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Mettre le Conseil constitutionnel au pas ?

 
TribuneLibé

Ce billet est paru sous forme de tribune dans Libération le 18 février 2022, dont la version en ligne peut être consultée ici.


Justice must not only be done, it must also be seen to be done.

 

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Ce billet est paru sous forme de tribune dans Libération le 18 février 2022, dont la version en ligne peut être consultée ici.


Justice must not only be done, it must also be seen to be done.



Cette célèbre formule traduit ce que l’on appelle habituellement la « théorie des apparences » : non seulement la justice doit être rendue de façon indépendante et impartiale, mais les justiciables doivent aussi avoir l’impression qu’elle est indépendante et impartiale. Or certaines nominations pressenties pour le Conseil constitutionnel interrogent sur ce sujet.

Rappelons que le Conseil constitutionnel est composé de neuf membres, renouvelés par tiers tous les trois ans. Le mandat de trois d’entre eux vient à échéance le 13 mars prochain.

Le Président de la République, le Président du Sénat et le Président de l’Assemblée nationale viennent ainsi de proposer trois noms pour intégrer le Conseil à compter du 14 mars, sous réserve de l’absence d’opposition par les Commissions des Lois des assemblées.

La politique n’a pas sa place au Conseil constitutionnel : sa seule mission est de défendre nos droits, nos libertés, la Constitution et la démocratie


À la veille des prochaines échéances électorales, ces nominations ont une réelle importance, le Conseil constitutionnel étant notamment chargé de veiller à la régularité de l’élection présidentielle et de contrôler cette dernière, ainsi que les élections législatives. De plus, la majorité actuelle figure parmi celles qui ont été les plus sanctionnées par le Conseil : si ce dernier s’est montré plutôt souple à l’égard des mesures relatives à la crise sanitaire, favorisant grandement la protection de la santé, on ne compte plus les lois, notamment sécuritaires, qui ont fait l’objet d’une censure totale ou partielle : loi sécurité globale (2021), loi sur les mesures de sûreté à l’encontre d’auteurs d’infractions terroristes (2020), loi de programmation pour la justice (2019), loi anti-casseurs (2019), loi Avia contre les contenus haineux sur internet (2020), pour ne citer que les plus célèbres.

C’est dire à quel point cette institution constitue le dernier rempart face aux dérives d’une majorité parlementaire qui s’en prend aux droits et libertés. On peut se demander si cette majorité cherche à la mettre au pas.

En effet, le Président de la République propose la nomination de Jacqueline Gourault, actuelle Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. S’il n’est pas légalement requis d’avoir une compétence juridique pour siéger au Conseil, on peut toutefois être surpris d’un tel choix : sénatrice et élue locale pendant de nombreuses années, elle ne s’est jamais investie ou intéressée aux questions constitutionnelles. Elle est surtout une figure importante du MoDem, dont il était sans doute utile de prendre soin en cette période de campagne électorale. Emmanuel Macron avait déjà nommé Jacques Mézard, en 2019, autre figure politique importante, mais des Radicaux cette fois. À croire que le Conseil constitutionnel deviendrait le lieu de récompense pour services (politiques) rendus, ce qui est intolérable : la politique n’a pas sa place au Conseil constitutionnel, dont la seule mission est de défendre nos droits, nos libertés, la Constitution et la démocratie.
Mais la nomination la plus problématique est certainement celle de Richard Ferrand, qui propose Véronique Malbec. Magistrate du Parquet, elle est l’actuelle directrice de cabinet du Garde des Sceaux. Elle s’était notamment distinguée en exigeant le départ de Charlotte Bilger, Conseillère spéciale du Ministre, trois jours après l’arrivée de cette dernière.

Surtout, elle occupait les fonctions de Procureur général près la Cour d’appel de Rennes, jusqu’en décembre 2017. Elle était ainsi la supérieure hiérarchique directe du Procureur général près le Tribunal de grande instance de Brest : c’est le magistrat qui, en octobre 2017, avait classé sans suite l’enquête dans l’affaire des Mutuelles de Bretagne, qui visait Richard Ferrand. Si on ne saurait nullement remettre en cause la présomption d’innocence dont ce dernier bénéficie, on ne peut que déplorer ce qui constitue, au mieux, un conflit d’intérêts apparent et, au pire, un conflit d’intérêts avéré.

Le Conseil constitutionnel ne mérite pas que de tels soupçons pèsent sur ses membres, dont, en tout état de cause, la désignation engage bien davantage l’autorité de nomination que les personnalités nommées. Aux premières, donc, de prendre leurs responsabilités, ce qui semble faire cruellement défaut en l’espèce.

S’ils étaient pris d’un élan d’indépendance et de lucidité, les députés de la majorité membres de la Commission des Lois pourraient s’opposer à cette nomination, par un vote à la majorité des trois cinquièmes, après l’audition qui aura lieu la semaine prochaine. On doute cependant qu’ils s’élèvent ainsi face au choix de leur Président, même si un tel vote négatif s’est déjà produit en 2015, donc sous la législature précédente.

Si la nomination se confirme, il ne restera donc qu’à espérer que les personnalités nommées sauront assumer avec toute la dignité qu’ils doivent à leur nouvelle fonction ce que Robert Badinter a très justement qualifié de « devoir d’ingratitude ».

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