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Le président face au piège de la contestation

Tribune parue sur Lemonde.fr, le 19 février 2015

Titre original : Fait majoritaire contestataire, nouvelle configuration de la majorité

La victoire à la présidentielle de 2012 n’est pas comme les autres : le nouveau Président a davantage remporté une victoire par contestation (du sortant) que par adhésion (sous son nom). Le 6 mai, François Hollande a moins été élu que Nicolas Sarkozy, battu.

La victoire par contestation à la présidentielle a emporté une victoire similaire aux législatives. Ainsi, les membres de la nouvelle majorité devaient peut-être moins leur élection et leur légitimité au Président élu, comme c’est habituellement le cas, qu’au Président battu et contesté. Certains d’entre eux ont alors remis en cause et, donc, contesté eux-mêmes les choix du nouveau Président et de son Gouvernement, afin d’être en accord avec une partie de leur électorat, déçue de l’absence de résultats immédiats. Car les Français, qui venaient de rejeter l’ancien Président, attendaient beaucoup d’un « Président normal ». Ils en attendaient tellement que cela ne pouvait être qu’à la portée d’un Président extraordinaire.


La majorité présidentielle s’est alors progressivement délitée et des « frondeurs » ont émergé. Ainsi est apparue une nouvelle forme de fait majoritaire : le fait majoritaire contestataire, où des contestations sont ouvertement revendiquées au sein même du groupe et du parti politiques de la majorité.

« L’esprit du 11-janvier » aurait pu laisser croire que la contestation était dissipée. Manuel Valls l’espérait en s’en prévalant encore hier, pour tenter de contenir sa majorité. Mais cette dernière n’est pas dupe et elle a bien compris que la démocratie et la liberté d’expression n’étaient pas comparables au libéralisme économique : les premières rassemblent et sont unanimement défendues, le second divise et il est contesté. Le peuple aussi l’a compris : malgré la victoire socialiste, la législative partielle dans le Doubs avait déjà annoncé que le 11-janvier était certes invocable à l’appui d’un rassemblement républicain, mais non d’une union politique.

Le fait majoritaire contestataire a alors débouché sur le retour d’anciens mécanismes constitutionnels, prévus pour discipliner une majorité récalcitrante et hétérogène. Ce fut le cas, dès l’été 2014, avec l’utilisation du vote bloqué (article 44, alinéa 3 de la Constitution). C’est le cas, aujourd’hui, avec la réapparition du 49, 3, presque dix ans après sa dernière utilisation (par Dominique de Villepin, en février 2006, sur le CPE). Permettant d’adopter un texte, sans le voter, il était autrefois l’arme absolue de la rationalisation du parlementarisme (Rocard), puis utilisé à mauvais escient pour contrer l’obstruction (Raffarin, Villepin).

Ce retour au véritable régime parlementaire rationalisé n’est pas une si bonne nouvelle car, depuis 2008, l’utilisation du 49, 3 est limitée aux textes budgétaires et à un autre texte par session, si bien que le Gouvernement ne pourra pas s’en servir pour discipliner continuellement sa majorité. Il devra alors soit céder à la contestation, soit laisser la contestation le tenir en échec, ce qui risque de conduire à une crise politique d’une tout autre ampleur, avec une dissolution. Et les frondeurs le savent. La contestation risque ainsi de conduire a davantage de contestation, que l’on retrouvera sans doute dans les urnes, lors des élections départementales et régionales à venir. Là, point de 49, 3 qui permettrait d’obtenir une majorité… sans vote !

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