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Le crash avant le clash

Une fois n’est pas coutume, avec la nomination du Gouvernement Barnier, nous avons un crash démocratique avant d’avoir un clash politique.

Ce crash était annoncé, depuis la nomination de Michel Barnier comme Premier Ministre : c’est la première fois de l’histoire de la Ve République que celui qui est chargé de définir la politique nationale n’a pas de mandat démocratique pour le faire. Notre régime est particulier, puisque c’est habituellement le Président de la République qui est investi de cette mission, même si la Constitution ne le dit pas. Il s’appuie alors sur une majorité (présidentielle) à l’Assemblée nationale, sur un Premier ministre et une équipe gouvernementale.

Il arrive qu’un tel mandat lui soit retiré, pour être confié à une autre force politique, dans les hypothèses de cohabitation. C’est alors le chef du bloc victorieux lors des élections législatives qui est lui-même désigné (Jacques Chirac en 1986 ou Lionel Jospin en 1997) ou qui désigne le Chef du Gouvernement (comme le fit Jacques Chirac pour Édouard Balladur, en 1993).

Il ne serait pas surprenant que dans la négociation du soutien tacite, l’entrée d’un député RN au Bureau ait été actée

Rien de tel aujourd’hui, puisque c’est encore le Président de la République, pourtant battu le 7 juillet dernier, qui est allé choisir le Premier ministre, issu du bloc le plus petit, du courant le plus défait des dernières élections législatives et qui n’a pas même participé au « front républicain », seul « mouvement » pouvant se prévaloir d’une large victoire.

Malgré cette défaite et le message adressé par les électeurs, la « minorité présidentielle » continue de gouverner. Sept membres du Gouvernement démissionnaire sont reconduits. Parmi les nouveaux entrants, nombreux sont ceux qui sont issus du parti ou de la coalition présidentielle, qui allie le MoDem et Horizons : on en compte douze au total, dont neuf appartenant à Renaissance. Presque la moitié du Gouvernement (dix-neuf membres sur quarante) est ainsi issue d’une coalition à laquelle les électeurs ont massivement dit qu’ils ne souhaitent plus qu’elle gouverne… c’est désastreux.

Le Premier Ministre a indiqué qu’il s’était efforcé de constituer le socle le plus important, proclamant que le Gouvernement peut s’appuyer sur un bloc plus large que tous les autres. Les quatre groupes qui soutiennent le Gouvernement totalisent 212 députés, tandis que bloc de gauche et droite extrême en ont respectivement 193 et 142. Cependant, le groupe LIOT compte vingt-deux députés et s’est déclaré d’opposition. S’il ne s’alliera certainement pas avec l’extrême-droite, il ne s’est pas davantage allié à la gauche, notamment lors de l’élection de la Présidente de l’Assemblée nationale. Ainsi, en l’état, le « bloc gouvernemental » est effectivement le plus important ou, disons, le moins faible.

Le préserver et le coordonner promet d’être une lourde tâche, confiée à un tout nouveau portefeuille, puisqu’apparaît une Ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de la coordination gouvernementale. Le Conseiller spécial ou le Conseiller parlementaire du Premier ministre est désormais promu membre du Gouvernement, siégeant au Conseil des ministres ! Ou, pour le dire autrement, l’une des fonctions de ce Gouvernement consiste ainsi à œuvrer à sa propre survie.

Parmi les autres évolutions notoires, on relève également que le budget ou les outre-mer sont directement placés auprès du Premier ministre et non, respectivement, de Bercy ou de Beauvau. C’est un message politique et une volonté institutionnelle de conserver la main sur la situation des finances publiques et les crises en Nouvelle-Calédonie et en Martinique, notamment.

Cependant, on sait surtout que l’important, sous la Ve République, n’est pas tant de disposer d’une majorité positive, c’est-à-dire d’une majorité soutenant le Gouvernement, que de ne pas voir émerger une majorité absolue négative, c’est-à-dire 289 députés s’alliant pour censurer le Gouvernement. Tant que la censure n’est pas votée, le Gouvernement peut se maintenir.

Quels sont donc les opposants à ce Gouvernement ? Le Nouveau Front populaire, à n’en pas douter. Comme évoqué, LIOT s’est déclaré d’opposition mais n’est sans doute pas disposé à voter, dès à présent, une motion de censure. Et, en tout état de cause, la majorité absolue ne serait toujours pas atteinte car, avec la Gauche, ils culminent à 215 voix. Il en manque encore 74, si bien que, même si quelques députés non-inscrits ou quelques membres de la coalition gouvernementale actuelle devaient franchir le Rubicon, la censure ne serait pas acquise.

Par conséquent, le bloc qui tient l’avenir de ce Gouvernement entre ses mains est celui de la droite extrême : Front national et UDR (Ciotti). Ce n’est certes pas un scoop, mais sur le plan institutionnel, c’est intéressant.

D’une part, être à la merci de ce bloc alors que l’on prétend gouverner au centre est pour le moins iconoclaste. De surcroît, cette situation confirme le crash démocratique : les Français se sont massivement exprimés contre l’extrême droite, mais c’est encore elle qui décide de la survie, ou non, du Gouvernement.

D’autre part, on se souvient que le Front national avait été écarté des postes à responsabilités de l’Assemblée nationale, en particulier du Bureau. Or un poste se libère, puisqu’Annie Genevard, fraîchement nommée Ministre de l’Agriculture, occupait les fonctions de vice-Présidente. Il ne serait donc guère surprenant que dans la négociation du soutien tacite, l’entrée d’un député RN au Bureau ait été actée.

Enfin, si l’on reste convaincu que le Gouvernement Barnier a une espérance de vie de trois mois, au moins, sa survie au-delà de l’adoption du Budget dépendra de ce qu’il proposera. Trois sujets principaux sont attendus et sont clivants.

D’abord, la réforme des retraites pourrait faire l’objet d’aménagements, le Premier ministre l’ayant laissé entendre. Mais suffiront-ils à maintenir le compromis, alors qu’une question centrale reste l’âge légal de départ ? La question reste posée.

Ensuite, l’immigration a déjà suscité de nombreux remous au cours de la législature précédente. L’extrême droite peut compter sur le soutien du nouveau Ministre de l’Intérieur, dont les thèses sont proches des siennes, mais elles se heurtent frontalement à la ligne défendue par la coalition présidentielle (et, accessoirement, la Gauche). Le sujet sera donc périlleux.

Enfin, la proportionnelle revient en débat et on sait que le Front national y est attaché. C’est une réforme qui relève de la place Beauvau, or on voit mal Bruno Retailleau la porter, tant il est institutionnellement attaché aux fondamentaux de la Ve République et que son parti n’y a pas véritablement intérêt. Surtout, réaliser cette réforme suppose de s’accorder sur le type de scrutin proportionnel mis en place. Or il peut être mis en œuvre de multiples façons sur lesquelles aucune majorité ne s’accorde, à ce jour.

Par conséquent, le crash démocratique d’aujourd’hui pourrait bien présager le clash politique de demain.

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