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Tweeter n’est pas jouer
C’est déplorable mais c’est ainsi : les réseaux sociaux et, plus généralement, Internet échappent encore (trop) largement aux réglementations relatives aux campagnes électorales en général et à l’élection présidentielle en particulier.
La cause en est leur caractère évidemment récent : même s’ils sont désormais bien implantés dans nos vies quotidiennes, ils sont apparus bien plus récemment que les voies de communication « classiques », telles que la presse écrite, la radio et la télévision. Il faut ajouter à cela la difficulté d’en encadrer précisément l’usage, eu égard à de multiples facteurs : anonymat, absence de frontières, définition précise de ce qu’est un « réseau », etc.
À chaque élection présidentielle, on constate toutefois une utilisation et une influence grandissantes, voire exponentielles de ces réseaux, dont on serait d’ailleurs incapable de dresser une liste exhaustive (faudrait-il, par exemple, y inclure des canaux de communication tels que les messageries instantanées, comme WhatsApp, Telegram, Signal, etc. ?).
Il faut le regretter et appeler à une évolution, mais aucune règle ne régit l’utilisation d’Internet par les candidats
Un évènement récent, de grande importance eu égard à la personnalité concernée, souligne une nouvelle fois l’urgence à entreprendre une réflexion approfondie sur leur encadrement législatif en temps de campagne électorale. En effet, les règles fondamentales d’exercice de la démocratie, auquel participe l’expression publique sur ces réseaux, qu’il s’agisse de celle des électeurs ou, surtout, des candidats, doivent être fixées par le législateur, au terme d’un débat parlementaire. Elles ne sauraient relever du seul pouvoir réglementaire ou d’une autorité administrative, fût-elle indépendante.
Dans un message du 7 mars, rendu public par communiqué de presse du 11 mars, la CNCCEP (commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle) a demandé à Emmanuel Macron, Président de la République en exercice et candidat à sa propre succession, de retirer sa déclaration de candidature, sous la forme d’une Lettre aux Français, de son compte Twitter personnel @EmmanuelMacron.
Cette instance fut instituée par un décret de 2001, afin de tous les candidats bénéficient de la part de l’État des mêmes facilités. Elle ne dispose pas, elle-même, d’un pouvoir de sanction mais peut alerter le Conseil constitutionnel, l’ARCOM (ex-CSA) ou la CNCCFP ainsi que le procureur de la République de tout manquement ou irrégularité qu’elle pourrait relever. Elle peut également formuler des avis.
Elle avait ainsi indiqué, dans un avis du 28 février, d’une part, que « les sites institutionnels du Gouvernement ou de la présidence de la République, comme ceux des collectivités territoriales, ne doivent pas être utilisés pour assurer la promotion de l’action du Gouvernement, du Président de la République ou d’une collectivité territoriale à des fins électorales ». D’autre part, « il importe que les comptes des candidats sur les réseaux sociaux ne soient pas utilisés d’une manière conduisant à confondre l’exercice de fonctions officielles avec la propagande se rattachant à la campagne électorale ».
Cette dernière affirmation, si elle justifie le message adressé au Président de la République le 7 mars, est toutefois surprenante et ne s’appuie sur aucune législation en vigueur.
Actuellement, les matières régies par la réglementation des campagnes électorales sont principalement au nombre de trois : la matière financière, la parole dans les médias audiovisuels, la propagation de fausses nouvelles par le biais de réseaux sociaux. Sans revenir sur le détail de chacune d’entre elles, on peut relever que les médias audiovisuels n’incluent pas, à ce stade, la diffusion par voie d’Internet (donc sont exclues les chaîne YouTube, les réseaux sociaux, les sites Internet, etc.) et que l’interdiction de propagation de fausses nouvelles (inscrite depuis longtemps dans le code électoral, établie par la loi sur la manipulation de l’information de 2018, doit se lire à l’aune de la décision du Conseil constitutionnel qui s’y rapporte.Il faut le regretter et appeler à une évolution, mais rien ne concerne l’utilisation même d’Internet par les candidats ou leurs soutiens.
Il est donc fort surprenant qu’une telle demande soit formulée à l’égard du compte personnel d’un candidat. Certes, il ne s’agit pas de n’importe lequel puisqu’il est Président de la République en exercice et qu’il compte presque 8 millions d’abonnés. Mais au nom de quelle règle peut-on lui interdire de diffuser un message en lien avec la propagande électorale, depuis son compte personnel ?
Il ne s’agit pas d’une fausse nouvelle. Il ne s’agit pas davantage d’une communication par voie de radio ou de télévision et, quand bien même le serait-elle, elle ne serait pas interdite en soi. Tout au plus peut-on lui reprocher d’utiliser des moyens de l’État, mais encore faut-il que ce soit prouvé.
Il y a certainement des avantages à être le « sortant » lorsque l’on candidate à une élection, en particulier à l’élection présidentielle. Mais il n’y a certainement pas que des avantages et cette position n’a guère porté chance à Nicolas Sarkozy ou à Valéry Giscard d’Estaing. La seule interdiction est de ne pas utiliser des moyens de l’État pour faire la propagande du candidat, conduisant notamment à ce que des remboursements soient opérés, sur la base de factures, depuis le compte du candidat vers les caisses de l’État.
Mais dès lors qu’il s’agit d’un compte personnel, qui, d’ailleurs, existait avant même que l’intéressé ne soit élu en 2017 et sous réserve que soit respectée l’obligation rappelée ci-dessus, une telle interdiction ne saurait se justifier.
La CNCCEP invoque la « neutralité du service public », dont on peine toutefois à comprendre le sens, à moins d’interdire à tout élu d’être également candidat, imposant alors soit le mandat unique, soit une démission obligatoire lorsque l’on candidate à sa succession. Plus généralement, la neutralité du service public vise la fonction d’administration de l’État et non celle de décision qui, par principe, est tout sauf neutre. Un agent public doit être neutre, c’est une condition de l’égalité des usagers devant le service public ; un élu ou un candidat n’a pas à être neutre mais doit pouvoir défendre un point de vue : c’est la démocratie.
Enfin, il est regrettable que la CNCCEP puis formuler une telle demande sur le fondement d’un simple avis, qui plus est émis par elle-même.
Il devient donc de plus en plus urgent, pour le respect des règles démocratiques, qu’un cadre législatif soit prévu pour régir l’utilisation d’Internet dans le cadre des campagnes électorales ainsi que, sans doute, pour prévoir les règles garantissant un équilibre entre l’exercice d’une fonction et la candidature de son titulaire à sa propre succession.