entete

Clivages nécessaires

Omnis determinatio est negatio, disait Hegel, forgeant la pensée dialectique.

L’opposition des contraires permet non seulement la construction d’une pensée et d’un discours, mais aussi l’élaboration de la position opposée, qui lui répond. Le débat peut alors se structurer et offrir des points de repères à ceux qui l’écoutent, s’y intéressent, voire souhaitent s’y associer.

Une position médiane est possible, toujours, et bénéfique, parfois. Mais elle n’est elle-même possible que parce qu’il y a cette opposition des contraires. Si elle les dissout définitivement, elle ne devient plus une position médiane, mais une position unique, imposée, qui fait disparaître le débat.

Or, en politique et en démocratie, faire disparaître le débat est nuisible, car cela conduit à une position non pas dominante, mais exclusive. Elle peut alors devenir tyrannique.

C’est pourquoi, les clivages sont nécessaires.


Nécessaires car ils alimentent le débat, à condition qu’ils ne rendent pas la décision impossible. Pour cela, il faut que le débat puisse s’interrompre pour que la décision soit prise.

Nécessaires, également, car ils sont structurants : les clivages structurent le paysage politique, notamment par l’intermédiaire des partis. Cette structuration est utile aux citoyens car elle leur permet de se repérer dans l’offre électorale, lors d’élections, ou dans l’offre politique, lors de propositions ou de prises de décisions. Grâce aux clivages partisans, le citoyen dispose d’une présomption du positionnement politique d’un candidat ou d’une proposition qui est formulée, dès lors qu’il ou elle provient d’un parti politique.

Tant qu’on ne leur aura pas trouvé un produit de substitution satisfaisant, les partis politiques ne pourront pas disparaître car ils sont nécessaires à la démocratie.

Vouloir les remettre en cause c’est, en réalité, revenir sur les fondements de cette dernière.

Et remettre en cause les clivages auxquels ils conduisent peut avoir la même conséquence et, partant, devenir dangereux.

On le voit actuellement en Allemagne, avec la situation politique consécutive aux élections du 24 septembre 2017. Les deux « grands » partis de gouvernement, la CDU/CSU, positionnée à droite en tant que chrétiens-démocrates, et le SPD, positionné à gauche, en tant que sociaux-démocrates, ont connu des scores historiquement très faibles. Parallèlement, l’AfD, parti d’extrême droite, a enregistré un score historique de 12,64%, faisant une entrée fracassante au Bundestag.

Cela n’est pas sans lien avec le positionnement politique du gouvernement allemand de 2013 à 2017, qui résultait d’une « grande coalition » entre SPD et CDU. Si les divergences demeuraient, elles étaient néanmoins estompées, au sein d’un gouvernement coalisé.

Le SPD n’était pas en mesure de présenter une opposition claire, ni pendant la législature ni lors de la campagne pour les élections de 2017. Si bien que les électeurs ont recherché ailleurs les clivages et, sans doute orientés par des choix politiques d’Angela Merkel, ils se sont laissés séduire par l’extrême droite et l’extrême gauche (qui, elle, a obtenu 9,24% des voix).

Les clivages sont nécessaires.

Et il en est de même en France. Le positionnement soi-disant central de La République en marche lui a permis de convaincre l’électorat parce qu’il représentait, à un moment déterminé (lors des élections législatives), la voie médiane. Mais si l’objectif de ce positionnement central est de faire disparaître les clivages, alors cela devient dangereux, tout en étant vain.

Il en est ainsi parce que les clivages ne pourront pas disparaître totalement, nécessaires qu’ils sont à la clarification de la démocratie elle-même. Ils réapparaîtront alors en d’autres lieux, c’est-à-dire au profit d’autres formations partisanes, potentiellement extrêmes.

La droite semble l’avoir compris en faisant le choix de s’orienter vers un positionnement idéologique plus à droite de ce qu’elle a pu soutenir jusqu’à présent. Elle y est poussée par le gouvernement lui-même qui, d’un positionnement d’abord central, glisse vers un positionnement plus droitier, depuis qu’il est en fonction. Elle est également aidée par les difficultés et faiblesses de l’extrême droite.

L’extrême gauche l’a compris également, en se positionnant comme la seule véritable opposition. Elle est ici aidée par la faiblesse du Parti socialiste et par son manque de clarté, voire de cohérence dans son positionnement politique.

C’est précisément cette opacité que ce dernier doit dissiper, s’il souhaite se refonder. Pour cela, il n’y a pas d’autres possibilités que d’adopter une ligne politique saillante, par rapport à la voie soi-disant médiane. C’est ce qui lui rendra son positionnement et, surtout, sa clarté. Car les clivages sont nécessaires et sont dans l’intérêt de tous.

Commentaires (0)

Il n'y a pas encore de commentaire posté.

Ajouter vos commentaires

  1. Poster un commentaire en tant qu'invité.
Pièces jointes (0 / 3)
Partager votre localisation
S’abonner à la lettre d’information
logo blanc