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Défendre les valeurs républicaines

L’événement est suffisamment rare et grave pour mériter une attention particulière, même plusieurs jours après qu’il est survenu.

Au cours de la séance des questions d’actualité au Gouvernement (QAG) du jeudi 3 novembre après-midi, alors que Carlos Martens Bilongo, député de la Nation et élu dans le Val d’Oise (LFI-NUPES), interrogeait le Gouvernement sur la situation du navire Ocean Viking, en situation de détresse en mer Méditerranée avec plusieurs centaines de migrants à bord, un autre député, issu des bancs de l’extrême droite, a crié « qu’il retourne en Afrique ! », comme attesté par le compte-rendu intégral de la séance.

Parlait-il du navire ? Des personnes à bord (mais alors, au-delà même de la faute d’accord du verbe, c’est le pronom lui-même qui est erroné) ? Du député qui posait la question ? On ne le saura jamais avec certitude et, à vrai dire, là n’est pas la question.

 

Ici, la sévérité de la peine dit indirectement ce que la qualification de l’acte ne dit pas expressément 

En effet, quelle que soit la référence exacte de cette formule, son seul prononcé et, sans doute, son ambiguïté ont été perçus comme une provocation. Elle a immédiatement été assimilée à des propos racistes, ainsi qu’en témoignent l’ensemble des réactions de la classe politique qui a unanimement condamné ces propos, à l’exception du Front national, désormais dénommé Rassemblement national et parti dont est issu le député concerné. Le trouble fut tel que la Présidente de l’Assemblée nationale a d’abord suspendu la séance, avant de l’interrompre totalement quelques minutes plus tard.

Le lendemain, une réunion extraordinaire du Bureau était convoquée afin de statuer sur une sanction à l’égard du député qui avait prononcé cette phrase. Pour qu’un comportement soit ainsi sanctionné, il faut d’abord établir les faits, puis identifier s’ils entrent dans l’un des comportements passibles de sanction et, enfin, arrêter la peine adéquate.

Les faits étaient connus et, quoique le sens exact de la formule fût contesté, son prononcé ne pouvait pas être remis en cause, le procès-verbal faisant foi.

L’article 70 du Règlement de l’Assemblée nationale prévoit sept types de comportements susceptibles de peines disciplinaires. Si le cas d’« injures, provocations ou menaces » à l’égard « d’un ou plusieurs [députés] » est bien prévu, ce n’est pas le motif qui a été retenu, précisément en raison de l’ambiguïté de la formule. En revanche, le député d’extrême droite a été sanctionné parce qu’il s’est livré « à des manifestations troublant l’ordre » et qu’il a provoqué « une scène tumultueuse ».

Cette qualification est intéressante car elle acte que le Bureau a refusé de dissiper l’ambiguïté de la phrase, tout en retenant qu’elle a elle-même troublé l’ordre et provoqué une scène tumultueuse. Or ce n’est pas la première fois – et ce ne sera pas la dernière – qu’un député est interrompu par un autre pendant qu’il parle, le second faisant un commentaire sur les propos du premier. Par conséquent, si, cette fois, cette interpellation a été ainsi qualifiée et sanctionnée, sans être formellement assimilée à une injure ou une provocation, c’est bien son ambiguïté et ce qu’elle suggère qui est identifiée comme cause d’une peine disciplinaire.

La peine proposée par le Bureau et décidée par l’Assemblée nationale est la plus lourde qui soit prévue par l’article 71 du Règlement : la censure avec exclusion temporaire. En plus de priver le député sanctionné de la moitié de son indemnité pendant deux mois, cette peine lui interdit de reparaître dans l’enceinte de l’Assemblée et de prendre part à ses travaux pendant quinze jours de séance (donc davantage que quinze jours « simples »). En l’état actuel de l’ordre du jour, ce délai devrait expirer soit à la fin de la semaine du 28 novembre soit au début de la semaine du 5 décembre (donc près d’un mois après le prononcé de la sanction).

C’est la deuxième fois qu’une telle sanction est prononcée. La première fut contre Maxime Grémetz, en mars 2011, alors qu’il avait troublé une réunion conjointe des affaires économiques, du développement durable et de l’office des choix scientifiques sur le grave accident nucléaire qui était survenu au Japon.

Le Bureau l’a proposée à l’unanimité, les membres issus des rangs du Front national refusant alors d’y siéger et l’Assemblée l’a adoptée avec l’approbation de l’ensemble des députés, à l’exception de ceux issus de l’extrême droite, qui ont voté contre.

En définitive, en dépit de la qualification et de la cause retenue pour justifier la peine disciplinaire, la sévérité de cette dernière témoigne bien de la gravité des faits, qui ne sauraient donc pas être assimilés à une banale formule sur la provenance géographique du navire (qui n’est d’ailleurs pas l’Afrique) ou des personnes à bord. Si son ambiguïté n’a pas été formellement dissipée, la gravité de la peine prononcée confirme qu’il s’agissait de propos racistes, peu important qui ils visaient exactement.

Or, comme l’a rappelé la Présidente de l’Assemblée dans les quelques mots qu’elle prononça après que la sanction a été prise : « le racisme est la négation des valeurs républicaines qui nous rassemblent dans cet hémicycle ». Et des valeurs républicaines qui scellent le socle de notre Nation.

Alors que le Front national faisait semblant de se « dédiaboliser », de renier son histoire et ce qui forgea son idéologie, allant même jusqu’à changer de nom, il a montré, lors de cet événement, qu’il y restait attaché et qu’il ne changeait point.

En effet, en prenant la défense, jusqu’au bout, d’un député issu de ses rangs ayant prononcé une formule plus que douteuse et refusant donc, sans aller jusqu’à soutenir et voter la sanction, au moins de s’abstenir, il valide son comportement. Il refuse ainsi de condamner une formule que la représentation nationale a assimilée à des propos racistes.

On peut certes arguer que l’ambiguïté est de mise et que « le doute aurait dû profiter à l’accusé », selon le célèbre principe. Mais l’Assemblée a voté et, en l’espèce, elle est souveraine. On peut certes encore ajouter que le caractère d’injure raciale n’a pas été formellement retenu, mais on a démontré que la sévérité de la peine disait indirectement ce que la qualification ne disait pas expressément.

Comme La Constitution décodée l’a mainte fois répétée : le Front national reste le Front national, c’est-à-dire une formation politique remettant en cause des valeurs républicaines fondamentales, pourtant protégées par la Constitution. Ce n’est guère surprenant de la part d’un parti qui en prône ouvertement la violation, comme il l’a montré au cours de la campagne présidentielle.

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