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Comme un seul homme
Il y a un capitaine, on le sait.
Il a son second, chargé de maintenir la barre, selon le cap que le premier a fixé, on le sait également.
Il a son second, chargé de maintenir la barre, selon le cap que le premier a fixé, on le sait également.
Il y a des voix discordantes, minoritaires mais bien présentes, réduites mais bien dans l’opposition. On le sait tout autant.
Il y a surtout ceux qui doivent manœuvrer pour que le cap fixé soit effectivement atteint. Tantôt en tirant telle voile, tantôt en relâchant telle autre, en faisant fléchir ou en redressant la direction, si nécessaire. Et ce sont ces derniers qui décident de tout, car leur énergie est la seule qui puisse faire avancer le navire, tenir la barre, bref, parvenir à bon port.
On le sait. Mais il faut le rappeler car, eux, le savent-ils ?
Le capitaine est évidemment le Président de la République : c’est la mission que les Français lui ont confié. Son second est bien sûr le Premier ministre, conformément à l’esprit des institutions de la Vème République. Là encore, les Français l’ont voulu en élisant une majorité La République en marche à l’Assemblée nationale.
Ceux qui décident de tout, ce sont justement ces députés, à commencer par ceux de la majorité, infléchis par les voix de ceux de l’opposition. Car, hormis le cas de l’article 11 de la Constitution où le peuple s’en charge directement, celui qui vote la loi, c’est le Parlement et uniquement ce dernier. Il en est ainsi car nous sommes en démocratie. Il en est ainsi parce que, dans une démocratie, il n’a pas encore été inventé d’institution meilleure que le Parlement pour fabriquer la loi.
Cela ne signifie pas qu’il ne doit pas être orienté, dirigé, coordonné : c’est le rôle du Premier ministre. Mais cela signifie qu’il doit accomplir sa tâche de législation, c’est-à-dire de fabrication de la loi, en examinant et en discutant ses articles, en déposant et en votant des amendements pour modifier, ajuster, améliorer le texte initial. Les nouveaux députés ne doivent pas l’oublier.
Le texte gouvernemental a été préparé par des personnes d’une incontestable qualité, experts du sujet traité, responsables d’administration centrale. Il a été arbitré par d’éminents responsables politiques, d’une légitimité aussi incontestable. Il a été éclairé par une institution, le Conseil d’État, à la compétence irréprochable. Mais seuls les représentants du peuple et de la nation sont en mesure de décider, collégialement et par leur délibération, ce qui est bon pour le peuple et la nation.
Dans les prochaines semaines, quatre textes essentiels du quinquennat vont être examinés : celui habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances des mesures pour le renforcement du dialogue social, les deux textes rétablissant la confiance de l’action publique, l’un organique, l’autre ordinaire, celui renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.
Les trois premiers sont examinés dès cette semaine en séance, le premier à l’Assemblée nationale, les deux autres au Sénat. Le dernier, actuellement au Sénat, est examiné cette semaine en commission et viendra en séance la semaine prochaine.
Le texte examiné à l’Assemblée nationale, sur les ordonnances relatives au dialogue social soulève une inquiétude : le droit d’amendement si peu utilisé. Un faible nombre a été déposé en commission (181), un nombre encore plus faible a été adopté (quatre seulement, dont un seul du rapporteur saisi au fond et deux rédactionnels). C’est rare, voire inédit. Un nombre toujours faible a été déposé en séance (328), dont 7 du Gouvernement et 14 du rapporteur. C’est peu et même trop peu.
Cette inquiétude peut toutefois être tempérée.
D’abord, la nature du texte, une habilitation à intervenir par ordonnance, restreint le droit d’amendement des parlementaires, qui ne peuvent que réduire l’habilitation, non l’étendre. Ensuite, le début de législature et la méconnaissance des règles procédurales par les nouveaux députés, qui sont particulièrement nombreux cette fois-ci. Enfin, au Sénat, le droit d’amendement est davantage exercé puisque, sur les deux textes relatifs à la confiance dans l’action publique, 63 amendements ont été adoptés en commission, sur un total de 197 amendements examinés. Cela conforte le tempérament précédent.
Gageons donc que l’inquiétude n’est que passagère. Elle pourra même s’estomper définitivement lorsque le Parlement aura à connaître des lois de ratification des ordonnances lui permettant, bien davantage qu’il ne pourrait le faire sur le projet d’habilitation, d’intervenir sur le fond du droit, puisqu’il connaîtra le contenu desdites ordonnances et pourra les amender.
Mais si tel ne devait pas être le cas, si d’autres textes devaient encore être examinés et adoptés en n’étant que faiblement amendés, alors il y aurait danger. Danger que le Parlement ne soit plus un Parlement mais une chambre d’enregistrement. Danger que le Parlement n’accomplisse plus l’une de ses tâches fondamentales, fabriquer la loi. Danger que la loi ne soit plus délibérée, mais imposée et à peine validée.
Danger que tout ne soit décidé en haut et accepté en bas, avec un Parlement qui ne contribuerait plus à exprimer la volonté générale, sans nuancer le cap fixé mais en se bornant à le suivre béatement et bêtement. Comme un seul homme, soit le contraire d’une assemblée…