Gouvernement d'agir, même en l'absence de majorité absolue, tant qu'il n'est pas confronté à une majorité hostile 

 De surcroît, la Constitution de la Ve République a été écrite, en 1958, alors que le fait majoritaire n’existait pas. Ses rédacteurs n’imaginaient donc pas qu’il puisse exister, a fortiori de façon régulière et pérenne, de majorité claire et stable à l’Assemblée nationale, à même de soutenir durablement un Gouvernement. Nous sortions alors de la IVe République, qui s’était distinguée par son exceptionnelle instabilité et par le morcellement des partis politiques. La nouvelle Constitution devait ainsi permettre d’y faire face, en offrant certains mécanismes assurant qu’un Gouvernement puisse conduire son action et demeurer en fonctions, alors même qu’une majorité absolue lui faisait défaut.

Le fait majoritaire n’a commencé à s’installer qu’à partir de 1962, sans être systématiquement absolu et inconditionnel, c’est-à-dire sans qu’un même parti puisse se prévaloir, à lui seul, d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Cette hypothèse est même assez exceptionnelle : ce ne fut le cas qu’en 1968, en 2002, en 2007 et en 2017. Dans la plupart des autres cas, à l’exception de la période 1988-1993 et de 2022 à aujourd’hui, ce sont des coalitions de plusieurs partis (au moins deux) qui ont permis d’atteindre la majorité absolue. Et l’on a pu constater, y compris lors des périodes de seule majorité relative (comme c’est le cas depuis les dernières élections législatives), qu’il est possible de gouverner.

D’une part, les mécanismes de nomination du Gouvernement et d’engagement de sa responsabilité sont ainsi faits que le Gouvernement n’a jamais besoin de prouver qu’il est soutenu par une majorité et c’est au contraire à cette dernière de montrer qu’elle censure le Gouvernement, à la stricte condition d’être absolue. Par conséquent, lorsque le Président de la République nomme un Gouvernement, ce dernier reste en fonction, détermine et conduit la politique de la Nation, tant qu’une motion de censure n’est pas adoptée et il n’est pas tenu de demander la confiance de l’Assemblée nationale.

D’autre part, pour faire adopter les textes les plus importants, soit les textes budgétaires, le mécanisme de l’article 49, al. 3, désormais bien connu, permet de s’assurer d’une majorité lorsque cette dernière n’existe pas ou si elle est incertaine. On rejoint ainsi le cas précédent puisque, engageant sa responsabilité sur un texte, le Gouvernement se maintient et voit son texte adopté, sauf à ce qu’une majorité absolue de députés ne vote une motion de censure.

Enfin, dans l’hypothèse d’un blocage sur ces textes essentiels à la continuité de l’État, rendant impossible l’adoption du budget avant le 31 décembre de l’année en cours, les dispositions du projet de loi de finances peuvent être mis en œuvre par ordonnance, sur habilitation directe de l’article 47 de la Constitution (et 47-1, concernant le budget de la Sécurité sociale).

Ce sont donc là autant de mécanismes permettant à un Gouvernement d’agir, y compris dans l’hypothèse de l’absence de majorité absolue. D’ailleurs, on le voit depuis 2022 : les lois budgétaires et d’autres réformes – et non des moindres – ont pu être votées par le Gouvernement Borne (celui d’Attal n’a pas encore été confronté aux débats budgétaires, mais nul doute qu’il les aurait surmontés, notamment grâce au « 49, al. 3 »).

La seule condition, cependant, est de ne pas être confronté à une majorité hostile. Tel a été le cas jusqu’à présent car la majorité présidentielle a généralement pu compter sur le soutien, au moins tacite, de la droite républicaine. Il est vrai que l’extrême droite serait dans une situation plus inconfortable encore, si tous les autres partis et groupes composant l’Assemblée s’unissent contre elle ou contre elle et ses éventuels alliés, sans que cette alliance ne les assurent de la majorité absolue.

Mais précisément dans ce cas, un autre Gouvernement pourra être formé, sans nécessairement qu’il aille « de Jean-Luc Mélenchon à Édouard Philippe », mais qui pourra s’appuyer sur une majorité suffisamment relative et un sens des responsabilités des uns et des autres lui permettant de gouverner, sans s’exposer à l’adoption d’une motion de censure.

La Constitution de la Ve République est ainsi suffisamment robuste pour nous prémunir du chaos parfois annoncé, même en cas de majorité incertaine.

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