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Maudits sondages

Seule la perspective de l’élection devrait faire les résultats des sondages et, pourtant, ce sont les sondages qui peuvent déterminer les résultats de l’élection en perspective.

Maudits sondages.

On n’a de cesse de les attendre, de les commenter, de les nuancer, de les critiquer voire de les dénoncer. Ils n’ont de cesse de se multiplier, d’alimenter les débats publics et privés, de générer du profit économique au point de devenir une industrie. Ils sont toujours là, comme d’indispensables repères de la vie politique, mais contribuent davantage à effacer ce que devraient être ces repères : les débats publics entre candidats.

Maudits sondages.

Pourquoi ne pas interdire simplement et généralement les sondages, qui ne sont pas indispensables au fonctionnement de la démocratie ?

Les candidats passent leur temps à les commenter, en expliquant tantôt pourquoi ils sont la soi-disant première force du pays, chiffres, croisements de chiffres, additions de chiffres à l’appui, ou tantôt pourquoi ils ne décollent pas ou s’enfoncent, s’appuyant sur d’autres chiffres, croisements de chiffres, additions de chiffres. Ils sont leur unique boussole, pourtant – n’assumant pas leur addiction – ces candidats ne cessent de dire qu’il ne faut pas s’y fier. Parmi eux, il en est même qui ne croient pas nécessaire de faire campagne : c’est inutile, les jeux sont faits, tous les sondages le disent.

Pendant ce temps, l’attention n’est portée que sur ces études statistiques, réalisées à partir d’un échantillon d’à peine mille personnes, en général, parfois moins. Nous sommes près de 49 millions d’électeurs. La marge est grande. La marge d’erreur aussi et les résultats de chaque scrutin le confirment.

Maudits sondages.

La multiplication de ces études en tout genre (car il n’y a pas que les intentions de vote qui sont testées) pollue la campagne électorale et, plus généralement, la vie démocratique. Plutôt que de porter sur la confrontation des idées et des programmes, sur des visions politiques et des enjeux pour la France, les débats se concentrent sur les indications, sur les tendances, sur les soi-disant attentes des Français. Les candidats n’assument pas des idées, ils les testent et les ajustent en fonction de retours chiffrés instantanés. L’intérêt général s’efface devant des impressions générales.

Imaginons un instant cette élection sans sondages…

Anne Hidalgo aurait passé moins de temps à expliquer aux journalistes pourquoi sa campagne ne porte pas, pour se consacrer davantage à la défense de ses idées sur le fond.

Yannick Jadot et EELV se sentiraient sans doute moins hégémoniques et plus prompts à des échanges politiques constructifs avec leurs alliés.

Éric Zemmour n’aurait vraisemblablement pas eu la même présence, tant cette dernière est due à son ascension dans les sondages. Le climat politique aurait été moins nauséabond et plus serein.

Emmanuel Macron ne se sentirait pas aussi surpuissant (quoique…) et aurait tâché de prêter une attention un tant soit peu plus grande à ses électeurs, se rappelant qu’après tout, ce sont bien eux qui font l’élection, pas les sondages.

Encore que, précisément, cette dernière affirmation peut être discutable, ce qui constitue une part du problème. Combien d’électeurs se détermineront, dimanche prochain, en fonction des sondages, considérant qu’un vote « utile » est celui pour un candidat porté par les sondages ?

Le seul vote utile qui soit est celui que l’on met effectivement dans l’urne, sur la base de ses convictions, forgées à partir de sa propre analyse politique et de ce que l’on considère être les exigences de notre nation. Est-ce que les électeurs des candidats dont les espoirs de l’emporter sont inexistants – et l’on dit cela non pas en s’appuyant sur des sondages, mais sur des résultats électoraux continus – se demandent s’ils voteront utile ? Oui, incontestablement ! Et ils considèrent tout aussi incontestablement que l’utilité n’est pas de gagner l’élection, mais de porter des convictions dans cette élection et dans le débat public.

Indépendamment de ces maudits sondages.

Pour éviter que le débat démocratique ne soit ainsi perturbé, il serait judicieux d’interdire la diffusion de sondages à l’approche d’une élection. L’Italie le fait : leur diffusion est interdite quinze jours avant le scrutin (soit l’équivalent de la campagne officielle, en France). On pourrait même aller encore plus loin, en les interdisant à compter de l’enregistrement des candidatures, ou de la publication du décret de convocation des électeurs. Ces derniers se concentreraient alors davantage sur les programmes des candidats, lesquels seraient à leur tour plus portés à convaincre de leurs idées, plutôt que de la fausseté ou de la relativité des sondages… le débat démocratique n’en serait que plus serein.

Mais alors, après tout, puisque ces sondages sont des perturbateurs, conduisant les responsables politiques, même en-dehors de toute élection, à s’appuyer sur eux pour adapter leurs discours politiques, plutôt que de s’appuyer sur les représentants du peuple, de tous les niveaux (des maires aux parlementaires) pour adopter une politique, pourquoi ne pas les interdire tout simplement et généralement ? Sont-ils d’un réel intérêt pour le fonctionnement de la démocratie ? Peut-être pas.

Leur interdiction totale constituerait, il est vrai, une atteinte à la liberté d’expression, d’ailleurs bien vaine au temps de l’information globalisée. Décidément, que ne nous font pas dire ces maudits sondages !

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